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temps que d'opérer de larges réformes sociales, à caractère nettement élatiste. Au surplus, ces réformes sociales sont un excellent terrain pour opérer la concentration d'éléments contraires elles sont en effet demandées par tous les groupements, et accueillies avec une égale satisfaction par les réactionnaires et les partis de révolution. En les accordant à ceux-ci, le gouvernement est certain de ne pas déplaire à ceux-là.

Et, malgré l'expédition de Tripolitaine qu'elle a désapprouvée, la soi-disant gauche quoi qu'en pensent certains, n'abandonnera pas volontiers M. Giolitti un grand nombre des éléments dont elle se compose sont, en effet, ouvertement giolittiens. Certes, le groupe réformiste est moins nombreux que le groupe socialiste officiel, mais il dispose, à n'en pas douter, d'une force supérieure ; on ne peut nier que les idées réformistes aient, à l'heure actuelle plus de crédit en Italie que les idées révolutionnaires, et que les classes laborieuses fassent plus confiance, pour une amélioration progressive de leur sort, aux mesures légalement obtenues qu'à l'insurrection et à la violence. Si les révolutionnaires, hostiles à M. Giolitti, sont dans la Chambre nouvelle plus nombreux que les réformistes, c'est seulement qu'ils ont présenté plus de candidats. Le parti réformiste, qui date d'à peine une année, et dont l'organisation est nécessairement encore embryonnaire, n'a pu faire dans tous les collèges la propagande qui eût été utile, mais les succès qu'il a remportés partout où il s'est affirmé témoignent à l'évidence de la faveur avec laquelle il est vu. Or, la collaboration à tout cabinet de gauche est l'un des articles de son programme les réformistes seront, demain plus encore qu'hier, l'un des plus solides éléments de la majorité.

Et ne peut-on pas prévoir qu'il en sera de même d'un bon nombre de catholiques? La tendance intransigeante est, en effet, parmi ces derniers en notable décroissance. Les catholiques veulent être surtout des libéraux : c'est la raison pour laquelle ils ont attiré à eux la majorité des modérés. Leurs efforts tendront de moins en moins à un rétablissement du passé, qu'ils savent impossible, et qu'au fond le Saint-Siège ne désire pas plus qu'aucun Italien d'aujourd'hui. Ils tendront surtout à obtenir de M. Giolitti la pratique d'une poli

tique libérale, respectueuse de l'Eglise; or cette politique, ils savent que le gouvernement la pratiquera précisément si on ne fait pas mine de l'y contraindre. La «< manière douce » est indispensable pour obtenir de lui ce qu'on désire. Aussi M. Giolitti trouvera-t-il dans les éléments catholiques et modérés qui sont entrés en grand nombre à la Chambre non des adversaires, mais des alliés discrets qu'il saura, au surplus, certainement ménager.

Accepté par les réformistes et les radicaux, soutenu par les démocrates constitutionnels, qui sont un véritable Comité <«< Pro Giolitti », regardé avec sympathie ou au moins sans méfiance par les catholiques et les modérés, M. Giolitti n'a même plus à craindre la majeure partie des républicains. Que dis-je, il peut compter sur la plupart de ceux qui sont entrés à la Chambre. Le parti républicain, qui n'avait que quelques forces modestes a cru bon de les épuiser dans d'inutiles discussions, qui ont engendré des divisions moins utiles encore. Le Comité central est ému du tripolntisme de certains membres du parti; il a considéré que des républicains ne pouvaient approuver la politique d'un gouvernement monarchique sans mettre une véritable trahison. On a eu beau lui représenter que même des républicains avaient le droit de faire passer l'intérêt national avant les considérations de parti, et qu'aussi bien un ralliement à la royauté démocratique pourrait être plus profitable aux intérêts du peuple qu'une perpétuelle et stérile opposition. Il est resté sourd à tous ces arguments, et dans le Congrès de Falconara a prononcé l'excommunication majeure contre les ralliés. Le résultat a été la formation de deux groupes de républicains; en face du parti officiel, et autour des leaders dissidents, toute une petite phalange d'adhérents s'est ralliée. Celle-ci a, aux élections, remporté une grande victoire avec le succès à Rome de M. Barzilai; elle en a encore remporté ailleurs de plus modestes, tandis que le parti officiel ne parvenait presque nulle part à faire passer ses candidats. Ceux qui ont triomphé sont si peu nombreux que l'opposition qu'ils pourraient faire au gouvernement semble vouée à un insuccès fatal. M. Barzilai et ses amis, loin de seconder leurs efforts, défendront

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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bien plutôt contre eux le gouvernement lui-même. Ce dernier peut espérer ainsi l'appui des républicains dissidents. pour toutes les œuvres de caractère national qu'il essaiera d'entreprendre ; cet appui ne lui a pas fait défaut lors de l'expédition de Tripolitaine, il ne lui manquera pas da vantage dans le domaine de la politique intérieure pour l'exécution de toutes les grandes réformes sociales à caractère vraiment démocratique et laïque.

