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UNE SOLUTION POSSIBLE

POUR L'AFFAIRE DE L'OUENZA

Réponse à M. H. Berthélemy

Dans sa note sur l'affaire de l'Ouenza publiée dans la dernière livraison de cette Revue, M. H. Berthélemy m'a fait l'honneur d'invoquer et de discuter les opinions que, dans mon Traité sur la Législation des Mines, j'ai émises sur cette inextricable question de la minière et de la mine de fer coexistant sur un même gisement, celle-là appartenant au propriétaire du sol, celle-ci à un concessionnaire choisi originairement par l'Administration.

La large hospitalité traditionnellement donnée ici à toutes les opinions, me permet de présenter aujourd'hui quelqus brèves observations en réponse à M. H. Berthélemy. Je crains un peu, en effet, que l'accord qu'il a bien voulu reconnaître entre nos opinions soit plus apparent que réel, surtout dans teur application à l'Ouenza; et si désaccord il y avait effectivement, ce serait pour moi, avec un bien vif regret, beaucoup d'audace que de vouloir lutter contre le maître du droit administratif à la Faculté de Paris. Je m'en excuse à l'avance.

Dans cette étude, je ne retiens que la question purement doctrinale et de caractère général que j'indiquais ci-dessus; je me garderai de toucher aux particularités de l'affaire de l'Ouenza. J'ai été trop mêlé à ses péripéties dans ma vie admi

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nistrative pour ne pas être obligé de les ignorer, bien que dégagé aujourd'hui de tout lien avec l'Administration. Les quelques indications que je pourrai être conduit à rappeler sur la trop célèbre affaire, je ne les emprunterai qu'à des documents dont tout le monde peut disposer.

Il est notamment de notoriété publique que l'affaire de l'Ouenza présente deux questions, plus ou moins liées sans doute l'une à l'autre, distinctes cependant. D'une part, il y a une question d'extraction, d'abatage, sur un gîte de fer, question que complique la séparation matérielle du gîte entre une mine et une minière ; d'autre part, il y a une question de transports des produits abattus, que rendent plus ardue le capital, bien autrement élevé, que nécessite l'organisation de ces transports et les intérêts divers et multiples auxquels on touche ici. D'aucuns pensent, on le sait, que si l'on entrevoyait nettement la solution de la seconde question, on résoudrait rapidement et aisément la première. En tous cas, M. H. Berthélemy n'a parlé que de cette première question, considérée isolément, et à un point de vue un peu théorique par conséquent. Ce n'est aussi que de la théorie que je veux faire à ce sujet.

Donc, M. H. Berthélemy pense que l'on pourrait sortir de toutes les difficultés de la question d'extraction en faisant bénéficier le concessionnaire de la mine de l'Ouenza de la disposition formant l'article 70, paragraphe 2, de la loi organique des mines dans la rédaction que cet article a reçue de la loi du 27 juillet 1880; le concessionnaire, sur sa demande, devrait recevoir, en vertu de ce texte, par décret en Conseil d'Etat, l'autorisation de réunir la minière à la mine; autrement dit, il devrait exproprier à son profit le propriétaire de la minière moyennant l'indemnité à payer à ce dernier, indemnité que M. H.Berthélemy précise très bien en disant qu'elle doit être égale à ce que « le produit net de l'exploitation de cette minière est capable de fournir. » M. H. Berthélemy reconnaît que le concessionnaire de la mine n'exerce pas, en ce poursuivant contre le propriétaire de la minière, un droit en ce sens que sa volonté puisse suffire pour lui en procurer le bénéfice; c'est une faculté dont il ne peut jouir que sous l'appréciation de l'Administration. Toutefois, l'Administration ne pourrait refuser son autorisation à peine de détournement de pouvoir, avec toutes

les conséquences du redressement éventuel par la voie contentieuse, que pour des motifs tirés exclusivement des conditions techniques de l'exploitation. Il semblerait que, pour M. Berthélemy, dès qu'il peut y avoir en faveur du concessionnaire un avantage technique à la réunion, elle doit lui être accordée à peine de détournement de pouvoir.

