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En revanche, il s'est toujours appliqué à signaler les erreurs trop souvent commises dans l'établissement et dans l'emploi de la statistique, même dans les pays où elle est le plus en honneur. Et il l'a fait presque toujours avec sa verve et son humour, avec son ironie souriante et mordante à la fois, sous la forme d'allocutions et de conférences remplies de piquantes anecdotes dont se régalaient les auditoires qui avaient la bonne fortune de les entendre.

Il a beau être avare de généralités, il affirme hautement sa foi dans la statistique. «Non seulement nous croyons à la statistique, dit-il, mais nous la considérons comme l'un des instruments les plus puissants dont notre siècle dispose pour la recherche de la vérité et le progrès de la civilisation ». Et il rappelle à ce propos (1), en ajoutant qu'il ne les trouve point exagérées, les paroles de Buckle et de Rémusat dont la citation revenait souvent sous sa plume.

Pour lui, l'objet de la statistique ne se limite pas aux phénomènes sociaux et économiques. « Nous comptons, dit-il, nous pesons, nous mesurons, lorsque l'occasion s'en présente, tout ce qui est susceptible d'être compté, pesé ou mesuré. C'est dire que la nature entière nous est ouverte... Tous les aspects divers de l'existence individuelle et collective peuvent devenir tributaires de ce que nos pères appelaient l'arithmétique politique.

Mais, de préférence, il aime à mettre en relief le rôle de la statistique. « Le monde des affaires a ses crises, dit-il, comme la mer a ses ouragans. Et, d'un côté comme de l'autre, la statistique vient à notre aide. » En parlant ainsi, en 1905, il se borne à répéter ce qu'il avait déjà dit, dans sa communication au Congrès de l'Association française pour l'avance. ment des sciences, tenu à Toulouse en septembre 1887, sur « les éléments caractéristiques de la statistique nationale ».

ressources au service de l'observation et du raisonnement. >> (Revue Pol. et Parl., novembre 1905.)

(1) Revue Politique et Parlementaire de novembre 1905, p. 225. Voici la parole de Buckle, (1857): « La statistique, encore dans l'enfance, a plus éclairé l'étude de la nature humaine que toutes les sciences réu

nies >>.

Il reproche aux maîtres les plus illustres de l'économie politique classique à J.-B. Say, à Malthus, à Ricardo, à Sismondi, à Rossi, « d'avoir cru que le raisonnement était tout en économie politique, ou qu'il suffisait d'y ajouter l'appoint d'une observation sommaire et superficielle. »« Eh bien ! non, s'écrie-t-il, les seules vraies lois économiques sont celles que la statistique a contresignées. » Lorsque J.-B. Say, dit-il. (Rev. Pol. et Parl., nov. 1905, p. 230), lançait la thèse hardie dont on a fait « la loi des débouchés » lorsqu'il professait que des produits trouvent toujours à s'échanger contre d'autres produits, que l'on peut donc fabriquer sans compter et que la surproduction est un mot vide de sens, il stimulait ainsi fort opportunément l'inertie des uns et le découragement des autres! Mais l'histoire n'est pas sans avoir quelque peu infirmé ses assertions. »>

Ce ne sont pas seulement les lois de la science qui doivent être appuyées sur la statistique, ajoute-t-il fort à propos, « ce sont aussi les lois votées, qu'il s'agisse de commerce ou de finance, d'assistance ou de travaux publics; il n'y a de solides que celles qui se sont inspirées de l'exacte connaissance des faits en cause et, dans la plupart des cas, cette connaissance exacte des faits en suppose, en exige l'analyse numérique, telle que savent l'instituer les statisticiens de profession. »

Et pourtant, personne ne s'est mieux gardé que lui d'une confiance aveugle dans la statistique ! Il ne lui a jamais demandé que ce qu'elle peut donner. « Il n'en est pas de la statistique, dit-il, comme de la comptabilité qui doit, par principe, une sollicitude égale aux millions et aux centimes. Nous pouvons, nous, dans une foule de cas, nous contenter de l'à peu près. Nous devons même nous en contenter et le dire hautement toutes les fois que des chiffres trop précis ne seraient, pour qui nous lit, qu'un leurre et un trompe l'œil ». A propos de l'emploi des moyennes, il a dit plus de choses, en quelques lignes, que l'on n'en trouve dans tout un long chapitre de tel ou tel volumineux traité de statistique. « Les moyennes ne signifient rien, dit-il, quand il s'agit de quantités dont les variations sont précisément ce qui nous intéresse. Il y a même des moyennes qui prêtent à rire. » C'est à elles qu'il songeait sans doute, quand il disaìt, à Tou

louse, en 1887 ; « J'estime que pour les statisticiens la crainte des moyennes est le commencement de la sagesse. » Il ne va pas jusque-là, quand il parle de ces moyennes, aux noms singuliers, que « de subtils logiciens ont opposées à la moyenne arithmétique, - la moyenne géométrique, la moyenne barique, la moyenne harmonique, la médiane, la normale. »> Mais il a peu de goût pour elles, il doute de leur utilité et il reste fidèle à la vieille moyenne arithmétique qui demeure, fort heureusement, la plus usuelle. Ceux de nos collègues de l'Institut International qui assistaient, il y a quatre ans, à la session de Copenhague, ne peuvent pas avoir oublié la lumineuse et spirituelle critique qu'il y fit devant nous de l'Homo medius de Quételet. Mais toujours équitable, même envers ceux dont il ne partage pas l'opinion, ce qu'il reprochait surtout à Quételet, c'étaient ses exagérations, c'était d'avoir pris la courbe binomiale pour le régulateur universel de la création.

