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tuelle prudence de son langage, oublieraient de tenir compte de son vif sentiment de la justice. « La production, dit-il, a pris, depuis un siècle, un essor sans précédent... Les progrès de la circulation sont peut-être plus étonnants encore... L'histoire de la répartition des richesses n'offre pas à notre admiration d'aussi glorieux résultats. Il serait excessif de prétendre que les conditions de l'équilibre social ne se soient pas modifiées depuis l'ancien régime... Jamais, d'un étage à l'autre de la pyramide sociale, les migrations n'ont été aussi nombreuses, aussi rapides qu'aujourd'hui. Mais la pyramide en somme est restée pyramide. Ses assises superposées se rétrécissent toujours très vite, à mesure qu'elles montent. En fait, la pauvreté reste la règle pour l'homme, la prospérité l'exception, et il semble qu'il y ait là de quoi inquiéter l'orgueil de nos hautaines civilisations. Ce qui doit surtout attrister les consciences, c'est de voir que la richesse, la propriété même, si respectables quand elles sont le fruit normal du travail, de l'intelligence et du talent, s'égarent souvent dans des mains indignes sans que les autorités sachent y mettre ordre ou même y prennent garde... Si le dol et le vol, la fraude et la corruption cessaient d'être pour tant de gens le moyen d'arriver, la question sociale serait aux trois quarts résolue. Mais ne semble-t-il pas qu'à ce point de vue certains peuples reculent au lieu d'avancer? Trop de souffrances imméritées d'un côté, trop de luxes mal acquis de l'autre, tels sont contre l'état de choses existant les deux principaux griefs de la morale et de la science. »

De ces faits qu'il note avec tant de fermeté, les preuves lui ont été fournies par les statistiques successorales que nous possédons en France, depuis 1902, et aussi par les statistiques successorales anglaises et italiennes.

Mais il nous faut descendre de ces hauteurs et voir, maintenant, comment de Foville a résolu des problèmes économiques à la fois moins généraux et moins redoutables.

Les prix, la monnaie, la valeur, doivent compter parmi ses sujets préférés. C'est par eux qu'il a débuté dans la carrière scientifique, en 1873, et son dernier livre publié en 1907 porte

sur la monnaie (1). Entre son mémoire de 1873 et son livre de 1907 il ne s'est pas écoulé une année, sans qu'il ait poursuivi assidûment l'étude des prix et de la monnaie. Dans les 200 numéros du Bulletin de Statistique et de Législation comparée, préparés et publiés par lui, il n'en est pas un qui ne contienne un ou plusieurs documents, soit français, soit étrangers, relatifs aux prix et à la monnaie. A la Direction des Monnaies, il était dans son élément, «< comme le poisson dans l'eau » pourrait-on dire. « J'ai vécu là, écrit-il, dans l'introduction de la Monnaie, (p. 3), pendant plus de six années, les questions que j'avais étudiées antérieurement dans les livres, dans les bureaux, dans les commissions, dans les sociétés, dans la presse scientifique et dans l'enseignement supérieur. >>

Pourquoi s'est-il attaché, avec tant de persévérance, aux problèmes des prix et de la monnaie? Il nous l'expliquait déjà, dans la solide introduction placée en tête de son mémoire sur les variations des prix : « Au prix, dit-il, viennent aboutir directement ou indirectement tous les phénomènes économiques ; il les résume tous... Qui n'a été frappé, ajoute-t-il, dans un passage qu'on pourrait croire daté d'hier, des changements qui se sont produits, depuis vingt-cinq ans, dans les conditions matérielles de l'existence? Qui n'a cherché ou, đu moins, souhaité l'explication du renchérissement presque général des choses nécessaires à la vie? Qui ne s'est préoccupé de savoir ce qu'il peut y avoir d'accidentel et de passager et ce qu'il y a, au contraire, de normal et de définitif dans cette brusque transformation? Chacun voudrait savoir ce que l'avenir nous réserve. Or, ce n'est qu'en observant avec persévérance, qu'en analysant avec soin le passé et le présent, qu'on peut avoir l'espoir de pénétrer, dans une certaine mesure, les secrets de l'avenir (2). » Et il nous l'a redit en plusieurs endroits de son livre la Monnaie : « On a pu dire d'elle, écritil, (p. 147), en parlant de la question des prix, qu'elle traverse

(1) V. sur ce sujet ses deux articles de la Revue Politique et Parlementaire (septembre 1903), Les Fortunes en France et dans les pays voisins et de la Revue Economique Internationale (avril 1996), La Richesse en France.

