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sagers pourra intervenir en faveur d'une escale à Papeete. Selon lui, les navires qui toucheront à Papeete seront presque exclusivement des paquebots ou des bâtiments mixtes ils seront contraints de s'y arrêter pour ne pas imposer à leurs passagers des traversées d'une longueur excessive. Les cargos ne feront qu'exceptionnellement escale à Papeete. En tout cas, quels qu'ils soient, les navires de passage éviteront d'y faire du charbon en raison de son prix élevé on aura, au départ, sacrifié sur l'espace réservé à la cargaison tout ce qui peut être nécessaire pour emmagasiner le charbon exigé par la traversée Panama-Australasie. Pour M. Jullidière, la considération de l'agrément des passagers est secondaire. Il estime que les navires toucheront à Papeete et en nombre important principalement pour se ravitailler en charbon, parce que, au départ, ils auront réduit au minimum leur approvisionnement de combustible, afin de pouvoir réserver au fret un plus grand volume.

En présence de ces avis partagés, il importe d'entrer dans quelques détails. En ce qui concerne les paquebots, leur clientèle est absolument acquise à l'escale de Papeete. Aucune compagnie de navigation n'imposera à ses passagers des traversées de 18 à 20 jours sans relâche (1), alors qu'au prix d'un déroutement de 300 milles environ il est possible de leur offrir une escale aussi attrayante que Tahiti. Tahiti jouit universellement, et légitimement, d'une telle réputation de beauté qu'un important mouvement de tourisme ne saurait manquer de s'y dessiner, dès l'ouverture du canal de Panama. Mais les compagnies ne fussent-elles pas amenées par le souci d'être agréables à leurs passagers à faire relâcher leurs paquebots à Tahiti qu'elles y seraient contraintes par la question du charbon. Les bâtiments à grande vitesse sont grands brûleurs de charbon et en consommeront sur le parcours Panama-Tahiti des quantités voisines de leur portée totale.

Quant aux cargo-boats, la question est plus complexe. Pourront-ils faire sans charbonner les parcours Panama-Sydney,

(1) A la vitesse de 16 noeuds, un paquebot mettra près de 18 jours pour aller de Panama à Auckland et 20 jours pour aller de Panama à Sydney.

7.584 milles, Panama-Auckland 6.659 milles? A la vérité il arrive fréquemment que des cargos effectuent, sans escale, des parcours presque aussi longs et quelquefois plus longs. Mais c'est uniquement parce que, le fret étant rare au départ, ces navires peuvent consacrer au charbon un espace considérable. M. Douvry cite l'exemple des navires qui trafiquent entre la côte Est de l'Amérique du Nord et la côte Ouest de l'Amérique du Sud. Ils prennent habituellement, au départ de New-York, assez de charbon pour se rendre sans escale jusqu'à Coronel (Chili) à 8.342 milles de NewYork, où ils trouvent du charbon chilien. Au retour, ces navires ne prennent que peu de charbon à Coronel et charbonnent à Montevideo où le charbon est fort cher (45 francs la tonne, et au-dessus), et à Sainte-Lucie. Cet exemple met précisément en lumière la fonction essentielle des escales à charbon qui est d'accroître la capacité de transport des navires le volume des importations de la côte Ouest de l'Amérique du Sud étant très inférieur au volume de ses exportations, les navires ne sont généralement au départ de New-York qu'incomplètement chargés en marchandises, et il est indiqué qu'ils y embarquent tout le charbon nécessaire au parcours New-York-Coronel. Mais, au départ de l'Amérique du Sud, le fret est généralement abondant et les taux de transport sont élevés : les navires ont intérêt à réduire leur chargement en charbon et à consacrer leurs soutes de réserve au transport du fret, qui est la raison même de leur existence. Ils sont ainsi conduits à refaire leurs soutes dans des ports où le charbon est cher tel que Montevideo. Une station de charbon n'est donc pas forcément « brûlée » par les navires pour la seule raison que le charbon y est cher. Son fonctionnement est étroitement lié à l'intensité du trafic et aux taux des frets sur la voie maritime qu'elle doit desservir. Elle pourra être utilisée d'une manière constante sur certaines directions du trafic et rarement sur les directions inverses.

Il paraîtra intéressant de montrer le mécanisme de l'escale de Papeete, au moyen d'un exemple se rapportant précisément à l'une des principales directions du trafic sur la route Panama-Australasie, et de faire voir que le bénéfice procuré par l'escale aux cargo-boats, grâce à l'accroissement de leur

capacité de transport, peut être supérieur aux dépenses qu'elle leur occasionne.

Considérons, comme type moyen du cargo-boat devant transiter à Panama en 1915, un bâtiment de 4.000 tonnes de jauge nette, dont la machine développe de 2.500 à 3.000 chevaux, faisant une moyenne de 250 milles et brûlant environ 45 tonnes de charbon par jour. Le coût quotidien d'un tel navire est voisin de 1.400 fr., la dépense de charbon non comprise. Supposons qu'il doive se rendre de New-York à Sydney. S'il évite l'escale de Papeete, il prendra au départ de New-York tout le charbon nécessaire à la traversée PanamaSydney (7.584 milles), soit 1.363 tonnes, et il remplacera à Panama le charbon qu'il aura brûlé de New-York à Panama. Il convient, en effet, de noter que c'est à New-York, où le charbon vaut environ 15 fr. la tonne, et non pas à Panama où il vaudra au minimum 24 fr. (1), que notre navire embarquera généralement le charbon de la traversée Panama-Sydney : il est peu probable qu'il soit obligé de restreindre son chargement en charbon à New-York en raison d'un fret qu'il transporterait à destination de Panama seulement. En tout cas, adoptons ce point de vue qui est le plus défavorable à Papeete.

