Imágenes de páginas
PDF
EPUB

vère pour notre enseignement supérieur, il disait cependant de lui « Il n'est pas devenu un ensemble organique; il se compose encore d'un amas d'écoles spéciales tout à fait isolées. >>

Et vers la même époque, M. Ernest Lavisse, traçait ce spirituel portrait de l'étudiant moderne :

se

« Je voudrais voir disparaître de la circulation, où il rencontre encore à nombre d'exemplaires, le jeune homme que j'ai intimement connu vers l'année 1865, et dont je puis reconstituer le portrait d'après des documents sûrs: un jeune homme qui ne connaît pas son propre corps, ni la vie des animaux et des plantes, ni le cours des astres

ce qu'on appelait, à l'avant-dernier siècle, « les lois admirables de l'Univers >>; - un jeune homme dont la mémoire a gardé des noms de Mérovingiens imbéciles, mais qui n'a pas vu l'humanité essayer les diverses formes de la vie, avançant, reculant, pour avancer encore, créant, en politique, des légitimités successives, éprise, en art, d'un idéal, puis d'un autre, en mouvement toujours un jeune homme qui ne sait, de son pays, rien de solide, et, de l'étranger, rien du tout; condamné par l'inintelligence du passé à ne pas comprendre le présent, à ne pas même pressentir l'avenir; un jeune homme incohérent, inconsistant, qui ne tient pas ensemble, n'a pas de raisons sérieuses pour croire ceci plutôt que cela; de foi vacillante, quelle que soit sa foi; exposé à demeurer toute sa vie dans l'ignorance des choses essentielles, car son éducation n'a laissé dans son esprit aucune des grandes curiosités qui sont l'appel au travail; un jeune homme à peu près vide et qui se croit complet; un jeune homme charmant, mais infirme. »

En résumé, après trente ans d'environ d'expérience, nous sommes encore loin aujourd'hui des temps annoncés par Jules Ferry, qui écrivait alors qu'il était ministre de l'Instruction publique : « Lorsque le rabot et la lime auront pris, à côté du compas, de la carte géographique et du livre d'histoire, la même place et qu'ils seront l'objet d'un enseignement raisonné et systématique, bien des préjugés disparaîtront, bien des oppositions de castes s'évanouiront,

la paix sociale se préparera sur les bancs de l'école primaire et la concorde éclairera de son jour radieux l'avenir de la société française. »>

En dehors des écoles primaires de la Ville de Paris où le travail manuel est effectivement l'objet d'un enseignement organisé, partout ailleurs il reste à peu près sacrifié comme jadis. Les maîtres, ne l'ayant pas appris, sont incapables de l'enseigner. Déracinés eux-mêmes, arrachés pour la plupart au sol natal que leurs aïeux ont cultivé, qui sait s'ils ne considèrent pas comme une victoire de détourner leurs élèves de la profession des parents? Ne vaut-il pas mieux en faire de petits fonctionnaires, des instituteurs, des employés des postes ou des chemins de fer, des commis de bureau, etc.? Il est des exceptions à cette règle, et nous connaissons des maîtres qui, mieux avertis sur les besoins de leur région, orientent les enfants du côté des professions agricoles ou industrielles exercées par les parents et s'efforcent d'adapter leur enseignement à ces professions. Leur mérite est d'autant plus grand que leurs chefs ne les encouragent guère dans cette voie, mais combien sont-ils à agir de la sorte?

La situation est-elle meilleure dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement supérieur? Ecoutez ce que disait, il y a dix ans, en 1902, à la tribune du Parlement, M. Leygues, alors ministre de l'Instruction publique : « Le travail de l'ouvrier n'est pas rémunéré suffisamment dans bien des cas, c'est vrai, Mais combien plus maigre encore est le salaire et plus misérable la condition de ceux qui, sans fortune, se sont engagés dans des professions libérales et qui n'ont ni clients ni causes, qui errent dans la vie, désabusés, découragés, meurtris de toutes leurs déceptions et de tous leurs désespoirs. Il n'est pas de sort plus triste que le leur; de misère qui soit plus sombre que leur misère; il n'est pas d'êtres plus dignes de pitié. Que deviennent-ils ces déclassés ? Selon la nature de leur âme, quand la souffrance est trop aiguë, ils tombent dans le servilisme ου la révolte... Voilà ce qu'il faut avoir le courage de dire pour enrayer l'émigration perpétuelle vers les villes où tant d'énergies s'usent, où som

brent tant de courages, pour que, sous prétexte de favoriser la démocratie, nous ne soyons pas exposés à voir ce qui serait la fin de la démocratie: l'atelier vide et la terre déserte. Dans un pays comme la France où la population professionnelle et active industriels, négociants, agriculteurs représente 48 pour 100 de la population totale, 18 millions d'individus sur 38 millions d'habitants, où le capital industriel s'élève à 96 milliards 700 millions de francs, où le capital agricole atteint 78 milliards de francs, où les exportations se sont chiffrées en 1900 pour plus de 4 milliards de francs, l'Université ne peut se contenter de préparer les jeunes gens qui lui sont confiés aux carrières libérales, aux grandes écoles et au professorat; elle doit les préparer aussi à la vie économique, à l'action. »

Sages conseils qui, malheureusement, n'ont été que rarement suivis par l'Université.