(2) Manuscrit, p. 6 de l'Introduction.

de part en part toute la science économique. Qu'il s'agisse de production, de circulation, de consommation, la question des prix se pose et s'impose. » Et p. 175: « Le coût de la vie, c'est là, pour l'immense majorité de nos semblables, un souci quotidien et, pratiquement parlant, le pouvoir de l'argent intéresse plus les hommes que sa valeur. »

On n'attend pas que nous résumions ici toutes les observations intéressantes, tous les aperçus ingénieux, et même toules « les idées neuves » dont fourmillent et le mémoire de 1873 et le livre de 1907. C'est dans ces deux ouvrages que de Foville a peut-être réalisé au plus haut degré cette collaboration intime, dont nous parlions en commençant, de l'économiste et du statisticien réunis en lui. Dans le mémoire de 1873, ce ne sont pas seulement les tableaux de chiffres empruntés aux statistiques officielles, toujours scrupuleusement citées par lui et passées au crible d'une critique sévère, ce sont aussi les représentations graphiques qu'il a très largement utilisées, après en avoir décrit le mécanisme et démontré l'efficacité (1).

Nous donnons en note (2) les principales divisions et comme la table des matières de ce mémoire inédit.

(1) Ce mérite a été tout spécialement relevé et loué par Levasseur dans son rapport sur le concours de 1873. - V. compte rendu des séances et travaux de l'Acad. des Sciences morales et politiques, 1874, 1er semestre, p. 166-194.

(2) INTRODUCTION (24 p. de manuscrit, in-4°). PREMIÈRE PARTIE. Données statistiques sur les prix de onze groupes d'articles. I. Propriété foncière. II. Alimentation végétale.

III. Animaux et alimentation animale. IV. Boissons indigènes. V. Consommations diverses (sel, sucre, huiles, vinaigre, café, chocolat, thé, cacao, poivre, oraiges, citrons, raisins secs. VI. Textiles, (cuirs et peaux, crins et cheveux). VII. Produits minéraux. VIII. Industries diverses (couleurs, verre, papier, poudre, tabac, produits chimiques). IX. Produits divers (29 articles, tels que: guano, caoutchouc, camphre, etc.). X Salaires. I XI. Transports. En tout, 103 articles différents. == Résumé de la première partie. DEUXIÈME PARTIE. Introduction: Causes générales de la variation des prix. I. Perfectionnement des moyens de production. II. Salaires. III. Perfectionnement des moyens de transport. IV. Influence de la législation. — V. les intermédiaires.== Influence des métaux précieux sur les prix. Considérations générales: l'or et l'argent; tableau de la production des métaux précieux; recherche des existences réelles; monnayage; crise monétaire; prime de l'or; du double étalon (2 graphiques). == Variations du pouvoir de l'or et de l'argent. Re

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REVUR POLIT., T. LXXVIII.

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Quant au volume, intitulé la Monnaie, il est à la disposition de tout le monde. Cela nous dispense de nous y arrêter. C'est le seul échantillon d'un travail de synthèse que de Foville nous ait laissé. C'est aussi, dit-il, « un de ces livres de vulgarisation comme il en faut à la génération affairée et hâtive qu'est la nôtre. » A lire ces vingt chapitres si précis et si clairs, si pleins et si instructifs dans leur sobriété, on se prend à regretter que de Foville ne se soit pas proposé de faire un travail semblable sur d'autres sujets. Deux de ces chapitres méritent une mention particulière.

