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val de la voiture publique qui s'habitue à partir au signal d'une cloche ». Dans ces conditions, l'éducation de la démocratie ne se fait pas et l'indifférence gagne le corps électoral on ne se passionne guère pour des candidats qui ne défendent point des idées claires dans des programmes précis.

Il en serait tout autrement si les députés étaient élus par des collèges plus larges et si, grâce à la R. P., il suffisait à des hommes éclairés et indépendants de réunir, non plus la majorité, mais un nombre de voix égal au quotient, pour entrer dans la Chambre des Communes. Les associations continueraient à rendre des services au parti, mais elles ne seraient plus maîtresses des élections. Et le suffrage universel serait à son tour délivré des entraves qui annihilent sa volonté. Il s'habituerait à voter pour des opinions soutenues par des candidats qui pourraient appartenir à un même parti sans abdiquer toute responsabilité et toute idée personnelle. Mais c'est, peut-être, pour ces motifs que la R. P. soulève une sourde hostilité dans les milieux parlementaires. Un tel changement dans les habitudes électorales ne risquerait-il pas de faire perdre des sièges à ceux qui les détiennent, après les avoir conquis, le plus souvent, par la seule propagande des comités ?

Le nouveau système électoral qu'on nous propose, disent les partisans du scrutin uninominal, ne serait-il pas susceptible de briser les cadres des vieux partis et de transformer de fond en comble notre régime représentatif? Que deviendrait la « Mère des Parlements », le jour où des hommes indépendants et qui ne seraient plus maintenus dans une discipline rigoureuse par les associations de parti, siégeraient en grand nombre dans la Chambre des Communes ? Comment serait-il possible de former une majorité gouvernementale capable de faire vivre, comme aujourd'hui, un ministère pendant plusieurs législatures consécutives ?

L'objection serait embarrassante si elle portait sur le principe de la R. P., mais elle ne s'applique, évidemment, qu'au système qui est en faveur chez nos voisins. L'expérience de la Belgique démontre, en effet, que la R. P., entendue d'une certaine manière, peut favoriser les organisations de

parti et les rendre aussi fortes qu'elles le sont en ce moment en Angleterre. Il est tout à fait inutile, en Belgique, de solliciter un mandat de député sans être présenté par une association sur la liste du parti : les candidats dissidents ou indépendants sont voués à une défaite certaine. Par conséquent si l'on craignait, en Angleterre, que le système du single transferable vole fût de nature à rompre la discipline des partis, assurément nécessaire au régime parlementaire et sans laquelle ce régime peut sombrer dans l'impuissance, il suffirait d'y renoncer, en se ralliant au système belge ou mieux encore au système du nombre unique. Mais l'excès d'organisation et de discipline n'offre-t-il pas à son tour de sérieux inconvénients ? Les proportionnalistes anglais rappellent qu'il a provoqué, dans le Parlement, l'inertie et le scepticisme des députés qui abandonnent toute la direction du parti au leader et qui bornent leur ambition à flatter leurs électeurs pour conserver leurs sièges, ou les ministres pour obtenir une place dans le Cabinet. Le goût de l'étude des questions, qui nécessitent de longues réflexions, disparaît dans ces assemblées passives. Le rôle du leader devient, à son tour, des plus écrasants. Dans la séance du 11 avril 1911, le premier ministre, M. Asquith, l'a déclaré en termes formels : « Je suis d'accord (avec le leader de l'opposition), disait-il, pour reconnaître que le système des partis a été amené chez nous à une rigidité et à une inélasticité qui ne répondent guère aux intérêts du pays. Il n'y a pas de penseur honnête et intelligent qui ne partage cette opinion. » S'il en est ainsi, l'objection contre le système anglais de R. P. qui donnerait moins de rigidité aux partis sans briser leurs cadres, n'est point aussi décisive qu'on l'a prétendu.

La vérité est que le système des deux partis qui avait sa raison d'être sous un régime censitaire fonctionne assez mal sous le régime du suffrage élargi. Ne s'est-il pas déjà formé, sous l'inévitable poussée démocratique, un troisième parti, le parti du travail, qui compte quarante membres dans la Chambre des Communes? L'Irlande ne continue-t-elle pas à choisir pour représentants des «< nationalistes >> nationalistes » qui n'appartiennent à aucun parti et qui votent avec les libéraux parce que le Home Rule leur a été promis? Enfin, lorsque par une

réforme électorale nouvelle et inévitable, on aura établi en Angleterre, le régime du suffrage vraiment universel, lorsque 11 millions d'hommes et 12 millions de femmes, sauf les incapables, seront inscrits d'office et dès leur majorité, sur les listes électorales, ne sera-t-il pas chimérique d'espérer que la vieille classification des partis pourra être maintenue? Il y aura toujours, quoi qu'il arrive, un parti du travail qui jouera dans la Chambre des Communes un rôle d'autant plus efficace que la majorité des deux autres sera plus faible.

Le régime électoral de l'Angleterre, qui se traduit par une sorte de plébiscite sur les noms des leaders des deux partis conservateur et libéral, n'a plus guère de raison d'être à une heure où tant de questions sont agitées sur lesquelles ne sont d'accord ni tous les conservateurs, ni tous les libéraux. Pour résoudre tous ces problèmes avec l'assentiment du pays, il faut que le pays puisse manifester clairement ses opinions et il ne le peut pas sous le régime du scrutin uninominal. Au surplus, même s'il était vrai que le peuple dût exclusivement se prononcer dans les élections pour ou contre le gouvernement en exercice, il deviendrait plus nécessaire encore que sa volonté fût sincèrement exprimée et que la majorité parlementaire représentât, sans contestation possible, la majorité des électeurs.

