listes, et les républicains. Et qu'on ne dise pas qu'il y a là de notre part quelque exagération; les « candidats de l'ordre >>> pour lesquels, dans les collèges où les évêques avaient levé le non expedit, les électeurs catholiques ont été autorisés à voter, étaient fort souvent soutenus par le gouvernement lui-même. Dans beaucoup de collèges la prétendue droite et la prétendue gauche ont appuyé les mêmes candidats. Quoi d'étonnant à cela au surplus, puisque la droite et la gauche ont le même programme? De la similitude de leurs vues, on a eu la preuve matérielle par le rapport au Roi de M. Giolitti sur la situation politique, et la lettre de M. Sonnino à ses électeurs de San Casciano. Sur l'expédition de Tripolitaine, sur le suffrage universel, sur les dépenses militaires, l'équilibre des budgets, les réformes sociales, ces deux prétendus adversaires sont d'accord, et s'adressent de mutuelles félicitations. A peine leurs sentiments diffèrent-ils sur quelques méthodes d'application. Et l'entente entre eux est si complète qu'ils ne craignent pas de prendre les mêmes collaborateurs. M. Bertolini, par exemple, actuellement ministre des Colonies, a été autrefois ministre dans un cabinet de droite Pelloux, aux côtés de M. Salandra. Et son cas n'est pas unique. L'extrême-gauche elle-même a, au fond, le même programme que M. Giolitti ou M. Sonnino. Certes, il y a un certain nombre de socialistes le parti officiel - qui sont assez nettement révolutionnaires et antigouvernementaux ; il y a de même un certain nombre de républicains dont le seul but est une politique d'agitation antimonarchiste, mais à côté d'eux n'y a-t-il pas de non moins nombreux réformistes qui soutiennent ouvertement le gouvernement, et dont certains seront même appelés quelque jour à la direction des affaires publiques ? M. Bissolati, par exemple, est un ministrable, auquel le Roi avait même proposé de faire partie de la combinaison actuelle; son refus, motivé par la crainte qu'il éprouvait encore de quelques révolutionnaires turbulents, ne se reproduirait sans doute plus aujourd'hui où, par la création qu'il a faite du parti réformiste, il n'a plus d'attaches avec ceux-ci, Non moins ministrables sont d'éminents républicains qui, détachés de l'organisation officielle du parti, et suivant en quelque sorte l'exemple des républicains espagnols, ont affirmé au récent Congrès de Falconara leur volonté de soutenir le gouvernement dans son œuvre d'expansion nationale et de réformes démocratiques. Et non moins ministrables enfin tous les radicaux qui, depuis la formation du parti ont donné aux gouvernements de gauche, et notamment à M. Giolitti, un concours qui ne s'est jamais démenti. Ces gouvernements ont au surplus déjà appelé à eux plusieurs de leurs chefs, et cinq de ceux-ci font partie du cabinet actuel; l'un des plus écoutés, M. Nitti, est ministre du Commerce, de l'Agriculture et de l'Industrie. L'aveu très franc de cette confusion de tous les partis politiques, de cette identité presque complète des vues de tous les groupes, a été fait il y a quelques années par M. Nitti lui-même. L'honorable député, dans un livre où il essayait de préciser ce que devrait être l'action radicale, écrivait, au cours d'un chapitre sur « la confusion parlementaire dans un pays sans politique », que « la droite et la gauche n'étaient plus que des noms sans contenu, et que les mêmes hommes s'unissaient et se désunissaient selon les circonstances ». Et il ajoutait : « Les antipathies locales, les traditions du passé, les incompatibilités de tempérament font dans la Chambre les partis politiques plus que les idées et les programmes. » Cette situation a été créée par des causes très diverses. Le transformisme, qui a été sa cause immédiate, s'est fait tout naturellement, parce que la «< combinazione », la politique de transaction, sont beaucoup plus dans le tempérament italien que la politique de combat, telle que la comprenaient avant 1876 les deux partis, la droite et la gauche, entre lesquels était divisé le pays. Et qu'on ne s'étonne pas de ce peu de goût qu'ont les Italiens pour les sitations nettes et les luttes de partis. Leur éducation historique n'a pas été la même que la nôtre. Ils n'ont jamais connu comme l'Angleterre, la France, l'Allemagne ou la Russie de grandes révolutions politiques, ou de grandes luttes religieuses, ce sont seulement des luttes civiles et locales qui les ont, au cours des siècles, divisés. Et l'unité qu'ont réalisée les événements de 1860 n'a pas fait naître chez eux cette conscience nationale qu'ils n'avaient pas jusqu'alors, et dont quelques enthousiastes ont vu l'éclosion dans la récente expédition de Tripolitaine. « L'Italie, écrivait justement M. Nitti en 1907, a encore toute l'hérédité du passé, l'esprit sectaire et encore assez diffus, l'indifférence à toute politique entendue au sens large, au contraire, la passion très vive des luttes individuelles. » Ces sentiments, loin de diminuer, n'ont fait que s'accroître à mesure que se sont développées les racines du transformisme; ils sont à présent en pleine force, et la politique de M. Giolitti n'a reçu une si unanime approbation que parce qu'elle est précisément leur expression immédiate. M. Giolitti est véritablement le symbole, la personnification de la politique italienne : nul plus que lui ne s'entend aux transactions