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rait conservé dans la fonction qu'il remplissait d'autant mieux qu'elle avait été créée pour lui?

Mais la chose parut impossible. Les nécessités implacables de l'avancement hiérarchique l'obligèrent à abandonner le bureau de statistique.

Nous ne ferons injure à aucun de ses successeurs, dont quelques-uns comptent parmi nos plus distingués collègues, en disant qu'il n'y a jamais été remplacé et qu'on en est réduit à s'estimer heureux d'avoir pu y faire survivre son influence en conservant dans le Bulletin mensuel, sa méthode et ses cadres.

Il y avait heureusement, à cette époque, au Ministère des Finances, une direction qui attendait un chef et pour laquelle de Foville était vraiment le chef tout désigné. Un Ministre des Finances avisé, M. Peytral, eut l'heureuse pensée de lui confier, le 4 novembre 1893, la charge de la direction des monnaies et médailles.

La Direction des monnaies et médailles avait été profondément remaniée quelques années auparavant, en 1888 et 1889. La frappe des monnaies, longtemps stationnaire, reprenait subitement une activité inattendue et rendait nécessaire la transformation de l'outillage. Il fallait trouver le moyen d'opérer cette transformation, sans interrompre les fabrications quotidiennes. La frappe des médailles venait d'être soumise à un régime nouveau, beaucoup plus libéral que l'ancien pour les graveurs. Le fonctionnement de toute cette nouvelle organisation rendait la tâche du directeur à la fois très délicate et très lourde. De Foville s'en acquitta supérieurement.

Il était tout particulièrement préparé pour inaugurer une nouvelle publication qui, sous le nom de Rapport annuel du Directeur des Monnaies au Ministre des Finances, vint répondre à des vœux formulés par les conférences de l'Union latine et plus récemment, en septembre 1895, par l'Institut International de Statistique. Ces vœux tendaient à obtenir du Gouvernement français qu'il voulût centraliser et publier tous les documents relatifs à la production et à la consommation des métaux précieux, à l'émission et à la circulation des monnaies.

Rien de ce qui touchait les questions monétaires n'était étranger à de Foville. Il les avait traitées de main de maître dans son mémoire sur les Causes des Variations des Prix, et il n'avait cessé de les suivre, dans le Bulletin de Statistique et de Législation comparée. C'est à lui que nous devons les quatre premiers Rapports annuels du Directeur des Monnaies de France, ceux qui portent les millésimes 1896, 1897, 1898 et 1899. Il les présentait lui-même, à la session de l'Institut International de Statistique, tenue à Christiania, en septembre 1899, et voici comment il s'exprimait, non sans quelque fierté, en terminant sa présentation : « Je compte beaucoup, disait-il, sur mes collègues de l'Institut, pour m'aider à améliorer cette publication périodique. Les compliments qu'elle m'a parfois valus ne m'ont pas laissé indifférent, à coup sûr. Mais ma gratitude ira surtout à ceux des maîtres de la science monétaire qui, par leurs critiques, voudront bien me mettre à même d'améliorer d'année en année une œuvre qui, je tiens à le répéter, n'est pas seulement la mienne, mais aussi la

vôtre ».

Pourquoi faut-il que le hasard trop souvent aveugle qui décide du sort des hommes, ait empêché la réalisation des espérances que notre ami exprimait ainsi devant l'Institut International de Statistique, en 1899?

De Foville fut nommé conseiller-maître à la Cour des Comptes, le 9 février 1900. La mesure était inattendue. Personne ne put en trouver l'explication dans le souci de l'intérêt public. Il était au contraire trop facile d'apercevoir ce que l'intérêt public devait y perdre. A la Direction des monnaies, de Foville était un chef hors de pair. Ses travaux jouissaient d'une autorité reconnue dans le monde entier; ils faisaient honneur à la France. A la Cour des Comptes, si haute et si nécessaire que soit la mission de ce grand tribunal, il devenait impossible à de Foville de mettre au Service de l'Etat toute l'expérience et toute la science qu'il avait accumulées depuis trente ans.

Cette nomination fut pour lui comme une disgrâce. Disgrâce imméritée et dont l'amertume fut à peine adoucie pour lui, par le choix heureux que l'on fit en lui donnant pour successeur à la Monnaie, l'un de ses plus chers et distingués élèves

de l'Ecole des Sciences politiques. Il en souffrit profondément mais comme on pouvait l'attendre de lui, il en souffrit en silence et avec résignation. Il accepta la fonction nouvelle qu'il n'avait pas demandée et pour laquelle il ne se sentait nullement fait. Il la remplit le mieux qu'il put, jusqu'à l'heure où, terrassé par la maladie qui devait l'emporter, il voulut en être relevé.

Telle fut sa carrière administrative. Carrière heureuse, en somme, qui lui permit, de concilier ses devoirs professionnels avec son goût pour la recherche scientifique, et qui lui rendit facile cette assiduité exemplaire qu'il y montra toujours.

Il s'en faut cependant qu'elle ait absorbé sa vie tout entière. A côté du fonctionnaire, il y eut en lui l'écrivain, le professeur au Conservatoire des Arts et Métiers et à l'Ecole des Sciences Politiques, l'académicien qui devint, à partir de 1909, le secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences morales et politiques. Il y eut aussi le membre d'une foule de Commissions, de Comités, de Conseils, de Congrès, de Jurys et d'Associations diverses (1) toujours prêt à accepter partout la charge d'une communication, d'un rapport ou d'une présidence, et mettant partout au service de ceux qui voulaient y faire appel l'autorité de son savoir, l'affabilité de son caractère, la droiture et la sûreté de ses avis.

