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LE CANAL DE PANAMA

ET

LE PORT DE PAPEETE (TAHITI)

Aux citoyens américains qui ont participé, pendant quatre années de services ininterrompus, aux travaux de percement de l'isthme de Panama le gouvernement des Etats-Unis remet une médaille commémorative portant en exergue la devise: «Land divided, world united ». « Le continent est divisé, le monde est uni ». Bien que cette formule, chère aux Américains, en proclame l'intérêt mondial, ce sont surtout les EtatsUnis qui bénéficieront de l'œuvre de rapprochement et d'union réalisée par le canal. Mais il est au moins un point du globe où les intérêts français en ressentiront, d'une manière exceptionnelle, l'effet bienfaisant, c'est en Océanie.

Archipels perdus au sein du Pacifique sud, leur éloignement des grandes routes de navigation et leur isolement presque complet se sont opposés jusqu'ici au développement normal de nos établissements d'Océanie. Quel contraste n'offrent-ils pas avec les îles Hawaï si prospères qui se trouvent, dans le Pacifique Nord, au croisement des lignes de la Californie au Japon et de l'Australasie au Canada. Malgré sa bonne situation financière accusée par ses budgets en excédent, malgré la progression récente de son commerce (1), la situation géné

(1) Le commerce extérieur total des Etablissements français d'Océanie est représenté, en valeur et en poids, par les chiffres suivants pour les années 1909 à 1911:

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Il comprend à l'exportation: coprah, nacres, vanille, coton, fruits, etc., et à l'importation principalement des objets manufacturés.

rale de notre colonie est loin d'être ce qu'on pourrait attendre. Sa population est insuffisante (1), la main-d'œuvre y est rare, beaucoup de terres fertiles y restent incultes, toutes ses facultés de production et son commerce sont entravés par la cherté des frets (2), ses sites pittoresques ne sont pas visités, ses admirables ports naturels sont inutiles et, malgré les dons les plus précieux, toute sa vie économique est comme paralysée.

Or l'ouverture du canal de Panama va créer prochainement un mouvement de navigation très important entre Panama et les ports d'Australasie. Aux navires qui devront franchir plus de 6.600 milles pour atteindre la Nouvelle-Zélande et plus de 7.500 milles pour atteindre l'Australie, notre colonie, située à proximité du milieu de leur route, offrira opportunément une station de ravitaillement en charbon et une escale des plus séduisantes. C'est pour elle la fin de l'isolement. M. Emory Johnson, membre de la commission américaine du canal de Panama (1899-1901), qui s'est livré à un examen approfondi de toutes les questions économiques relatives au canal, écrivait dans le rapport de cette commission: « La route de Panama à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande passe tout près

(1) L'île de Tahiti, la plus grande de nos établissements, porte 11.000 habitants sur un territoire plus grand que celui de la Martinique qui en contient plus de 180,000, ainsi que le fait remarquer M. Jullidière dans son rapport. L'ensemble des archipels de la Société, des Marquises, Tuamotu, Gambier, Tubuai, d'une superficie totale de 4.100 kmq., ne compte pas 30.000 habitants.

(2) Le port de Papeete, chef-lieu des établissements français d'Océanie, est actuellement desservi:

1° Tous les 28 jours, par la ligne Wellington-San-Francisco, et par la ligne Sydney-Auckland-Tahiti avec escales aux Iles Sous-le-Vent, exploitées l'une et l'autre par l'« Union Steamship C° » de Nouvelle-Zélande;

2o Depuis peu, tous les deux mois, par une ligne effectuant le tour du monde (France, Sydney par le cap de Bonne-Espérance, Nouméa, Tahiti, France par le cap Horn), exploitée par la Compagnie navale de l'Océanie, qui est française.

Les frets de Papeete sur l'Australasie et la Californie sont de 45 fr. à 50 fr. Les frets de Tahiti sur l'Europe varient de 120 à 140 fr., selon la nature des marchandises, par les navires de l'U. S. S. C° et des Messageries maritimes avec transbordement à Sydney et de 60 à 90 francs par les navires de la compagnie navale de l'Océanie.

de l'île de Tahiti qui deviendra, sans aucun doute, une importante station de charbon après l'ouverture du canal. »

Préoccupé d'assurer à notre colonie tout le bénéfice que semblait lui réserver sa situation privilégiée, le gouvernement a fait étudier par une mission technique interministérielle les installations qu'il conviendra d'y organiser. Les membres de cette mission, composée de MM. Jullidière, Douvry et de M. lė lieutenant de vaisseau Bienaymé, ont conclu unanimement, malgré des divergences sur un certain nombre de points, à la création d'un port d'escale avec dépôt de charbon à Papeete, dans l'île de Tahiti; ils ont dressé un programme de travaux. Les avantages naturels incomparables de ce port, sa situation centrale parmi nos archipels dont il est l'entrepôt devaient le désigner au choix des membres de la mission. Après approbation de leurs conclusions par le Comité des Travaux publics des colonies, le gouvernement a chargé une commission interministérielle de rechercher les moyens pratiques d'exécuter les travaux et d'assurer l'exploitation du port et du dépôt de charbon (1). Comme conclusion à toutes ces études un projet de loi relatif à la création d'un port d'escale avec dépôt de charbon à Papeete a été déposé par le gouvernement.