C'est, d'abord, le ch. I (p. 1-13), consacré à des notions générales sur l'échange et sur la valeur. Il y explique très pertinemment « la stérilité des fameuses théories autrichiennes qui dissertent si ingénieusement sur le mécanisme du désir humain et sur les causes de ses variations. » Il y exerce délicatement sa verve ironique sur la définition « naïve » de Littré « La valeur d'une chose, c'est ce qu'elle vaut » et sur << la définition profonde et mystérieuse de M. Yves Guyot » : « La valeur, c'est le rapport de l'utilité possédée par un individu aux besoins d'un autre individu. » Et il se garde bien d'adhérer à la définition de Bastiat : « La valeur, c'est le rapport de deux services », qu'il avait déjà fortement ébranlée par une critique serrée qu'on trouve dans son introduction aux OEuvres choisies (p. 41). A quoi bon, demande-t-il, faire de la valeur «< un rapport de deux services »?« Le sens du mot service n'est pas moins discutable que le sens du mot valeur, et nous oserions presque dire, ajoute-t-il, que Bastiat répond ici à la question par la question ». Le vice de toutes ces définitions et l'embarras des auteurs auraient, se

cherches de ces variations; tableau; étude spéciale de la période de 1820 à 1870, avec un graphique rectangulaire original représentant les variations, de 1820 à 1870, des onze groupes étudiés dans la première partie. == Causes des variations du pouvoir des métaux précieux. Recherche de la loi des variations de l'or et de l'argent; formule du coût de production; la demande et l'offre; circulation fiduciaire; dernière ab servation.

ANNEXES. Tableaux comparatifs des valeurs adoptées par l'administration des douanes, précédés d'une introduction sur la méthode employée pour la détermination de ces prix. Ces tableaux remplissent environ 40 pages in-4°, et ils forment, nous dit de Foville, « un réper toire général qui constitue comme un dictionnaire des prix. >>

lon lui, une cause unique la confusion entre la « valeur en usage. » et la «‹ valeur en échange ». Il faut que cette confusion cesse, qu'on veuille bien laisser dans l'ombre la valeur en usage et ne jamais séparer l'idée de valeur de l'idée d'échange. Cette conception lui suffit et il l'expose si clairement qu'elle paraît n'avoir que des avantages.

C'est, en second lieu, le chapitre XIV, (p. 147-158), intitulé « Le mécanisme des prix ».

Existe-t-il une loi de l'offre et de la demande ? Non, d'après de Foville. Il n'y a qu'un mécanisme des prix : « Un mécanisme automatique, qui, finalement, traduit, en hausse ou en baisse, l'inégale poussée des courants contraires et complexes que tout commerce libre met aux prises. » Voilà, certes, une affirmation qui ne manque pas de hardiesse et qui semble de nature à faire hésiter ceux qui se plairaient encore à le ranger parmi les sectateurs de l'économie politique orthodoxe De Foville ne s'est pas borné à l'énoncer. Ce n'était pas de sa part une boutade. Il a essayé, et non sans force, de l'appuyer sur une démonstration rigoureuse. A-t-il pleinement réussi dans sa tentative? Il est permis d'en douter. Sa critique de la loi de l'offre et de la demande nous semble décisive (v. p. 151-152). Mais quand il s'agit de remplacer les définitions de l'offre et de la demande, des besoins du marché et de ses disponibilités, sa doctrine qui se résume ainsi : << le véritable arbitre des prix, c'est la concurrence humaine », ne nous donne pas satisfaction (v. p. 153).

Après les prix, la valeur et la monnaie, trois autres sujets ont retenu l'attention de de Foville et lui ont fourni la matière de quelques-uns de ses meilleurs travaux économiques : la richesse, la terre et les moyens de transport.

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La richesse. C'est au point de vue statistique qu'il s'en est le plus souvent occupé. Ses doctrines économiques sur la richesse, sont visiblement conçues et sont le plus souvent exposées en vue de préparer les calculs et les évaluations du statisticien. C'est pourquoi elles sont très simples et peuvent même sembler un peu sommaires. Elles se ramènent à quelques définitions, à quelques jugements sur la répartition dont nous avons parlé plus haut et à une théorie fiscale. Comme

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