Après ces généralités, passons aux applications statistiques dans lesquelles de Foville était passé maître et dans lesquelles il a laissé une trace qui ne s'effacera pas.

Elles sont extrêmement nombreuses. Il est impossible de songer à les résumer et même à les mentionner toutes dans cette notice déjà trop longue. Disons seulement que la plupart des sujets abordés par de Foville étaient des sujets économiques et que la plupart de ses travaux sont des contributions à l'économie politique en même temps qu'à la statistique, à la science économique et à l'économie politique appliquée. C'est ainsi qu'il ne s'est jamais occupé de la statistique criminelle et qu'il ne touchait à la statistique de la justice civile que pour lui emprunter quelques données relatives aux ventes d'immeubles et aux faillites, sujet d'un intérêt économique évident. Dans le domaine de l'économie politique appliquée, ce sont les questions financières, fiscales et monétaires qu'il traitait le plus volontiers.

Le nom de de Foville doit rester attaché à diverses opérations ou méthodes statistiques qu'il a eu le mérite, sinon de découvrir, du moins de perfectionner. Il nous suffira de mentionner sommairement quelques-unes des principales.

Nous dirons un mot tout d'abord de son « Essai de météorologie économique et sociale » présenté à Toulouse, en septembre 1887, et devant la Société de Statistique de Paris, en mai 1888. Si nous commençons par là, ce n'est pas seulement parce que sa conception d'un baromètre économique et social construit à l'aide d'un certain nombre de données statistiques, nous a toujours paru offrir un haut intérêt, c'est aussi parce qu'elle nous semble avoir été un peu injustement oubliée par les statisticiens étrangers, et même français (1) qui, dans ces dernières années, ont multiplié les combinaisons de chiffres à l'aide desquelles on peut observer et prévoir le mouvement des faits économiques. N'avons-nous pas entendu, au cours de la session tenue à Vienne par l'Institut International de Statistique, en septembre 1913, un de nos savants confrères de l'Institut attribuer à M. Neumann-Spallart tout le mérite de la méthode graphique exposée par de Focille à Toulouse, en 1887? Or, il suffit de se reporter au mémoire de de Foville pour rendre justice au professeur viennois sans diminuer le mérite de notre ami.

«Mes recherches ne sont pas sans analogie avec celles de M. de Neumann-Spallart, disait de Foville à Toulouse ; mais la base en est plus large et l'expression graphique en est différents. Puis elles concernent exclusivement la France. La France nous intéresse à elle seule plus que tout le reste du globe; et le problème ainsi limité, reste encore bien vaste. >>

La méthode exposée, par de Foville, en 1887, méritait mieux qu'un hommage un peu trop bref du genre de celui que nous trouvons en tête de la savante communication présentée par notre collègue Lucien March, à la Société de Statistique de Paris, en février 1913, sur « l'observation et la stabilisation des prix ». La méthode de de Foville pouvait être rappelée avec quelques détails. On pouvait la comparer, sans qu'elle risquât d'en souffrir, aux combinaisons

(1) Voici toutefois deux exceptions qu'il est juste de signaler: 1° M. Benini, dans une étude sur le mouvement économique de l'Italie de 1881 à 1890, dans le Journal des Economistes de Rome (1892). V. Bullet. de Stat., 1892, t. I, p. 761; 2° l'auteur d'une remarquable étude sur les indices économiques et les crises, publiée dans le Bullet. de Stat. de mars 1908, p. 333-356.

compliquées, arbitraires et d'un caractère scientifique douteux de M. Babson. Le graphique proposé par de Foville avec ses quatre couleurs et ses trente-deux éléments caractéristiques observés pendant dix ans, de 1877 à 1887, est d'une grande simplicité. C'est peut-être là ce qu'on inclinerait à lui reprocher aujourd'hui. Mais il ne faudrait pas oublier que si le graphique est simple et à la portée de tous, ce qui sera toujours, quoi qu'on en dise, la qualité maîtresse des graphiques, les calculs qui ont servi à l'établir le sont beaucoup moins. De Foville a pris soin de s'expliquer très nettement, à cet égard, dans sa communication à la Société de Statistique (1). Il a commencé par établir des courbes pour chacun de ses trente-deux éléments. Et, cela fait, « passant volontairement du complexe au simple », il les a remplacés par son ruban diversement coloré. « J'aurais pu, dit-il, établir des coefficients, calculer des moyennes, donner à mon travail l'apparence flatteuse d'une docte précision. Mais j'ai sur ce point des idées très arrêtées ; je crois que, dans le temps où nous vivons, la statistique doit se faire un langage que la foule même puisse aisément comprendre ». Y eût-il là une légère exagération, il y a tellement de vérité, qu'on nous saura gré sans doute d'avoir rappelé ces paroles. Personne n'est plus qualifié que de Foville pour donner, avec la délicatesse qu'il sait y mettre, une leçon à quelques-uns de ces mathématiciens, si nombreux aujourd'hui, aux yeux desquels, pour mériter le titre de statisticien, il faudrait savoir demander le sens des chiffres aux figures de la géométrie et aux formules de l'algèbre.

Comment peut-on s'y prendre pour évaluer la richesse totale d'un pays? Cette question a occupé de Foville, pendant plus de quarante années, de 1871 jusqu'à la fin de sa vie.

Sans contester l'utilité des inventaires directs, bien loin de là (2), il a jugé préférable une méthode d'évaluation indirecte

(1) Journal de la Société de Statistique de Paris, juillet 1883, page 245.

(2) V. notamment les critiques sérieuses de notre confrère M. Fahlbeck (Bulletin de l'Institut International de Statistique, t. XIII, 1re liv., p. 187), et celles qu'il a développées dans la session de l'Institut International de Statistique tenue à Vienne en septembre 1913.

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