Les travaux prévus par le projet de loi comportent, principalement, l'établissement de phares éclairant la route d'accès au port,l'approfondissement et l'élargissement de la passe d'entrée, l'installation d'un poste de télégraphie sans fil, l'exécution de divers aménagements et enfin l'installation d'un dépôt de charbon muni d'un outillage perfectionné permettant le ravitaillement rapide des navires.

Le port de Papeete, profond, spacieux, offrant derrière sa ceinture de récifs un abri des plus sûrs, se prête à la réalisation d'un tel programme dans des conditions relativement économiques. Les dépenses prévues pour les travaux de première urgence s'élèvent à six millions et à quatre millions pour les travaux de deuxième urgence.

Le gouvernement a considéré que la prospérité du port dépendait essentiellement de celle du dépôt de charbon et il a établi une liaison ingénieuse entre les deux organismes,

(1) Les rapports des membres de la mission et du comité des Travaux publics ont paru à l'annexe au Journal Officiel du 19 mai 1913.

concédant le port de Papeete pour une durée de 50 ans, avec obligation pour le concessionnaire d'y établir et exploiter un dépôt de charbon.

Il n'entre pas dans le cadre de cet article d'examiner le détail de la convention qui fait l'objet du projet de loi. Nous nous proposons seulement de rechercher le tonnage probable du port de Papeete et d'analyser les diverses questions d'ordre économique qui se rattachent à l'existence de ce port et peuvent influer sur son avenir.

Le trafic susceptible d'intéresser le port de Papeete après l'ouverture du canal de Panama est celui de l'Australasie avec les pays situés sur l'Atlantique. On peut le diviser en trois branches principales correspondant, comme nous le verrons plus loin, à des degrés de probabilité différents en ce qui concerne les prévisions de tonnage sur chacune d'elles :

1° Commerce de l'Australasie avec les Etats-Unis et le Canada de l'Est (1);

2o Commerce de la Nouvelle-Zélande avec l'Europe; 3o Commerce de l'Australie avec l'Europe.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande, malgré leur faible population qui ne dépasse pas 5 millions et demi d'habitants, ont un commerce maritime très développé et un pouvoir de consommation considérable. Le chiffre par tête du commerce extérieur y est environ de 700 fr., et les classe immédiatement après la Belgique et la Suisse. Il est quatre fois supérieur à celui des Etats-Unis, vingt-cinq fois à celui du Japon et cent fois à celui de la Chine.

Les importations de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, pays sans grande industrie, comprennent surtout des objets manufacturés. Ainsi leurs importations en provenance des Etats-Unis consistent principalement en machines, rails, fil de fer, matériel d'agriculture, véhicules de tous genres, coton

(1) Il est à noter que le commerce du Canada avec l'Australasie est extrêmement restreint; pratiquement seuls les Etats-Unis comptent pour cette branche du trafic.

manufacturé, vêtements, papier, médicaments, conserves de poisson, chaussures, huiles minérales, etc.

Les principales ressources de l'Australie et de la NouvelleZélande sont d'origine pastorale, agricole, minière. Les exportations australiennes à destination des Etats-Unis consistent principalement en laines, peaux et cuirs, cuivre, étain, à destination de l'Europe, en laines, viandes congelées, produits de laiterie, fruits, métaux.

Nous rechercherons, au cours de cette étude, quel tonnage probable fourniront à la route Panama-Australasie les trois branches de trafic considérées plus haut, ensuite quelle fraction de ce tonnage est appelée à utiliser l'escale de Papeete, enfin quelles perspectives semblent réservées au mouvement de la navigation entre Panama et l'Australasie et au port d'escale de Papeete.

II est à peine besoin de le faire remarquer, la solution de tels problèmes n'est pas susceptible d'une grande précision. La détermination du tonnage probable du port de Papeete comporte un degré d'incertitude de plus que celle du tonnage probable du canal se rapportant au trafic australasien. Or cette dernière nécessite déjà un certain nombre d'appréciations arbitraires dont la connaissance est très propre à mettre en garde contre toute superstition vis-à-vis des chiffres obtenus. Malgré leur imprécision, ces chiffres donneront une idée suffisamment juste de l'ordre de grandeur des mouvements maritimes étudiés.

I. TONNAGE PROBABLE DE LA NAVIGATION ENTRE PANAMA ET L'AUSTRALASIE.

Ce tonnage est une fraction du tonnage probable du canal de Panama, lequel a fait l'objet de très nombreuses études. La dernière en date, « Panama Canal Trafic and Tolls >> (1912), est dûe à M. Emory Johnson. Nous en extrairons les chiffres suivants donnant, pour 1910, le tonnage de jauge net total de la navigation entre les pays précités :

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