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Le scrutin uninominal, appliqué en Angleterre dans des collèges d'inégale importance, donne donc les résultats les plus choquants, et nous démontrerons plus loin que ces résultats ne seraient pas meilleurs s'il était possible d'égaliser les circonscriptions. Voici, par exemple, la ville de Sheffield, divisée en cinq collèges. Aux dernières élections, les candidats libéraux ont réuni une majorité de 1.178 et de 1.664 voix dans deux circonscriptions, et n'ont obtenu que deux sièges, alors que les conservateurs, avec de faibles majorités de 195, 190 et 184 voix dans les trois autres, ont emporté trois sièges sur cinq. Cependant, les candidats libéraux avaient réuni un total de 27.000 voix contre 24.261 données à leurs adversaires : la minorité a ainsi conquis la majorité des sièges (1). Ce résultat pourrait être d'ailleurs complètement modifié, si les conservateurs perdaient simplement 98, 96 et 93 suffrages dans les trois collèges où ils ont fait triompher leurs candidats; même s'ils en gagnaient dans les deux autres collèges, les libéraux n'en obtiendraient pas moins les cinq sièges et une minorité considérable de 24.000 électeurs sur 51.000 n'aurait alors aucun représentant. Pour qu'il en fût ainsi, pour éliminer les conservateurs, il suffirait d'ailleurs de diviser les cinq collèges de Sheffield d'une manière un peu différente : étrange système électoral qui fait dépendre de la géographie électorale la représentation d'une grande ville!

(1) Nous empruntons ces chiffres et les suivants, qui offrent un intérêt capital, aux statistiques électorales communiquées par M. Rooke Corbett à la Société de statistique de Manchester. Ces statistiques ont été faites avec un si grand soin qu'elles n'ont jamais été discutées. Il n'était cependant pas facile de publier des chiffres d'ensemble approximativement exacts, puisque, dans les collèges où il n'y a qu'un seul candidat, il n'est pas procédé au scrutin. Mais M. Rooke Corbett s'est tiré d'embarras par une hypothèse des plus sensées. Il a supposé que, dans les collèges « incontestés » mais qui avaient été précédemment contestés >>, la situation avait dû se modifier de la même manière que dans les collèges les plus voisins. Il a pu ainsi, à force de recherches et de calculs, établir des statistiques dont, nous le répétons, personne ne met en doute la haute valeur.

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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Earl Grey a fait remarquer avec force, dans le Nineteenth Century du mois de juin dernier, qu'un tel exemple et tant d'antres à sa suite démontraient jusqu'à l'évidence la nécessité d'une réforme électorale également juste pour tous les partis. Il a rappelé, dans cette savante et éloquente étude, que, depuis la réforme de 1884, les élections générales n'avaient cessé de donner des résultats qui choquent à la fois le bou sens et l'esprit de justice. Aux élections générales de 1906, les libéraux ont obtenu, en Ecosse, avec un total de 367.942 suffrages, 60 sièges, soit un siège pour une moyenne de 6.132 électeurs; les conservateurs, avec 235.098 voix, n'ont obtenu que 12 sièges, soit une moyenne de 19.591 voix par député. Le suffrage d'un électeur libéral a donc pesé trois fois plus, dans la balance des partis, que celui d'un conservateur. Et voilà qui est plus extraordinaire encore aux élections de 1910, toujours en Ecosse, les conservateurs ont gagné 42.085 voix et perdu un siège de telle sorte que, cette fois, la valeur d'un vote libéral a été quatre fois plus forte que celle d'un vote conservateur. Si l'on supprime le vote plural qui est très favorable aux conservateurs et qui leur permet d'obtenir péniblement, en Ecosse, 11 sièges avec 277.183 voix, tout porte à croire qu'ils ne seront plus représentés du tout.