Où qu'il regarde, M. Giolitti trouve donc des concours prêts à s'offrir. S'ils ne lui font pas défaut, si lui-même parvient à vaincre l'opposition que rencontre dans le pays la conquête de la Tripolitaine, la Chambre nouvelle sera vraisemblablement plus active encore que sa devancière. Quoi qu'en pensent certains, l'activité de la Chambre élue en 1909 n'a pas été toujours stérile elle a abouti au contraire souvent à de salutaires résultats. Si ce n'est à nos yeux qu'un mince titre de gloire d'avoir tenu 587 séances, voté 1.137 lois, entendu 1.250 interpellations, c'en est un, par contre, et notable, d'avoir établi un nouveau code de procédure pénale, réorganisé la magistrature, la navigation intérieure, les bourses, la tutelle des émigrants, le travail des femmes et des enfants, les services maritimes subventionnés, la marine libre; c'en est un surtout d'avoir amélioré par la loi du 4 juin 1911 l'enseignement élémentaire et populaire, d'avoir, par la loi du 4 avril 1912, édicté le monopole d'Etat pour les assurances sur la vie, d'avoir, par les lois des 30 juin 1912 et 19 juillet 1913, établi pour les élections politiques et les élections administratives, le suffrage quasi universel. Certes ces réformes diverses peuvent ne pas mériter toutes une égale approbation, les unes et les autres peuvent sur certains points être susceptibles d'améliorations, mais ce serait nier l'évidence que refuser de reconnaître les efforts généreux et incessants qu'ont fait le gouvernement et le Parlement giolittiens pour le développement économique et social du pays; ce serait faire preuve d'une injustice aveugle que

ne pas tenir compte de la vaste entreprise coloniale que par la conquête de la Tripolitaine, ils ont commencée, et qui, malgré ses charges, sera cependant dans l'avenir particulièrement précieuse pour l'Italie.

La route qui s'ouvre devant la Chambre nouvelle est plus vaste encore que celle qu'a parcourue sa devancière. La 24 législature a de multiples problèmes à résoudre pour ne ciler que les principaux, l'organisation de la Lybie, les charges financières dues à la conquête, la réforme des impôts, les pensions à la vieillesse, le chômage, le renouvellement des traités de commerce, l'arbitrage obligatoire pour l'interprétation des contrats de travail, l'enfance abandonnée, la criminalité juvénile, l'enseignement secondaire et supérieur, l'amélioration de la santé publique, le développement de l'agriculture par une législation sur les cours d'eau, sur la culture forestière, les épizooties, les maladies des plantes, sont parmi les matières d'ordre financier, économique ou social dont le nouveau Parlement aura à connaître.

L'accord ne se fera sans doute pas sur toutes avec une égale facilité, on peut cependant prévoir que M. Giolitti, si, encore une fois, il parvient à vaincre l'opposition qu'à raison de la Tripolitaine, les partis avancés formeront contre lui, réussira par les transactions habituelles, à établir et à faire accepter les réglementations qui lui sembleront nécessaires. Et l'entente des groupes de la Chambre entre eux, celle de la Chambre et du gouvernement seront d'autant moins difficiles que les deux grandes questions qui pourraient entraîner des divisions perdront, semble-t-il, peu à peu de leur importance. La Tripolitaine forme actuellement encore un vaste fonds de discussions les uns se félicitant de la conquête, les autres la déplorant. Peu à peu ces derniers se rendront compte que devant le fait accompli les regrets sont inutiles, on peut prévoir que peu à peu tous se mettront à l'œuvre pour tirer de la conquête effectuée le plus grand nombre possible de bénéfices. L'autre question, plus épineuse et plus durable, la question religieuse, n'amènera sans doute pas non plus en Italie les mêmes divisions intestines qu'elle a produites en France; car, si l'extrême gauche est nettement de l'opinion an

ti-cléricale, son anticléricalisme, parce qu'italien, se nuance et se nuancera d'ombres légères qui en atténueront la vigueur. Le gouvernement, au surplus, saurait de lui-même ne pas aller trop avant dans la voie où on tenterait de l'entraîner.

Malgré donc la confusion de ses partis politiques, que M. Giolitti reste au pouvoir, ou qu'il tombe, l'Italie, aussi éloignée d'une réaction cléricale que de la révolution socialiste, voit s'ouvrir devant elle, au lendemain de la consultation nationale qui vient d'être effectuée, une ère nouvelle, et sans doute féconde, de travail parlementaire et législatif.

ERNEST LÉMONON.

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