Quoi qu'on en dise, la libre, claire et loyale expression de la volonté nationale est l'objet essentiel d'une consultation électorale. A cet égard, les arguments des partisans de la R. P. sont irréfutables le système qu'ils défendent serait de nature à assurer le fonctionnement normal du suffrage universel, tandis que le scrutin uninominal ne peut traduire que d'une manière très imparfaite les véritables sentiments du pays. L'exemple de la France et celui de l'Allemagne l'ont démontré l'exemple du Royaume-Uni en fournit une autre preuve non moins concluante.

Le régime électoral appliqué en Angleterre, en Ecosse et

en Irlande est, en effet, illogique et injuste. On sait que les membres de la Chambre des Communes sont élus au scrutin uninominal dans toutes les circonscriptions, sauf dans 27 qui ont deux députés à nommer. L'élection a lieu en un seul tour de scrutin: est nommé député celui des candidats qui a obtenu le plus grand nombre de voix. Et, lorsqu'un seul candidat se présente, il est proclamé sans que les électeurs soient appelés à voter; c'est ce qu'on nomme des collèges incontestés (unconstested constituencies). Naguère, ce système primitif offrait moins d'inconvénients qu'aujourd'hui : il était rare que la lutte s'engageât entre plus de deux candidats dont l'un obtenait alors la majorité absolue des votants. Mais, à l'heure actuelle, les triples candidatures deviennent assez fréquentes dans un même collège, et il suffit, alors, pour être élu, de réunir la majorité relative. Sans doute, on évite, autant que possible et par des ententes préalables, la concurrence entre candidats libéraux et candidats ouvriers, mais on ne peut pas toujours l'éviter surtout dans les collèges ou le parti conservateur ne possède qu'une faible minorité.

Que le parti du travail et le parti libéral se coalisent ou qu'ils présentent des candidats distincts, il est évident que, dans les deux cas, le résultat du scrutin est faussé. Lorsqu'il y a coalition, la liberté de électeurs de chaque parti n'existe plus, puisque les uns ou les autres doivent voter par discipline pour un candidat dont ils ne partagent pas les idées. Si les deux partis présentent chacun un candidat, l'élection dépend des électeurs qui sont en minorité et qui, n'ayant pas de candidat de leur opinion, peuvent faire nommer qui bon leur semble, en votant pour l'un ou pour l'autre des concurrents. L'entrée en scène d'un troisième parti, même lorsque la discipline est rigoureusement observée et qu'il n'y a pas de candidats dissidents, est donc une première cause de l'injustice du scrutin uninominal, et cette injustice ne serait pas moins flagrante, ni moins immorale, si l'on adoptait, en Angleterre, le système du second tour:

Mais ce qui augmente encore l'inégalité des votes, c'est la division des circonscriptions électorales, toujours arbitraire et qui, chez nos voisins comme en France et en Allemagne,

produit les effets les plus singuliers. Les divers collèges comportent, en Angleterre, un nombre d'habitants et d'électeurs très différent. Le major Morrisson-Bell, député conservateur du Devonshire, qui est, du reste, un partisan résolu du scrutin uninominal, a fait passer, au mois de février dernier, sous les yeux de ses collègues, un tableau qui démontre l'absurdité de la délimitation des collèges électoraux. Chacun de ces collèges est indiqué, sur ce tableau, par un trait vertical dont la hauteur est proportionnée au nombre des électeurs, à l'échelle d'un pouce pour 5.000 électeurs. On peut ainsi se rendre compte de la variété étrange des circonscriptions du Royaume-Uni, et le major Morrisson-Bell n'a pas manqué de la faire ressortir: « Par exemple, dit-il, vous verrez à l'une des extrémités de l'échelle, dix collèges qui comprennent plus de 30.000 électeurs, tandis que, à l'autre extrémité, il se trouve dix collèges dont la moyenne des votants n'atteint pas 3.000. Le plus petit collège, Kilkenny, qui comprend 1.676 électeurs, fait un saisissant contraste avec celui de Romfort, où il y a eu près de 58.000 votants. En outre, il y a cinquante collèges de plus de 20.000 électeurs, et plus de cinquante qui en ont moins de 5.000. Et ne croyez pas, comme on le suppose, que les plus petites circonscriptions envoient sièger à la Chambre des membres de l'opposition. C'est le contraire qui est vrai. En regardant les circonscriptions qui ont moins de 7.000 électeurs, on s'aperçoit que plus du double des députés de ces petites circonscriptions, c'est-à-dire 93 contre 44, siègent du côté ministériel. Cependant, de toutes ces anomalies, aucune n'est plus stupéfiante que la représentation excessive de l'Irlande, qui donne à chaque électeur irlandais, dans la Chambre des Communes, deux fois plus de pouvoir politique qu'à son concitoyen d'Angleterre, le partenaire principal et celui qui paye. » L'honorable député du Devonshire réclame donc ce que nous appelons en France la « représentation proportionnée », qu'il oppose, lui aussi à la représentation proportionnelle, sans s'apercevoir que son système ne remédierait à aucun des principaux vices du scrutin uninominal, et que, au surplus, il est parfaitement vain de chercher à établir des circonscriptions d'égale population.

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