Il y eut enfin le chef de famille dont la tâche, pour lui, fut loin d'être une sinécure, mais dans l'accomplissement de laquelle il a trouvé tant de satisfactions et tant de joies. De Foville ne se bornait pas à mesurer froidement, par l'observation et le calcul, le redoutable péril que fait courir à la France l'abaissement du taux de sa natalité. Depuis plus de dix ans, il s'appliquait à le signaler avec autant de force, de chaleur et d'éloquence que pouvaient y en mettre les plus autorisés et

(1) Au nombre des associations scientifiques qui ont eu l'honneur de compter de Foville parmi leurs membres, on nous permettra de citer la plus obscure peut-être, celle qui n'est guère connue que des cinquante membres qui la composent, mais celle qui ne fut pas pour lui la moins attrayante, puisqu'après l'avoir fondée, en 1891, il la présida, pendant plus de vingt ans, avec une remarquable régularité, nous voulons parler de la Société d'Etudes économiques, qui tient ses séances, 28, rue Danton, de novembre à juin, deux fois par mois, de midi à deux heures.

les plus ardents de ses confrères (1). Et non content de recommander à ses concitoyens la pratique des familles nombreuses, il leur en donnait un merveilleux exemple. N'était-il pas entouré, à ses derniers moments, par 7 enfants (2) et par 21 petits-enfants?

Si diverses qu'aient été les fonctions et occupations dont sa vie a été remplie, de Foville s'en est toujours acquitté avec quelques qualités maîtresses qui l'ont suivi, sans jamais s'altérer, de sa jeunesse à son âge mûr, de son âge mûr au début de sa vieillesse et jusque sous l'étreinte de sa dernière maladie.

C'est ainsi qu'il avait la passion de l'ordre et de la clarté.

L'ordre et la clarté, voilà la première des qualités de tous ses écrits, quelle qu'en soit la nature et quel qu'en soit l'objet. Il la déployait également dans la description des faits et dans l'exposé ou la discussion des doctrines. Et il ne tenait pas moins à l'ordre dans les choses qu'à l'ordre dans les idées. Il l'a prouvé. à la Direction des Monnaies, en réorganisant avec un rare bonheur, notre admirable Musée du quai Conti. Rien de mieux classé que les nombreux dossiers où il déposait les matériaux des futurs écrits qu'il avait toujours sur le chantier. Quant à ses manuscrits, on les lit aussi aisément qu'un texte imprimé. Sans être calligraphique et banale, avec ses lettres bien formées et ses lignes largement espacées, son écriture était essentiellement claire et point n'est besoin d'être expert en graphologie pour y découvrir la marque de la lucidité de son esprit.

Sa vie fut toujours parfaitement ordonnée. Ce fut le secret qui lui permit, son extraordinaire facilité de travail aidant, de produire beaucoup sans jamais s'exposer à un surmenage que sa santé n'aurait pas supporté. Ses journées de labeur ne commençaient pas de grand matin; elles finissaient en général à dix heures du soir. Mais il savait à merveille en utiliser tous les instants. Il avait l'art de les allonger, à force de les bien employer.

(1) MM. Paul Leroy-Beaulieu, Charles Gide, Jacques Bertillon, Georges Rossignol.

(2) Il en avait eu huit.

Sa passion de l'ordre et de la clarté s'unissait en lui au sens le plus délicat de la mesure, de la mesure dans les idées et dans les doctrines, comme dans tous les actes de la vie. Tout ce qui était excessif le choquait. Il avait pour la brutalité, sous toutes ses formes, à commencer par la brutalité dans la pensée et dans le langage, une répugnance invincible. Mais ce trait de son caractère a fait quelquefois porter sur lui des jugements contestables.

On a parlé, dans une enceinte où il devait pourtant être bien connu, «< d'une conscience un peu fermée » (1). La conscience de de Foville paraissait fermée parce qu'elle était discrète. Et elle restait fermée pour ceux qui ne savaient pas l'ouvrir.

C'était, a-t-on dit encore : « Un homme très attaché à certaines convictions, mais peu confiant dans l'utilité de l'effort, surtout de la résistance et de la lutte au profit des intérêts publics qui pouvaient lui être chers. » Ou cette formule un peu obscure ne veut rien dire, ou elle signifie que de Foville manquait d'énergie et de courage dans la défense de ses convictions. Mais n'aurait-elle pas trahi la pensée de son auteur? On voudrait le croire.

De Foville a été un de ces rares fonctionnaires de l'Etat qui ont su concilier toujours l'exact accomplissement de leur devoir professionnel avec la liberté de penser et d'écrire. Il a passé sa vie d'écrivain à exposer et à discuter des idées philosophiques, sociales, économiques, défendant celles-ci, attaquant celles-là, sans autre souci que celui de la vérité, les examinant et les jugeant en elles-mêmes avec une entière franchise et une absolue indépendance d'esprit. Il est vrai qu'il l'a toujours fait avec un parfait sentiment de la mesure. Il a toujours pensé que la courtoisie de ses critiques ne risquait pas de les affaiblir et qu'on peut faire la guerre aux idées, avec toute la vigueur nécessaire, sans attaquer les personnes qui les défendent. Quand il avait le choix, dans une discussion, entre le coup de massue qui écrase l'adver

(1) Discours de M. G. Fagniez, président de l'Académie des Sciences morales et politiques, à l'occasion de la mort d'Alfred de Foville, lu dans la séance du 17 mai 1913.

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