Je crois cet « exclusivisme» exagéré; je crois à un pouvoir d'appréciation de l'Administration plus large, sans être naturellement plus indéfini que dans toute autre matière où elle a à statuer après une appréciation. Je persiste à lui attribuer ce pouvoir d'appréciation que j'avais rapproché, comme M. H. Berthélemy a bien voulu, du reste, le rappeler, de celui dont elle dispose en matière de concession de mines. Je voudrais brièvement indiquer les raisons que j'ai de penser ainsi.

Ceux qui, occupés des choses des mines et ayant le triste privilège de l'âge dont je suis affligé, ont plus ou moins suivi la révision de la loi organique des mines par la loi du 27 juillet 1880, n'ont certainement pas oublié les faits d'où sont sorties les dispositions de cette loi sur la superposition des mines et des minières. On avait en vue les difficultés et les contestations survenues dans deux de nos principaux districts ferrifères, ceux des Pyrénées Orientales et de Meurthe-etMoselle. Ici et là, que voyait-on ? Des gîtes concédés, en couches ou filons très réguliers, s'enfonçant très nettement et indéfiniment en profondeur de façon à permettre d'établir une exploitation souterraine de durée considérable, en un mot, des mines importantes avec le sens industriel donné généralement à ce terme ; sur l'affleurement de ces gîtes, à la surface, les propriétaires superficiaires avaient ouvert ou pouvaient ouvrir, à titre de minières, des exploitations à ciel ouvert, d'une durée plus ou moins éphémère, rendues encore plus fâcheuses en elles-mêmes comme plus gênantes pour l'exploitation souterraine à raison de la division des propriétés superficiaires; et cette division des propriétés est un des motifs, on

le sait, qui ont amené la séparation légale de la mine et de la propriété du sol. Par les nouvelles dispositions de la loi de 1880, on a voulu donner un moyen juridique de débarrasser la mine, considérée moins dans l'entité d'une concession particulière que dans l'ensemble d'un gîte nécessitant une grande exploitation souterraine, de ce qu'on pourrait appeler ses microbes superficiaires.

Dans ces conditions, on conçoit la solution qui est intervenue la faculté d'expropriation des minières par le concessionnaire de la mine moyennant le remboursement de tout le bénéfice que les propriétaires du sol pouvaient réaliser en les exploitant. Pour le concessionnaire de la mine, au regard de ces minerais de minière, il ne s'agira donc en principe, que d'une « opération blanche ». Seulement il assure ainsi la tranquillité et la régularité de son exploitation souterraine, avec son importance et sa durée, autrement considérables. Il y trouve son avantage et, avec lui, la collectivité, intéressée à la bonne utilisation des substances minérales.

Mais voici des conditions de fait entièrement autres. On a concédé une mine sur des données insuffisantes ou mal comprises à l'origine; cela peut arriver aux administrations les plus averties malgré tout le soin qu'elles y peuvent mettre. Que dans tous les pays on consulte la liste des mines concédées ou instituées et on verra quel obituaire elle constitue. Se tromper entre du minerai de mine et du minerai de minière n'est rien relativement, pourvu qu'il y ait du minerai. Donc, dans une concession originairement instituée pour minerai de fer, il est ultérieurement reconnu que la mine, c'est-àdire la partie exploitable souterrainement, est inexistante ou presque; que tout le minerai, ou à peu près, et en quantité considérable, est exploitable à ciel ouvert, c'est-à-dire en minière; supposons encore, et cela se voit aussi, que tout ce minerai se trouve chez un même propriétaire ; rien ne l'arrête donc pour faire, par lui-même ou son substitúé, une belle et utile exploitation, sauf les ennuis qui pourront résulter pour son exploitation de la présence, sinon réelle, du moins juridique de la mine. Dans une pareille situation, ne pourrait-on pas dire qu'on heurterait le bon sens à vouloir faire bénéficier le concessionnaire de la mine de la faculté d'y

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