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<< tension du régime de la concession à toutes les usines éta«blies sur les cours d'eau domaniaux. Par cette manière de « voir, elle se refuse donc à reconnaître le bien fondé de la << distinction des usines hydrauliques en usines privées et pu«bliques faite dans le projet du gouvernement ; elle pense, «< qu'écarter du régime de la concession la catégorie la plus << nombreuse des usines hydrauliques, sous le prétexte que <«<leur fonctionnement n'affecterait que des intérêts privés, ce << serait abandonner, sans compensation, une partie impor«tante du domaine public ».

Cependant, M. Baudin, reconnaissait que, poussé à son extrême limite, le principe posé risquait d'astreindre des entreprises très modestes à des formalités d'une importance hors de proportion avec leur objet. Il fut donc admis que les usines notoirement affectées à des besoins industriels privés, d'une puissance brute en étiage d'au plus 200 kilowatts, resteraient soumises au régime de l'autorisation précaire. Par contre, toutes les autres usines, privées ou publiques, d'une puissance supérieure, devaient faire l'objet d'une concession. Ainsi, la distinction entre usines suivant leur nature disparaissait. Il ne subsistait plus que des usines autorisées et des usines concédées, suivant l'importance de la force brute empruntée aux cours d'eau du domaine public.

D'autres modifications furent apportées au projet, sur les instances des représentants de l'industrie hydroélectrique. C'est ainsi que la durée de l'autorisation fut portée de trente à cinquante ans. Par contre, il fut décidé qu'une loi serait nécessaire pour octroyer la concession lorsque les travaux d'appropriation de la force comporteraient le détournement des eaux, de leur lit naturel, sur une longueur de plus de 20 kilomètres, mesurée suivant ce lit, ou que la puissance brute dont l'usine pourra disposer dépasserait 15.000 kilowatts. La limite de 20 kilomètres se retrouve dans la loi du 27 janvier 1870 qui autorise l'établissement, par décret, des chemins de fer et des canaux d'une longueur inférieure à 20 kilomètres. Enfin, un délai de cinq ans était accordé aux usines actuellement autorisées, pour l'accomplissement des formalités administratives qu'impliquait leur changement de situation.

Le projet du gouvernement, ainsi modifié par la Commis

sion, fut adopté sans débat par la Chambre le 16 juillet 1909,

Le Sénat confia à une commission spéciale, le soin d'examiner le texte voté par la Chambre. Un premier rapport fut déposé le 10 février 1910 par M. Hippolyte Savary (1). La commission sénatoriale estima que la Chambre était allée trop loin en décidant qu'une loi serait nécessaire lorsqu'il y aurait lieu à concession seulement au cas où les travaux d'appropriation de la force comporteraient le détournement des eaux, de leur lit naturel, sur une longueur de 20 km. Dans le but de « protéger les riverains de nos cours d'eau contre la pression des constructeurs de barrages, pour leur donner la faculté de présenter leurs critiques et leurs observations par l'intermédiaire de leurs représentants devant chacune des deux Chambres », il fut décidé que la concession serait accordée par une loi, lorsque les travaux d'appropriation de la force comporteraient le détournement des eaux de leur lit naturel sur une longueur de plus de 2 kilom. (au lieu de 20 kilom.), quel que soit leur volume, et, lorsque le volume des eaux détournées dépasserait un quart du débit de la rivière, à l'étiage, quelle que soit la longueur du détournement. La seconde innovation de quelque importance, portait que le concessionnaire pourrait être tenu de faire participer à ses bénéfices, quand l'importance et la prospérité de l'établissement le permettraient, les employés de cet établissement, tant commis et contremaîtres qu'ouvriers et hommes de peine, tous les ouvriers enfin, dans l'acception la plus large du mot, à l'exception du directeur et des ingénieurs. Le taux de la participation devait être fixé dans le cahier des charges, d'accord avec le concessionnaire.

M. Hippolyte Savary s'étant démis de ses fonctions de rapporteur, la commission sénatoriale remania de nouveau le texte qui lui était soumis. Un rapport supplémentaire fut déposé, le 7 février 1913, par M. Cazeneuve (2). En dernière analyse, la commission avait décidé de revenir sur les exigences qu'elle avait d'abord imposées, pour l'obtention des conces

(1) Sénat. Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 1913, n° 15.

(2) Sénat. Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 1910, n° 30.

sions. Avec la rédaction préconisée par M. Hippolyte Savary, on s'était rendu compte qu'une loi serait toujours nécessaire pour donner la concession. La commission rétablit purement et simplement le texte adopté par la Chambre. En outre, sur la proposition de MM. Cazeneuve et Goy, il fut décidé que les départements et les communes pourraient solliciter des concessions sur le domaine public, avec droit de préférence, à condition qu'ils les exploitent sans rétrocession, pour assurer des services publics ressortissant départementaux ou communaux. Au nombre des redevances exigées des concessionnaires, la commission fut d'avis d'insérer des réserves en eau et force, au profit des associations agricoles constituées conformément aux lois des 21 juin 1865 et 22 décembre 1881, c'est-à-dire, des associations agricoles importantes, réunissant la grosse majorité des agriculteurs d'une région intéressée à l'utilisation des eaux ou de la force, en vue de l'irrigation pour les cultures. Enfin, la commission adopta un amendement de MM. Goy et Chautemps portant que la dérivation à l'étranger de l'énergie électrique produite, en France, par des usines hydrauliques établies sur les cours d'eau appartenant au domaine public, serait interdite, sous réserve de traités internationaux.

