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les statisticiens, s'est-il fait statisticien au sens plein de ce mot? Pourquoi au lieu de rester simple consommateur de statistique, s'est-il appliqué, toutes les fois qu'il l'a pu, à en devenir producteur ? Deux causes nous semblent avoir déterminé sa vocation statistique.

Il s'est fait statisticien d'abord, et on peut dire essentiellement, pour donner satisfaction à la passion dont nous parlions, il y a un instant, à la passion de l'ordre, de la clarté, de la précision, ensuite, occasionnellement, pour pouvoir remplir les fonctions dont il fut investi, en 1871, par les hasards de sa carrière.

Sans méconnaître la nécessité des idées générales, il avait même pour elles, on le verra plus loin, un goût très vif, il n'aimait guère les affirmations vagues, les explications sans preuves et toute cette rhétorique un peu creuse qui remplissait les livres des économistes dont sa bibliothèque d'étudiant était fournie, vers 1864. Il crut, non sans raison, qu'il trouverait dans la statistique ce qu'il ne trouvait pas dans la littérature économique de l'époque.

Qu'il ait été incliné vers cette opinion par l'aptitude au maniement des chiffres qu'il avait acquise à l'Ecole Polytechnique, c'est infiniment probable. Mais on ne saurait aller plus loin et lui attribuer un prétendu amour inné des dénombrements, sans tomber dans une évidente exagération.

Et puis, comment ne pas devenir statisticien quand on est jeté, comme il le fut, en 1871, par sa collaboration avec Pouyer-Quertier, au plus fort de la mêlée économique et financière dans laquelle se débattait la France mutilée ? Comment son esprit curieux et sa conscience droite ne l'auraientils pas porté à étudier d'un peu près cet instrument dont il devait faire un emploi quotidien, dans des circonstances parfois tragiques? Ce n'était pas pour la science, c'était pour l'action qu'il dut s'exercer pendant cette période tourmentée. à utiliser les documents statistiques. Mais rien de ce qu'il put voir et apprendre alors ne devait être perdu pour le futur maître de la science économique et de la statistique.

Ce n'est pas tout. Il ne suffit pas, pour être juste à son 'égard, de dire que de Foville a été à la fois économiste et statisticien.

Ce qui caractérise son œuvre, ce qui la distingue entre celles d'une foule d'autres économistes et statisticiens, ce qui la rend personnelle et originale, c'est qu'elle est sortie tout entière de l'intime et perpétuelle collaboration de l'économiste et du statisticien réunis en lui. Sans être systématiquement exclusif, sans renoncer aux précieuses informations fournies par les enquêtes substituées au dénombrement et tout spécialement par la monographie, l'économiste qu'il y avait en de Foville s'est toujours, de préférence, appuyé sur le statisticien autant du moins que la chose a été possible, en l'état de la documentation dont celui-ci pouvait disposer. Et, de son côté, le statisticien s'est toujours laissé inspirer et guider par l'économiste, tant pour le choix des objets qu'il peut y avoir intérêt à dénombrer, que pour le classement et le groupement des faits.

On s'exposerait à défigurer l'œuvre de de Foville et à la diminuer, si on prétendait juger en lui, distinctement, le statisticien et l'économiste.

En lui, nous ne saurions trop le redire, l'économiste et le statisticien sont inséparables. Personne, croyons-nous, n'a réalisé, à un aussi haut degré que lui, cette union si nécessaire de la discipline économique et de la discipline statistique. Personne n'a su rendre leur collaboration aussi féconde. Si l'on ne veut pas aller jusqu'à dire qu'il les a dotées d'une méthode nouvelle, il faut du moins reconnaître qu'il a singulièrement perfectionné les méthodes employées jusqu'à lui. Tels de ses livres, le Morcellement, la Monnaie, la France économique, qui seront à refaire un jour, quand leur matière aura été transformée par l'évolution incessante des faits, resteront comme de parfaits modèles de l'observation statistique mise au service de la science économique.

De Foville, sans y paraître et surtout, sans en tirer vanité, ce n'était pas dans sa nature, aura eu le mérite rare, à notre époque, de creuser un sillon dans lequel d'autres, après lui, pourront semer et récolter.

Mais son œuvre économique et son œuvre statistique ont beau s'enchevêtrer et se confondre, on ne peut, si on veut en donner une idée claire, se dispenser de les résumer séparément. On est forcé de procéder ici comme dans l'étude de

tous les phénomènes du monde qui s'offrent à nous indissolublement unis, mais dont on ne peut aborder l'étude, qu'en les soumettant à des divisions arbitraires et à des classifications artificielles. L'essentiel est de prendre ces divisions et ces classifications pour ce qu'elles sont et de ne point leur donner une rigidité embarrassante.

OEUVRE ÉCONOMIQUE.

L'œuvre économique d'Alfred de Foville est, croyons-nous, plus substantielle et plus importante qu'on ne se le figure habituellement. Sa dispersion en a masqué l'étendue. Son caractère fragmentaire en a diminué la portée. Si elle était remaniée et comme reconstituée par un travail de synthèse, elle acquerrait une valeur que beaucoup ne soupçonnent pas.

Pourquoi de Foville n'a-t-il jamais condensé ses doctrines économiques et s'est-il borné à les exposer, au fur et à mesure que l'occasion lui en était fournie par les sujets particuliers qu'il abordait?