Dans le pays de Galles, le parti conservateur qui a réuni, en 1906, un total de 100.547 voix, n'a pu obtenir un seul siège. Il a été un peu plus heureux en janvier 1910, où il a pu conquérir 2 sièges avec 116.696 voix, et en décembre 1910, où il a conquis 3 sièges avec 121.013 voix, mais par de très faibles majorités. Les trois députés gallois de l'opposition représentent donc une moyenne de 40.338 électeurs, tandis que les députés ministériels du même pays ne représentent plus qu'une moyenne de 6.791 électeurs, ce qui revient à dire que le vote d'un libéral gallois a six fois plus de valeur que le vote d'un conservateur.

Par contre, le parti libéral ne possède qu'une représentation dérisoire dans les comtés de Kent, Surrey et Sussex. En janvier 1910, 136.677 électeurs libéraux, soit 38 0/0 du nombre des votants, n'ont pu obtenir un seul représentant dans les trente collèges de ces trois comtés : le hasard leur a permis toutefois, en décembre 1910, de conquérir 2 sièges.

Il est incontestable que, en Angleterre comme en France et en Allemagne, le résultat général des élections dépend, non de la force des parties, mais de la manière dont les suffrages de chaque parti se répartissent dans les divers colleges. C'est ainsi que, aux élections générales de 1886 qui ont fait perdre le pouvoir à Gladstone, les ministériels qui avaient réuni dans le pays une majorité de 54.817 voix n'ont obtenu que 283 sièges, alors que les conservateurs en obtenaient 387. Si la R. P. avait été appliquée, les libéraux auraient eu une majorité de 8 voix dans la Chambre des Communes et Gladstone aurait pu rester au pouvoir .

Aux élections de 1892, les libéraux ont une majorité de 44 sièges, avec une majorité totale de 190.974 voix, alors que la R. P. leur aurait donné 10 sièges de moins. En 1895, les conservateurs ont une majorité de 154 sièges, avec 117.473 voix seulement de plus que les libéraux, et cette majorité formidable aurait été réduite à 12 sièges, par l'application de la R. P. En 1900, les conservateurs ont encore une majorité de 134 sièges avec une majorité de 157.417 voix, soit 118 sièges de trop. Mais en 1906, les libéraux prennent une cruelle revanche avec une majorité de 901.017 voix, ils obtiennent 513 sièges et leurs adversaires 157 seulement, soit une majorité de 356 sièges qui serait réduite à 104 sous un régime de justice électorale. Enfin en janvier 1910 et en décembre 1910, les libéraux sont moins avantagés ; ils n'ont plus en janvier qu'une majorité de 124 sièges avec 495.683 voix de majorité, mais cette majorité de suffrages, qui s'abaisse cependant à 355.945 au mois de décembre suivant, leur permet de gagner deux sièges de plus, c'est-à-dire de conserver une majorité parlementaire de 126 députés, soit 88 sièges de trop (1).

(1) Les mêmes injustices se produisent dans tous les pays où le système majoritaire est en vigueur.

En France, le nombre des mandats obtenu par chaque parti n'a aucun rapport avec le nombre total de ses suffrages. Aux élections générales de 1910, dont les résultats d'ensemble ont été moins injustes qu'à l'ordinaire, par suite des coalitions qui se sont produites contre le parti le plus fort, on a pu constater que 54 députés dont la candidature avait été soutenue par l'Action Libérale représentent un total de 1.089.080 suffrages accordés aux divers candidats de ce même groupe; chacun des députés de l'Action Libérale représente donc une moyenne de 20.330 voix. Les radicaux, y compris les dissidents et ceux qui se rattachent en

Les injustices du scrutin d'arrondissement ont ému à ce point la conscience publique qu'on a dû nommer une « commission royale chargée de faire une enquête sur les systèmes électoraux ». Le rapport de cette commissian, publié il y a trois ans, a été très discuté et il l'est encore. Il constate que le régime électoral du Royaume-Uni donne des résultats choquants, mais qu'il a l'avantage d'être simple, clair, pratique et que l'électeur s'y est habitué. Ce sont les arguments habituels de nos arrondissementiers qui ne s'aperçoivent pas des conséquences d'un pareil raisonnement s'il fallait respecter toutes les habitudes du public et conserver toutes les traditions administratives, les assemblées législatives seraient inutiles et aucune réforme ne devrait s'accomplir, puisqu'elles se traduisent toujours par un changement. Quoi qu'il en soit, la commission royale a été d'une parfaite loyauté, en reconnaissant les erreurs du scrutin uninominal. Elle a trouvé regrettable que des minorités considérables ne soient représentées ni à Manchester, dont tous les députés sont ministériels, ni à Birmingham dont tous les députés siègent dans l'opposition. Cependant la ville de Manchester est divisée en six collèges sensiblement égaux et les sept collèges de Birmingham ne présentent pas des inégalités bien graves. Il n'est donc pas vrai de dire que l'excès de représentation de certains partis provient de la différence de population des divers collè