Si le navire doit faire escale à Papeete, il lui suffira d'embarquer à New-York le charbon nécessaire à la traversée Panama-Tahiti (plus longue que New-York-Panama) (2), soit 815 tonnes. Il pourra donc disposer du poids et de l'espace représentés par 548 tonnes de charbon et prendre au moins, en moyenne, 600 tonnes de fret en plus, tenant compte de ce que le fret voyage souvent à l'encombrement. En escomptant, ainsi que le fait M. Jullidière, des taux variant de 40 fr. à 50 fr. pour le fret de New-York à Sydney, après l'ouverture du canal estimation qui n'a rien d'exagéré, notre navire réaliserait donc, du chef de l'escale, une recette de 24.000 à 30.000 francs.

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(1) Le gouvernement américain entend se réserver le monopole de la vente du charbon dans la zone du canal pour des raisons d'ordre militaire; il aurait pris l'engagement de le céder à prix coûtant.

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Or les dépenses dues à l'escale seront les suivantes, en supposant le charbon vendu 15 fr. à New-York et 40 fr. à Tahiti, et en fixant à 9 à 10 heures la durée de l'escale :

1o Excédent de prix pour le charbon exigé par la traversée Papeete-Sydney, soit pour 598 tonnes payées 40 fr. au lieu de 15 francs:

...Fr. 14.950

2o Consommation de charbon supplémentaire nécessitée par le déroutement de 275 milles et correspondant à 1 jour, 1,soit 50 tonnes à 15 francs:

3o Perte de temps de 1 jour, 5 (1 jour, 1 plus 0 jour, 4 pour le séjour dans le port):

4o Taxes de port (pilotage, amarrage, etc.):

Total

750

2.100

150

17.950

Soit,en chiffres ronds, 18.000 fr. Le navire réaliserait donc, en définitive, un bénéfice de 6.000 fr. à 12.000 fr. La différence de 25 fr. entre le prix du charbon à Papeete et au port de départ, que nous avons envisagée, peut être considérée comme maxima, les prix du charbon aux ports de ravitaillement possibles autres que New-York étant partout supérieurs à 15 fr.: Sydney (18 fr. à 21 fr.), Auckland (28 fr. à 30 fr.), Wellington (25 fr.), Panama (24 fr.), ports d'Europe (16 fr. à 30 fr.). Les taux du fret au départ de ces ports pourraient donc être inférieurs à ceux que nous avons considérés pour New-York, sans que notre conclusion en fût forcément modifiée.

Ainsi donc l'escale de Tahiti s'imposera quand le taux des frets au départ sera suffisamment élevé et la différence du prix du charbon au port de départ et à Tahiti pas trop forte. Ce sont en effet les deux facteurs qui dominent la question d'une escale à charbon. Or, d'une part, au moins sur deux directions principales du trafic devant emprunter la route Panama-Australasie les frets se maintiendront, en général, à des prix élevés :

1o Des Etats-Unis de l'Est vers l'Australasie (1). 2o De l'Australasie vers l'Europe.

Les deux directions inverses seront à cet égard moins favorisées, le plus gros volume du commerce des Etats-Unis

(1) L'exemple que nous avons étudié se rapportait à cette direction du trafic.

avec l'Australasie et du commerce de l'Australasie avec l'Europe se trouvant à l'exportation. Il est donc permis d'escompter que ces deux directions du trafic fourniront un tonnage important à l'escale de Papeete. D'autre part, ainsi que nous le verrons plus loin, Tahiti bénéficiera pour son approvisionnement en charbon de conditions plutôt favorables qui permettront de le vendre à des prix ne semblant pas devoir dépasser 40 fr., lesquels n'auront généralement rien de prohibitif.

D'autres facteurs de moindre importance peuvent influer sur le fonctionnement de l'escale: les taxes du port, le temps nécessaire au charbonnage. Il serait inopportun d'appliquer aux navires qui fréquentent un port exclusivement pour s'y ravitailler en charbon d'autres taxes que celles représentatives d'un service rendu (pilotage, amarrage, etc.). Il a été tenu compte de ce point de vue dans l'établissement des taxes du port de Papeete. Il convient également de réduire leurs frais d'escale en fournissant aux navires des moyens de charbonnage rapide; rappelons que le coût quotidien d'un cargo-boat de 4.000 tonnes de jauge nette s'élève sur rade à 1.400 fr. par jour environ. L'outillage perfectionné dont sera muni le port de Papeete permettra un ravitaillement rapide et sera un élément très appréciable du succès de l'escale.

En résumé, l'ensemble des conditions dont dépend le succès d'un port d'escale paraît rempli d'une manière assez satisfaisante à Papeete pour qu'on puisse y escompter un important tonnage. Il n'échappe à personne combien il est difficile d'apporter de la précision dans une pareille matière. Nous croyons faire des estimations extrêmement modérées en présentant les chiffres suivants: fixant à 9/10 la fraction du tonnage des Etats-Unis à destination de l'Australasie et du tonnage de l'Australasie à destination de l'Europe, soit 506.629 tonnes, - et à 2/10 la fraction du tonnage correspondant aux directions inverses, soit 87.107 tonnes, qui pourront faire escale et charbonner à Papeete, nous obtenons comme tonnage probable d'escale pour 1915: 593.736 tonnes, soit, en chiffres ronds, 600.000 tonnes de jauge nette.

Pour connaître l'importance de la fourniture de charbon,

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