Pourquoi n'a-t-il jamais rien écrit qui ressemble, même de loin, à un traité ou à un manuel d'économie politique? On lui a demandé plus d'une fois de le faire. Pourquoi ne l'at-il pas fait ? Pourquoi a-t-il toujours reculé devant la publication de ses cours du Conservaotire des Arts et Métiers et de l'Ecole des Sciences politiques? On peut en apercevoir deux raisons.

La plus apparente, la plus immédiate a été le manque de temps. Ceux qui ont connu sa vie le comprendront aisément. Le fonctionnaire et le père de famille ont trop souvent empiété sur le domaine réservé à l'écrivain et au professeur. Celui-ci n'a jamais rencontré sur sa route une de ces longues étapes où un loisir suffisant permet à un homme de concevoir et d'écrire l'ouvrage qui résumera l'ensemble de ses travaux et donnera un corps à ses doctrines.

Voilà la première raison. Voici la seconde.

De Foville avait peu de goût pour les vastes constructions

théoriques. Il les trouvait encombrantes et doutait de leur utilité. Il y voyait la manifestation d'une ambition déplacée, personne ne pouvant se flatter d'enfermer la science dans un cadre intangible et de lui donner ses formules définitives. Sa nature d'artiste et le tour personnel de son esprit le portaient à choisir des sujets limités qu'il s'efforçait consciencieusement de traiter à fond. Pour lui, la valeur d'une contribution scientifique ne se mesurait pas à son étendue, pas plus que le talent d'un peintre ne se mesure à la dimension de ses tableaux. S'il avait été peintre, il aurait préféré les petites toiles aux grandes. Il fut, à coup sûr, un remarquable professeur. Alors que son prédécesseur au Conservatoire des Arts et Métiers retenait péniblement une trentaine d'auditeurs autour de sa chaire, il y en réunit tout de suite plus de trois cents. Mais son genre était très peu didactique, et on s'explique sans peine que de son enseignement n'ait pu tout naturellement jaillir un traité d'économie politique. Ses leçons toujours claires, vivantes, colorées, captivaient l'auditeur. Elles le charmaient en l'instruisant. Mais c'étaient plutôt des conférences que des leçons.

Les doctrines économiques d'Alfred de Foville sont éparses dans un grand nombre d'écrits petits ou grands.

Les petits sont de beaucoup les plus nombreux. Ce sont des rapports, des notices, des communications présentés aux multiples conseils, commissions et associations scientifiques, dont il faisait partie : ce sont des conférences; ses conférenees étaient toujours écrites, ce qui ne l'empêchait pas de les dire avec infiniment d'aisance et d'agrément; ce sont des articles de revues. C'est par centaines qu'on peut compter ces derniers. Dans le seul Economiste Français, de 1873 à 1912, il a publié 337 articles. Après M. Paul Leroy-Beaulieu, qui nous donne, dans ses articles hebdomadaires, le plus riche et le plus précieux recueil de faits et d'idées économiques que l'on puisse imaginer, de Foville est sans doute le collaborateur qui a le plus écrit dans ce périodique.

Ses grands ouvrages sont au nombre de quatre.
Les voici dans leur ordre chronologique :

1° Son mémoire couronné par l'Académie des Sciences mo

rales et politiques, sur le rapport d'Emile Levasseur, en décembre 1873 et qui portait sur le sujet suivant, déjà mis au concours, sans succès, en 1869 et 1870 : « Faire connaître les principales variations des prix en France depuis un demisiècle; en rechercher et en indiquer les causes et déterminer particulièrement l'influence exercée par les métaux précieux. »

Ce travail n'a pas été publié en la forme de volume. Mais il est permis de croire qu'il se retrouve, en partie, dans les nombreux articles ou comumnications consacrés par de Foville aux questions de prix. C'est ainsi que tout l'exposé statistique des prix, de 1820 à 1870, a paru dans une série de 58 articles insérés dans l'Economiste Français du 30 mai 1874 au 29 septembre 1877. Nous avons essayé de rapprocher ces articles du mémoire manuscrit. Dans le texte de la plupart d'entre eux, on a quelque peine à découvrir celui du manuscrit. Cela nous explique peut-être pourquoi de Foville n'a pas fait de son mémoire un livre. Les encouragements que lui donnait, à cet égard, le rapport élogieux de Levasseur auraient pu l'y décider. Mais, se laissant guider uniquement par les scrupules de sa conscience de savant, il a renoncé aux satisfactions que pouvait lui donner un livre et il a mieux aimé soumettre son mémoire à un perpétuel remaniement (1).

2o La transformation des moyens de transport et ses conséquences économiques et sociales, 1880, 1 volume in-8°. Cette fois, de Foville n'hésita pas à faire un livre d'un mémoire couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.

3° Le Morcellement, 1885, 1 volume in-8°.

4° La Monnaie, 1907, 1 volume in-12.

On range quelquefois, mais à tort, nous semble-t-il, parmi

(1) Aux 58 articles publiés du 30 mai 1874 au 29 septembre 1877, il convient d'ajouter: un article sur les causes générales des variations des prix (26 janvier 1878); un article sur le renchérissement de la propriété immobilière (7 septembre 1878); un autre sur la hausse des salaires (19 octobre 1878); et trois articles sur le mouvement des prix dans le commerce extérieur (5 et 19 juillet et 1er novembre 1879), tous parus également dans l'Economiste français.

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