C'est dans cet état que le projet fut inscrit à l'ordre du jour du Sénat et discuté au cours de quatre laborieuses séances, en mars dernier. Nous ne pouvons même résumer les très intéressants discours prononcés au cours d'un débat qui ne brilla pas toujours par la clarté. Nous nous contenterons de noter les principales interventions et les votes qui suivirent. Sur les instances de MM. Guillier et Herriot et « pour ménager aux petites industries la possibilité de faire renouveler, en temps utile, l'autorisation « le Sénat décida qu'avant l'expiration du délai de cinquante ans, les industriels intéressés pourraient solliciter le renouvellement de leurs permissions, pour une durée maxima de cinquante ans. D'autre part, dans le but «< d'éviter l'aliénation, par une concession trop longue, au profit de quelques-uns, d'un bien qui appartient à la nation tout entière», le Sénat fixa à soixante ans, à partir de la mise en exploitation de l'usine, la durée maxima de toute concession accordée par décret. Le principe d'une participation éventuelle

des industriels installés sur les cours d'eau du domaine public, aux dépenses que pourraient entraîner les travaux exécutés dans le but de régulariser le régime du fleuve fut également admis par la Haute Assemblée. Elle renvoya à la commission le paragraphe 6 de l'article 9 relatif à la participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises concédées. Enfin, l'obligation qui était faite aux usiniers, disposant d'une force supérieure à 200 kilowatts ou alimentant un service public, de solliciter une concession dans les cinq ans à compter de la promulgation de la loi, fut transformée en une simple faculté. Et, pour répondre à une préoccupation de l'honorable M. Guillier, qui s'inquiétait du sort réservé aux créanciers hypothécaires au cas où un industriel jugerait à propos d'incorporer ses installations au domaine public, la commission fut chargée d'élaborer un texte de nature à préciser leur situation à cet égard.

Le Sénat ayant, comme nous l'avons dit, décidé de passer à une seconde délibération, la commission se remit consciencieusement au travail, en vue d'élaborer un texte définitif. Elle poussa même le scrupule jusqu'à convoquer les représentants de l'industrie hydroélectrique, qui avaient été déjà appelés à donner leur avis devant la commission de la Chambre. MM. Cordier et Pinot, président et secrétaire général de la Chambre Syndicale des Forces Hydrauliques, M. Bougault, leur avocat conseil, vinrent donc exposer, au Luxembourg, les desiderata des industriels (1). « Nous ne sommes pas, commença par déclarer M. Cordier, les adversaires du régime de la concession pour les usines établies sur les cours d'eau du domaine public, mais nous demandons qu'il ne soit pas porté d'atteinte ou au moins d'atteinte trop grave - aux droits acquis et nous désirons que le régime institué par la nouvelle loi soit assez libéral pour tenter les industriels et pousser à l'utilisation des cours d'eau du domaine public. »

Dans la discussion qui suivit, M. Bougault s'éleva avec force, contre le délai de cinquante ans imposé à toutes les autorisations. La permission précaire, illimitée, telle qu'elle fonctionne actuellement, ne peut être révoquée que lorsque l'in

(1) Cf. le deuxième rapport supplémentaire de M. Cazeneuve. Annexes.

térêt général est en jeu. Avec le texte nouveau, à l'expiration du délai de cinquante ans, l'Administration pourra révoquer l'autorisation, sans donner de motifs. Et c'est, au dire de l'honorable avocat, un aléa que bien peu d'industriels voudront courir. M. Cordier demanda, à son tour, que la nécessité d'une loi pour l'obtention de la concession ne soit imposée que pour les installations comportant un détournement des eaux sur une longueur de plus de 25 kilomètres (au lieu de 20) et d'une puissance supérieure à 20.000 kilowatts (au lieu de 15.000).

Les représentants de l'industrie hydro-électrique demandèrent également que la limitation de la durée de la concession soit portée de 60 à 75 ans et que le rachat ne puisse s'opérer qu'à l'expiration des quinze premières années. Enfin, pour éviter qu'à l'approche du terme de son contrat, le concessionnaire ne soit laissé indéfiniment dans l'incertitude, au sujet des intentions de l'Administration, M. Cordier aurait voulu inscrire, dans le projet, une disposition ainsi conçue: Dans les cinq ans qui précèdent l'expiration de la concession, il est procédé à l'institution d'une concession nouvelle. Le concessionnaire actuel a un droit de préférence à conditions équivalentes. Si, deux ans avant l'expiration, aucune concession nouvelle n'a été instituée, il peut exiger la prorogation de sa concession pour une nouvelle durée de dix ans. >>

La commission ne retint que deux points de cette déposition. Elle accepta de porter de 60 à 75 ans la durée maxima des concessions et admit que le rachat ne pourrait être exercé par l'autorité concédante, qu'après l'expiration des quinze premières années. Enfin, pour sauvegarder les droits des tiers dans le cas où un industriel actuellement autorisé solliciterait l'autorisation, la commission décida que sa demande ne serait recevable, que si les immeubles, appelés par la concession à entrer dans le domaine public, sont francs et quittes de tous privilèges, hypothèques et autres droits réels. Ajoutons que le paragraphe relatif à la participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises concédées a été définitivement écarté. Le Sénat a adopté les conclusions de la commission, en les modifiant sur un point, important à la vérité. Après une énergique intervention de M. Savary, qui avait réussi une fois déjà, alors qu'il était rapporteur, à faire partager son point

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