et aux accommodements. « Il a plus que tout autre, écrivait encore M. Nitti, un de ses plus fidèles amis et aujourd'hui l'un de ses meilleurs collaborateurs, le désir d'être le chef d'une démocratie radicale, mais ces aspirations intimes i les abandonne si les nécessités pratiques lui imposent de s'unir à des éléments conservateurs. Il sait ce que le Parlement veut et ne veut pas. Il ne veut pas être contredit, et c'est pourquoi il préfère quelquefois des personnes médio. cres, mais sûres, et tolère que les fonctionnaires de l'Etat envahissent le Parlement. Il n'aime pas à s'occuper des choses lointaines, ni de questions d'ordre général... » Ce politique à courte vue n'est pas un dictateur ordinaire; il n'est pas subi, mais consenti. Et l'Italie a tant besoin de lui, il est si bien « the right man in the right place » qu'elle l'appela de tous ses vœux quand il a cru devoir abandonner le pouvoir. Aussi n'a-t-il pas d'adversaires. M. Sonnino ou M. Bissolati, ministrables de prétendue droite et de prétendue gauche, ne sont que des candidats à un poste, qu'ils géreraient au surplus de même façon, d'après leurs déclarations mêmes, que son titulaire actuel. Et la carrière politique même de M. Giolitti est, elle aussi, d'un enseignement précis sur l'esprit public italien. Il n'est peut-être pas de politique qui ait connu plus que lui les fureurs populaires. Après les scandales de la Banque romaine, il semblait à tout jamais déshonoré. Mais il a eu patience, se souvenant que le condamné d'aujourd'hui peut fort bien être le héros de demain. Et son intuition ne l'a pas trompé. Les Italiens ont à présent autant d'admiration pour lui qu'ils avaient de haine il y a vingt ans. Leurs fureurs ou leurs enthousiasmes politiques ne durent pas, et il en est ainsi parce que ces fureurs et ces enthousiasmes s'appliquent non à des idées ou à des principes, mais à des actes isolés. On a honni en 1893 M. Giolitti uniquement pour le rôle qu'il avait joué dans la Banque romaine, on l'a acclamé hier parce que sa politique, faite au jour le jour, traduisait fidèlement les sentiments de chacun. Et on ne peut nier que M. Giolitti ait en effet une intelligence très fine des aspirations et des besoins de l'Italie; il les devine quand ils sont encore confus, et il parvient le plus souvent par ce moyen à diriger, au lieu de la suivre, l'opinion publique. Aussi tient-il en ses seules mains tous les fils de la politique du pays. Les Italiens ont si bien renoncé à leur indépendance pour s'en remettre à sa seule direction que nombreux sont ceux qui se disent eux-mêmes des «< giolittiens ». « Or, comme fait remarquer M. Nitti, dans aucun pays un parti politique n'est désigné par le nom d'un homme », et l'honorable député d'ajouter avec quelque sévérité : Il est véritablement humiliant d'abdiquer sa personnalité entre les mains d'un homme, et de renoncer à avoir une action politique distincte de la sienne. Celui qui entre dans un parti doit bien évidemment renoncer à une part de sa propre indépendance, mais s'il peut y renoncer pour un principe, il est humiliant d'y renoncer pour un homme. » Le giolittisme de l'Italie est le symptôme le plus caractéristique de l'état où sont tombés les partis et les luttes d'idées. III Les élections qui viennent d'avoir lieu ont été un nouveau succès pour le giolittisme. Et il n'est pas besoin de dire qu'il ne pouvait en être autrement. M. Giolitti possède aujourd'hui comme hier une majorité. L'Italie lui a, une fois de plus accordée sa confiance, et c'est pour cela qu'on a pu dire, que les élections ne modifieraient vraisemblablement en rien la politique de nos voisins. Elles sont cependant dignes d'attention par certaines indications qu'elles ont données au gouvernement, et dont celui-ci, avec sa grande habileté politique, ne manquera certainement pas de tenir compte. Ces indications sont, à proprement parler, contradictoires, mais leur opposition n'a rien qui doive effrayer. Elle ne sera, au contraire, qu'une occasion de plus pour le gouvernement de faire valoir ses talents de conciliation et de transaction. Il est en effet évident, d'une part, que les représentants socialistes, de l'autre, les représentants catholiques sont plus nombreux dans la nouvelle Chambre que dans l'ancienne : les idées démocratiques et les idées réactionnaires y auront chacune de chauds défenseurs. Beaucoup prédisent qu'une lutte acharnée s'engagera où le ministère pourrait sombrer. Ce qui est en tous cas certain, c'est que celui-ci s'efforcera de doser, selon la formule, et selon l'usage, les satisfactions qu'il doit aux uns et aux autres. Il s'orientera vers la droite, il respectera dans les écoles la liberté religieuse, ne modifiera pas la loi des garanties, continuera d'entretenir avec le Saint-Siège ces relations toutes spéciales où il n'entre qu'une part minime, officielle et superficielle, d'hostilité, et beaucoup de complaisance due au vif désir d'éviter les difficultés;il saura se souvenirque Rome, par exemple, a, malgré les efforts des socialistes et des républicains, élu plusieurs députés clérico-modérés, mais il n'oubliera pas davantage qu'à Milan le contraire s'est produit, et que c'est le bloc au sens français du mot qui l'a emporté. Et pour donner des gages aux éléments avancés, il ne dédaignera pas de faire quelquefois un peu d'anticléricalisme, en même |