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ensemble. Ce n'est, du reste, qu'en envisageant de la sorte le problème à résoudre, que l'on risque de trouver la solution qui permettra de concilier la nécessité de sauvegarder les droits incontestables, légitimes, de la collectivité et le désir sincère de donner, aux initiatives privées, la somme de liberté compatible avec une gestion prévoyante du domaine public.

On sait l'admirable essor de l'industrie hydroélectrique dans le monde entier, mais surtout dans notre pays, au cours de ces dernières années. Dans son savant rapport à l'Exposition de Bruxelles, le distingué secrétaire général de la Chambre syndicale des Forces hydrauliques, M. Robert Pinot, a évalué, comme suit, la puissance totale hydroélectrique, aménagée en France, en 1910 :

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Ces chiffres ont été dépassés depuis cette époque. La puissance globale des usines hydrauliques appartenant aux seuls adhérents de la Chambre syndicaledes Forces hydrauliques. atteint, actuellement, 620.000 HP, soit un peu plus du dixième de la puissance totale disponible.

Fait à noter sur ces 620.000 chevaux actuellement aménagés, à peine 75.000 le sont sur les cours d'eau navigables, avec quatre usines importantes seulement. Cela tient d'abord, à ce que les basses chutes nécessitent l'établissement de barrages coûteux, des turbines à grand diamètre, des bâtiments. spacieux. « On peut formuler cette règle générale », écrit un spécialiste de la question, M. Côte, « confirmée par l'exemple des usines existantes et ne comportant que de très rares excep

tions, dûes à des circonstances topographiques exceptionnelles dans deux chutes de même puissance, le prix de revient du cheval-an sur l'arbre des turbines est en raison directe du débit et, par conséquent, en raison inverse de la hauteur ». L'expérience a montré que les dépenses de premier établissement, par kilowatt à l'usine, varient entre 1.000 et 2.000 fr. pour les usines de plaine et entre 500 et 1.500 francs pour les usines de montagne. Ajoutons que l'inconvénient, résultant de l'éloignement des chutes de montagne des centres de consommation, se fait moins sentir du fait des progrès techniques réalisés par le transport de la force à distance. Mais surtout, ce qui a valu aux torrents et aux rivières non navigables la faveur marquée des industriels, c'est le régime juridique auquel ils sont soumis.

La loi de 1898 a attribué, en pleine propriété, aux riverains, le lit de ces cours d'eau et la jurisprudence, interprétant largement les articles 644 et 645 du Code Civil, a fait, du droit d'utiliser l'eau pour des fins industrielles, du droit de riveraineté, un attribut distinct de la propriété du fonds. Dès lors, l'industriel qui a acheté tous les droits de la riveraineté nécessités par l'importance de la dérivation qu'il a projetée d'établir, est propriétaire de la chute, au même titre que des installations annexes où la force produite sera utilisée. Et il peut en disposer en pleine liberté, dès qu'il s'est soumis aux règlements de police édictés par l'Administration, dans l'intérêt de la sécurité et de la salubrité publiques.

Tout autre est le régime auquel sont soumis les cours d'eau navigables et flottables, qui font partie intégrante du domaine public et sont inaliénables et imprescriptibles. L'industriel qui veut s'établir sur un de nos fleuves devra s'adresser à l'Administration, qui lui délivrera une permission essentiellement précaire et révocable. Seule, une loi, pour une entreprise spéciale, peut déroger, comme cela s'est passé pour Jonage, à la règle générale, et placer l'entreprise qui en bénéficie, sous le régime de la concession temporaire.

Tel est donc, en droit, le régime auquel sont actuellement soumises les usines établies sur les cours d'eau du domaine. public: permissions précaires et révocables ou, exceptionnellement, lorsque l'opération présente tous les caractères d'un

travail d'utilité publique, concession temporaire accordée par une loi.

En fait, il est vrai, lisons-nous dans l'exposé des motifs du projet du gouvernement, « les demandeurs en autorisation ne se laissent pas effrayer par les apparences si rigoureuses de la clause de précarité ; c'est qu'ils savent par une longue expérience que cette clause ne joue que dans des cas extrêmement rares et que son application est entourée par la jurisprudence du Conseil d'Etat de telles garanties pour les intérêts privés, qu'on s'est parfois demandé si elle ne constituait pas une protection, purement illusoire, des droits imprescriptibles du domaine public

Quoi qu'il en soit, du reste, nous avons, au début de cette étude, cité des chiffres qui montrent le peu d'empressement que mettent les industriels à s'installer sur le domaine public. Il faut bien penser que la précarité du régime auquel ils sont contraints de se soumettre ou la longueur des formalités à accomplir pour obtenir une concession, sont pour quelque chose dans leur abstention.

Cette situation appelait une réforme que l'on pouvait envisager de deux manières différentes ou bien, livrer à l'industrie les cours d'eau navigables, en facilitant l'installation des usines privées sur le domaine public; ou bien, envisager surtout les intérêts de l'Etat, de la collectivité, des services publics, et réserver à l'Administration le soin de mettre en valeur, sans avoir recours, dans tous les cas, à une loi, la force hydraulique des fleuves et des rivières navigables.