même temps à l'Alliance républicaine, ont obtenu 253 députés avec 3.264.254 voix, soit une moyenne de 12.500 électeurs par représentant.

En Allemagne, aux élections du Reichstag de 1912, le parti socialiste n'a obtenu que 110 sièges, avec un total de 4.250.000 voix exprimées en sa faveur au premier tour, tandis que le parti du centre obtenait 93 sièges avec 2.035.000 suffrages. Mais voici qui est non moins singulier avec 1.701.000 suffrages, les nationaux-libéraux n'obtenaient que 45 sièges, alors que, aux élections de 1907, avec 1.630.000 suffrages seulement, ils obtenaient 54 mandats. De même, les progressistes n'obtenaient que 45 sièges avec 1.606.000 voix, tandis que, en 1907, ils obtenaient 49 sièges avec 1.233.000 voix. Enfin, aux élections de 1912 à la diète bavaroise, le parti du centre a obtenu 94 sièges avec un total de 463.000 suffrages tandis que les progressistes, avec un total de 489.000 (26.000 de plus), n'ont obtenu que 69 mandats.

ges une nouvelle redistribution, basée sur le nombre des habitants, n'améliorerait pas la situation. On a essayé de la faire on a supposé que le Royaume-Uni était partagé en treize grandes sections divisées à leur tour en collèges de même importance. Les statistiques électorales démontrent que, avec des sectionnements égaux, les conservateurs auraient obtenu, en 1886, une majorité de 102 sièges, au lieu de 104; en 1892, les libéraux, une majorité de 46 sièges, au lieu de 44; en 1895, les conservateurs, une majorité de 172 sièges, au lieu de 150; en 1900, les conservateurs, une majorité de 150 sièges, au lieu de 134; en 1906, les libéraux, une majorité de 352 sièges, au lieu de 356, etc.

La représentation proportionnée ne corrigerait donc pas les erreurs du scrutin majoritaire. Il est aisé de comprendre pourquoi un parti peut réunir une forte majorité des suffrages, sans obtenir la majorité des sièges. Qu'il réunisse, par exemple, 10.000 voix contre 5.000 dans 200 collèges, et 7.000 voix contre 8.000 dans 300 autres, cela fera un total de 4.100.000 voix contre un total de 3.400.000 : le parti le plus nombreux n'aura cependant que 200 sièges et le parti le plus faible en aura 300. Mais la commission royale qui n'a pas contesté ces injustices, n'a cependant pas osé conclure à l'adoption de la R. P. pour les élections de la Chambre des Communes. Par contre, elle a émis l'avis que le système du single transjerable vote conviendrait aux élections municipales et même aux élections d'une seconde Chambre, si l'on décidait que la seconde Chambre serait, non plus héréditaire, mais nommée, comme l'autre, par le corps électoral. On ne comprend pas très bien, au premier abord, pourquoi la R. P., mauvaise pour faire élire les membres de la Chambre des Communes, serait très acceptable pour l'élection d'un Sénat britannique. Cette contradiction, qui a été souvent relevée, nous semble cependant un peu plus apparente que réelle. Il ne faut pas oublier que le problème des deux Chambres est discuté, de l'autre côté de la Manche, avec une très grande passion: il fera même l'objet, aux prochaines élections législatives de 1914 ou de 1915, d'une nouvelle controverse entre les candidats des divers partis. L'expédient du Parliament Act est en effet provisoire, et la Chambre des Lords, réduite à l'impuissance, sans que son

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