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L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE

ET

L'ÉDUCATION GÉNÉRALE

L'organisation de l'enseignement dans toute société doit correspondre à ses besoins, à son degré d'évolution et même à sa forme politique. Nul ne saurait contester que depuis les merveilleuses découvertes du siècle dernier, depuis surtout les multiples applications de la vapeur qui ont révolutionné les conditions de la production et des échanges, il s'est fait dans le monde une transformation économique et sociale telle qu'on n'en vit jamais à travers l'histoire. Toutes les nations se sont pénétrées commercialement et industriellement, les plus actives, les plus entreprenantes, imposant leurs produits aux autres; la concurrence est devenue la loi universelle. Dans cette rivalité qui s'accuse tous les jours davantage, chaque individu présente, suivant ses moyens, un facteur plus ou moins important de coopération à la prospérité générale et un pays triomphe d'autant plus aisément de ses concurrents que le nombre de ses producteurs, préparés à leur tâche, instruits dans leur profession, est plus considérable.

« A une société reposée et enfermée dans les limites que lui avaient assignées la nature, ne connaissant et ne prati quant guère avec les nations voisines d'autres échanges que celui des idées, écrivait déjà M. Gréard, il y a quelques années, avec son sens aigu des besoins du pays, a succédé une société affairée, expansive, sollicitée de toutes parts par les intérêts du commerce et de l'industrie, mise en demeure, non plus de soutenir l'éclat de sa grandeur héréditaire, par

la propagande de la production littéraire ou des découvertes scientifiques dont elle n'a pas cessé d'être le foyer, mais aussi de lutter sur tous les marchés du monde pour le développement de sa richesse matérielle, pour la vie. Sur une population de 15 millions d'hommes engagés dans ies branches diverses de l'activité nationale, plus de 14 millions sont voués aux professions industrielles et commerciales, tandis que les professions libérales en retiennent à peine 800.000. >> Aussi bien, est-ce une préoccupation commune à la plupart des nations de préparer une jeunesse qui soit prête à faire bonne contenance dans cette lutte sans merci et à recueillir sa part de victoire. L'instruction qui, pendant de longs siècles et particulièrement en France, fut considérée comme un ornement de l'esprit et réservée à quelques privilégiés, est devenue ainsi par la force des choses un instrument de travail, indispensable à tout homme et à toute société qui veut vivre.

Que doit être cette instruction?

Voici une heureuse définition qu'en donnait en 1903, à l'Ecole des Hautes-Etudes sociales, M. Alfred Croiset, membre de l'Institut, doyen de la Faculté des Lettres de Paris : « Dans toute société, démocratique ou non, l'éducation doit être à la fois technique et générale. J'appelle éducation technique celle qui permet à chacun de faire le mieux possible son métier. Il faut que l'éducation soit organisée de manière à assurer à la société cet avantage. C'est là, selon le mot de Fouillée, la part légitime du «< point de vue utilitaire », dans la conception de l'éducation. Et cette part doit être grande. Pour les industriels, les commerçants, les ouvriers, nous n'aurons jamais trop d'écoles pratiques, d'écoles professionnelles, surtout en France, où les carrières « non libérales» sont victimes d'un préjugé très fâcheux. Quelle que soit, théoriquement et abstraitement, la hiérarchie légitime des fonctions dans une société, on ne saurait trop répéter que la valeur de l'individu se mesure non à la fonction qu'il exerce, mais à la manière dont il remplit sa tâche. L'éducation générale est celle qui forme l'homme et le citoyen dans le professionnel, celle qui donne à l'individu les qualités physiques, intellectuelles, morales, dont il a besoin non seule

ment pour bien faire son métier, mais aussi pour bien remplir le rôle que lui assigne, dans l'Etat, la forme politique de la société dont il est membre. »

Dans quelle mesure cette double éducation, technique et générale, a-t-elle été assurée en France? L'Université, très préoccupée de l'enseignement général, n'a-t-elle pas négligé l'organisation de l'enseignement professionnel, si prospère chez plusieurs de nos voisins? Les besoins de notre démocratie, n'exigent-ils pas impérieusement une orientation pratique de l'instruction populaire et le développement des écoles professionnelles ?

Telles sont les questions que nous voulons examiner rapidement.

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Il semblait, vers 1881, que, sous l'action généreuse de Jules Ferry et de Paul Bert, l'enseignement à tous les degrés allait cesser de se confiner exclusivement dans le domaine théorique pour aborder le domaine pratique. L'un et l'autre voulaient que l'école fût véritablement la préface ct la préparation de la vie, qu'elle se confondît même, à mesure que l'enfant grandissait, avec les occupations auxquelles il se livrerait un jour.