C'est principalement ce dernier point de vue qui avait guidé le gouvernement, dans la rédaction du projet déposé par MM. Barthou et Caillaux, le 8 juillet 1908. Ce projet divisait les usines établies sur les cours d'eau navigables, en deux catégories, suivant leur affectation, et appliquait à chacune d'elles un régime différent : l'usine privée où la force hydraulique est employée uniquement à desservir les besoins industriels d'un établissement particulier et dont le fonctionnement n'affecte que les intérêts privés; l'usine publique, véritable fabrique d'énergie destinée à alimenter en force ou en lumière toute une région et qui se rattache ainsi à des intérêts généraux. L'usine

privée, quelle que soit son importance, restait soumise au régime de l'autorisation précaire et révocable, mais limitée à trente ans. L'article 4 fixait également à trente ans, à partir de la promulgation de la loi, la durée des autorisations en cours. L'usine publique devait faire l'objet d'une concession, accordée, dans tous les cas, par décret, avec cahier des charges déterminant notamment les précautions propres à empêcher autant que possible les spéculations et accaparements auxquels peuvent donner lieu les forces hydrauliques; les mesures à édicter pour l'utilisation effective de la concession; les conditions à remplir pour la sauvegarde des intérêts généraux (défense nationale, salubrité publique, navigation, alimentation des populations, circulation du poisson, protection des paysages); le moment à partir duquel le partage des bénéfices pourra être réclamé par l'Etat et les conditions de ce partage; les restitutions en nature ou dédommagement en espèces à stipuler pour les tiers lésés; les délais d'exécution, cautionnement, (etc.). Restaient en dehors de la loi, les usines faisant partie intégrante d'entreprises déclarées d'utilité publique et qui suivent le sort de ces entreprises, et les usines ayant une existence légale, c'est-à-dire, celles qui ont fait l'objet d'une vente nationale au cours de la période révolutionnaire, et celles qui ont été établies avant l'édit de Moulins de 1566.

Usines autorisées, concédées ou faisant partie d'une entreprise d'utilité publique avaient la faculté de céder leurs excédents d'énergie ou leurs résidus d'exploitation. Enfin, le projet comportait un article 12, qui déterminait la sphère d'application de la loi les cours d'eau navigables sont ceux qui ont été classés comme tels par l'article 538 du Code Civil et dont la nomenclature a été donnée par l'ordonnance du 10 juillet 1835, modifiée par des décrets postérieurs de classement ou de déclassement. Certains de ces décrets, remontant à une date assez éloignée, le régime des cours d'eau visés avait pu se modifier depuis, et comme le Conseil d'Etat admettait que, du seul fait qu'il devenait impropre à la navigation ou au flottage, un cours d'eau pouvait être déclassé, il était à craindre que le domaine public fut, de la sorte, appauvri par suite des instances que ne manqueraient pas d'engager les riverains. Aussi, l'article 12 donnait aux intéressés la faculté de faire

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établir, dans le délai d'un an à partir de la promulgation de la loi, que le régime actuel du cours d'eau, sur lequel ils prétendent avoir des droits, ne correspond plus à l'état de choses résultant des énonciations de l'ordonnance de 1835. Cet article 12 a été disjoint du projet et incorporé à la loi de finances du 8 avril 1908. La loi du 7 avril 1911 a prorogé, jusqu'au 8 octobre 1911, la durée du délai à partir duquel les actions en reconnaissance de droits acquis sur les cours d'eau du domaine public ne peuvent plus être utilement introduites.

Saisie du projet du gouvernement, la Commission de la Chambre, dont le rapporteur était M. Baudin, y apporte d'importantes modifications. Alors qu'il était ministre des Travaux publics, M. Baudin avait déposé, le 6 juillet 1900, un projet qui soumettait toutes les usines du territoire, au régime de la concession de travaux publics. Fidèle à son système, l'honorable rapporteur critique vivement la distinction faite, par le gouvernement, entre les usines privées et les usines publiques. << A tout bien considérer, en effet, écrit M. Baudin, qu'est-ce « qu'une dérivation de force motrice faite sur une rivière du «< domaine public? C'est l'attribution primitivement faite à un << particulier d'une portion, plus ou moins grande, mais bien « définie, de l'énergie virtuellement contenue dans ce cours « d'eau. Le caractère juridique, social, pourrait-on dire, de <«<l'opération est-il influencé par l'importance du volume con« cédé, par la destination que la force doit ultérieurement re«< cevoir ? En aucune façon. Dans quelque hypothèse que l'on « se place, il y a toujours et c'est ce qu'il importe de noter «< -un prélèvement effectué dans l'intérêt d'un seul sur le bien qui appartient à tous. Dès lors, il ne suffit pas que l'Admi<«<nistration prévienne et réprime au besoin les abus de jouis«sance. Un prélèvement sur le fonds public ne nous paraît « pouvoir être autorisé que si l'Etat conserve, en retour, des garanties suffisantes. Ces garanties, à moins d'être aléa<< toires, doivent être exprimées dans un contrat. La conces<«<sion de force hydraulique, acte contractuel passé entre << l'Etat et l'usinier, comporte précisément l'établissement du << contrôle permanent que la Commission juge nécessaire pour << sauvegarder les droits de l'Etat.

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« Aussi la Commission croit-elle justifiée, en principe, l'ex

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