Au degré supérieur cependant, l'enseignement dans les Facultés, revenant en cela aux traditions de la fin du xvш® siècle, alors que la science et l'industrie avaient de fréquents contacts, tend à s'inspirer des applications des sciences dans le domaine industriel.

Déjà, nous l'avons indiqué, certains universitaires, gagnés par l'esprit nouveau, ont créé à côté des Facultés où ils exercent des Instituts chimiques, vinicoles, électro-techniques.

A Nancy, l'Institut chimique créé par M. Haller rend depuis plusieurs années les plus signalés services. Inauguré en 1890, il est dégagé des autres bâtiments universitaires et permet de donner l'instruction technique et pratique à plus de 120 élèves. Cet établissement, actuellement unique dans son genre en France, est dû à la générosité de nos industriels et de nos financiers. Les bâtiments de l'Institut chimique couvrent une superficie de 1.600 mètres carrés et ceux de son annexe, l'Institut électro-chimique, se développent sur une surface de 1.400 mètres carrés. Les études comprenant l'enseignement théorique et l'enseignement pratique, durent trois ans au bout desquels l'élève peut obtenir un diplôme d'ingénieur-chimiste.

Les locaux mis à la disposition des élèves renferment

des laboratoires pour les étudiants de chaque année, des laboratoires spéciaux en tous genres, même un laboratoire de recherches destiné aux jeunes gens qui ont l'intention de faire des travaux originaux. Tous ces laboratoires sont organisés de telle sorte que chaque manipulateur peut travailler indépendamment de tous les autres et sous la direction d'un professeur et d'un chef de travaux chimiques.

Cet établissement est des plus précieux pour toutes les industries chimiques françaises et notamment pour celles de la région de l'Est. Les chimistes étrangers allemands et suisses qui, à une certaine époque, inondaient la région, ont peu à peu disparu; ils ont été progressivement remplacés par des jeunes gens formés à l'Institut chimique de Nancy et plusieurs d'entre eux occupent de hautes situations dans l'industrie.

Plusieurs Universités ont créé des Instituts du même genre Lille, Paris, Bordeaux, Montpellier, sont dans ce cas. Grenoble possède un Institut qui constitue aujourd'hui une véritable Ecole Polytechnique consacrée à la formation. de spécialistes dans diverses branches industrielles. Sous son titre actuel, l'Institut groupe aujourd'hui une Ecole supérieure électro-chimique destinée à la formation de futurs contremaîtres, une école de papeterie, enfin des sections spéciales ayant plus particulièrement pour objet l'étude des sciences techniques ou physiques appliquées à l'industrie. Rattaché administrativement à l'Université de Grenoble et pourvu d'un budget propre constituant un chapitre spécial de celui de l'Université, l'Institut jouit d'une indépendance très appréciable qui a permis, bien que des améliorations sensibles soient encore à souhaiter dans ce domaine, de constituer un enseignement technique avec un personnel spécial absolument distinct de celui de la Faculté des Sciences.

En dehors de ces Instituts, certaines Universités, s'inspirant des besoins de l'industrie locale, ont créé des cours et des enseignements spéciaux. La Faculté des Sciences de Dijon a créé dans ces conditions un Institut oenologique agricole, celle de Bordeaux possède une station viticole du même genre, enfin celle de Besançon a organisé une série

d'enseignements techniques destinés à former pour l'industrie du pays, l'horlogerie, les techniciens nécessaires à sa prospérité.

Sans doute, ces établissements témoignent d'un très louable effort de la part des Universités, mais leur nombre reste insuffisant; le ministère de l'Instruction publique, en présence du succès obtenu par ces diverses créations, devrait en favoriser plus qu'il ne le fait le développement.

C'est pourquoi, sous la poussée des nécessités, s'est créé et s'est développé en France, en marge de l'Université, un enseignement professionel qui, placé sous l'autorité du ministre du Commerce, s'est efforcé, dans la mesure de ses moyens, de former les techniciens réclamés par l'industrie et le commerce.

Au sommet de cette organisation se place le Conservatoire national des Arts et Métiers, fondé en 1794, qui est à l'enseignement technique ce que la Sorbonne est à l'enseignement général, comme on l'a dit quelquefois. Au degré supérieur, dans l'ordre industriel, l'Ecole centrale des Arts et Manufactures, d'abord établissement privé de 1829 à 1857, aujourd'hui Ecole d'Etat, quoique jouissant de son autonomie financière, d'où sortent chaque année près de 250 ingénieurs de haute valeur, très recherchés de la grande industrie et des grandes administrations; dans l'ordre commercial, l'Ecole des Hautes-Etudes commerciales et les quinze Ecoles supérieures de commerce, fondées en général par des Chambres de Commerce, quelquefois par des municipalités, reconnues par l'Etat qui agrée le personnel enseignant et approuve les programmes, lesquelles Ecoles comptent plus de 2.000 élèves, méthodiquement entraînés aux opérations du Commerce général, de la Banque, de la Commission, de l'Exportation, etc., et à la connaissance des langues vivantes.

Au degré moyen, viennent les Ecoles d'Arts et Métiers, aujourd'hui au nombre de six. La première remonte à 1786; elle fut créée par le duc de La Rochefoucauld-Liancourt

« AnteriorContinuar »