Sous leur inspiration, la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire prit soin de comprendre au nombre des matières à enseigner (article premier): « Les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques, leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers. » Paul Bert disait très justement de cet enseignement pratique qu'il devait «< servir de base aux connaissances techniques de la profession choisie plus tard par l'enfant >> et Gréard écrivait de son côté dans une de ses circulaires, qu'il serait «< une préparation lointaine à l'exercice des professions, un avant-goût, une amorce, un moyen de montrer à l'enfant les applications des notions générales qu'il reçoit et le profit qu'il peut en tirer.»>

De même, lorsqu'il organise ces écoles primaires supérieures, qui ont rendu tant de services et qui auraient pu

en rendre davantage (ces écoles que Paul Bert souhaitait de voir un jour fonctionner dans chacun des chefs-lieux de canton), Jules Ferry leur assigna par-dessus tout un rôle pratique, correspondant aux circonstances et aux nécessités locales. << Elles tendent, disait-il, à revêtir, à des degrés divers, le caractère d'écoles professionnelles. Leurs élèves sont quelque chose de plus que des écoliers; ce seraient des apprentis déjà dispersés dans les ateliers, si l'école, pour les retenir, ne se transformait elle-même, dans une certaine mesure, en atelier. De là l'impossibilité de réduire toutes nos écoles primaires supérieures à un type unique; elles doivent, pour trouver le succès, s'adapter, dans toute la partie professionnelle, aux circonstances et aux nécessités locales; elles sont tenues d'acheminer leurs élèves, non pas théoriquement, mais positivement vers celles auxquelles les prédestine le milieu natal. C'est à ce prix qu'elles conserveront et verront croître la juste popularité qui les entoure. »

Si le grand ministre de l'Instruction publique n'eut pas le temps de se consacrer avec autant d'ardeur à la réorganisation de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur, il avait l'esprit trop réaliste pour ne pas désirer leur adaptation aux besoins nouveaux et à l'activité économique des sociétés modernes. Ce fut lui, en effet, qui en 1883, reprenant la question de création des universités, prescrivit la vaste enquête qui devait marquer une étape décisive dans la poursuite de la solution. Les Facultés étaient consultées sur le point de savoir si elles estimaient qu'il y aurait avantage pour elles-mêmes, pour la science et pour le pays, à devenir des universités et si, à leur avis, le moment était venu de réaliser ce progrès. L'enquête fut concluante. La grande majorité des Facultés se prononça en faveur de la réforme.

Mais cette tendance vers un enseignement national pratique, positif, tenant compte à la fois des intérêts de la science et des intérêts chaque jour grandissants du commerce et de l'industrie, intérêts d'ailleurs inséparables, cette tendance ne s'est pas affirmée chez nous à beaucoup près avec la même intensité que dans la plupart des pays voisins.

Sans doute, il serait injuste de méconnaître, dans l'enseignement primaire, les résultats des lois scolaires de 18811883 meilleure préparation pédagogique du personnel enseignant, diffusion plus générale et plus complète des éléments de la science; dans l'enseignement secondaire, les heureuses tentatives de 1902, qui ont eu pour but d'organiser, concurremment avec la culture classique, un cycle d'études plus vivant, plus en rapport avec les nécessités modernes ; dans l'enseignement supérieur, les créations d'Instituts, éminemment utiles, par certaines Universités qui ont su faire de leur autonomie un emploi dont il est juste de les louer.

Si les progrès réalisés sont indéniables, ceux qu'il reste à accomplir ne sont malheureusement ni moins importants, ni moins nombreux.

En 1903, dans une conférence à l'Ecole des Hautes-Etudes sociales, M. Ch. Seignobos, professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, reprochait à notre enseignement primaire sa « méthode verbale », qui « porte la marque de l'ancien régime ». A notre enseignement secondaire il faisait le même reproche : « il est encore verbal. >> Il ajoutait « et claustral ». « Dans la vieille forteresse des collèges, disait-il, la société moderne a mis une garnison laïque, elle a même fait au-dedans des aménagements modernes. Mais le collège est toujours une forteresse où les enfants sont enfermés entre des murs, avec des livres, sous des surveillants. Le principe même est en désaccord avec les besoins d'une société démocratique, à qui il faudrait des citoyens habitués à la vie réelle, et capables de se diriger eux-mêmes. C'est là le seul motif de la supériorité des peuples anglais dans la vie économique. Les jeunes Anglais et les jeunes Américains ne sont ni plus intelligents, ni plus énergiques que les Français, mais leur éducation ne leur a pas désappris à se servir de leurs mains et de leurs jambes; ils restent capables de se remuer et de travailler. Chez nous, la séparation entre les élèves du livre et les élèves du métier pratique, qui a commencé au moyen âge, est perpétuée par notre enseignement secondaire. » Moins sé

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