Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ple, en France, d'une ténacité aussi prolongée et les associations qui se sont formées chez nous pour la propagande de la R. P. n'ont jamais réussi à vivre aussi longtemps que la société anglaise. Une activité aussi inlassable doit nécessairement impressionner l'opinion publique et le Parlement. S'il n'y a peut-être pas, en Angleterre, un mouvement aussi profond qu'ailleurs en faveur de la R. P., il y a cependant, dans tous les partis, des apôtres convaincus de l'idée de justice électorale : une proposition de loi très complète, ayant pour objet « de procéder par la représentation proportionnelle aux élections du Parlement », a été déposée le 13 mars 1913, à la Chambre des Communes par MM. L. S. Amery, Lord Robert Cecil, Chiozza Money, Hamsworth et Snowden. Le premier ministre, M. Asquith, a manifesté à plusieurs reprises ses sympathies pour la R. P., sans pouvoir prendre d'ailleurs nettement position, parce que la question divise sa majorité ; le leader actuel du parti conservateur, M. Bonar Law, et son prédécesseur, M. Balfour, y sont très favorables et ils le seraient bien davantage encore, s'ils n'espéraient pas, à tort ou à raison, que le scrutin majoritaire assurera la victoire du parti conservateur aux prochaines élections. Enfin, l'un des principaux membres du cabinet libéral et l'homme d'Etat qui deviendra sans doute un jour le leader du parti, M. Winston Churchill, a fait, il y a quelques années, à une délégation de la fédération libérale de Manchester, la réponse que voici : « Pour ma part, je ne pense pas qu'il soit nécessaire que le système électoral des trois parties du Royaume-Uni soit absolument uniforme dans tous les collèges. Je crois surtout que certains collèges sont spécialement indiqués pour une application de la représentation proportionnelle... Et je suis porté à croire que les partisans de la réforme électorale devraient concentrer leurs efforts sur la question de la représentation proportionnelle dans les grandes villes ». Il est évident que le jour où le gouvernement dont M. Wiston Churchill est un des membres les plus éminents, proposerait de limiter l'application de la R. P. aux collèges urbains, les proportionnalistes n'hésiteraient pas à le suivre, bien qu'ils préfèrent naturellement une application générale du principe qu'ils défendent. La propagande de la Proportional Representation Society

s'étend à tous les pays de langue anglaise, sauf aux Etats-Unis dont les puissantes ligues proportionnalistes sont toutefois en rapport étroit avec elle (1). Des comités de la R. P. ont été créés en Ecosse et en Irlande, dans les principales villes d'Angleterre et dans les colonies. Depuis 1896, les élections ont lieu, sous le régime proportionnel, en Tasmanie où un infaligable apôtre de la R. P., M. E. L. Piesse, fidèle correspondant du Comité républicain de la R. P., s'efforce d'en améliorer le fonctionnement. Le distingué secrétaire de la Proportional Representation Society, notre ami M. John H. Humphreys, a organisé lui-même, au Transwaal, le système de la R. P. anglaise dont nous aurons à parler et qui donne, dans cette colonie, les résultats les plus satisfaisants. Enfin, le Home Rule Bill, voté déjà à deux reprises par la Chambre des Communes, applique la représentation proportionnelle aux élections sénatoriales de l'Irlande et, dans certains collèges, aux élections de la Chambre des Communes. Ce sont des résultats considérables et qui, évidemment, n'auraient jamais été atteints, si la propagande de la Proportional Representation Society qui ne les avaient pas provoqués.

Le système de R. P., appliqué dans les colonies de l'Afrique du Sud et de Tasmanie et proposé pour les élections irlandaises, est celui de Thomas Hare, amélioré et simplifié. La Proportional Representation Society, qui l'a toujours défendu, estime avec raison qu'un changement de système serait nuisible à la propagande qu'elle poursuit depuis trente années. Elle s'est donc ralliée dès la première heure au système de Hare, exposé par Stuart Mill, et dont voici le principe est proclamé élu tout candidat, qui, dans l'ensemble des collèges, obtient le quotient, c'est-à-dire un nombre de suffrages qu'on détermine en divisant le nombre des suffrages exprimés par le nombre des députés à nommer. L'électeur peut voter à sa guise, soit pour un candidat local, soit pour n'importe

(1) Notamment la American Proportional League, dont le président est M. William Dudley Foulke, et le secrétaire-trésorier pour les Etats-Unis, M. Clarence Gilbert Hoag.

quel autre candidat, mais, s'il vote pour un candidat étranger à sa circonscription, il n'émettra pas un vote inutile, même si ce candidat recueille, dans l'ensemble des collèges, un nombre de voix très supérieur au quotient : il peut, en effet, voter pour plusieurs candidats, en indiquant, sur son bulletin de vote et par un numérotage, l'ordre de ses préférences. Voici un électeur qui a voté, par exemple, pour le candidat A en lui donnant le numéro 1; il a indiqué sa seconde préférence en faveur de B, sa troisième en faveur de C et ainsi de suite que va-t-il se passer au recensement? Si le quotient électoral est 10.000 et si A réunit 25.000 suffrages, on attribuera ses 15.000 suffrages de surplus au candidat B et, comme les suffrages de B dépasseront à leur tour le quotient, on attribuera son surplus au candidat C et ainsi de suite.

L'application du système de Hare à l'ensemble des collèges n'eût pas été très compliquée lorsque l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande ne comptaient que quelques centaines de milliers d'électeurs ; elle est impraticable, à l'heure actuelle où le nombre des électeurs inscrits s'élève à huit millions environ. La Société anglaise de la R. P. a donc reconnu la nécessité de diviser le pays en circonscriptions ayant un minimum de trois députés à nommer. Dans la proposition de R. P. soumise à la Chambre des Communes, le maximum des députés à élire est, par circonscription, de 10 et la moyenne est de 5, 6, ou 7. Le système de Hare est appliqué, dans ces divers collèges, comme il eût été appliqué dans l'ensemble; chaque électeur émet son vote en désignant par un numéro, 1, 2, 3, 4, etc., l'ordre de ses préférences sur un bulletin officiel qui contient les noms de tous les candidats rangés en colonne. Il n'y a pas, on le voit, de listes de candidats, mais une série de noms de candidats dont les opinions se seront d'ailleurs manifestées par des déclarations publiques et que les associations de parti ne manqueront pas de recommander aux électeurs. En établissant cette règle, on a voulu rester fidèle au vote uninominal, qui est dans la tradition anglaise, et respecter la liberté de l'électeur.

Comment le « returning officer », que nous appellerions chez nous le président du bureau de recensement général des votes, va-t-il procéder pour proclamer les élus ? Il va, tout

d'abord, déterminer le quotient, qui ne sera pas le même que celui du système de Hare: il sera abaissé, en divisant le nombre des suffrages exprimés, non plus par le nombre des députés à élire, mais par ce même nombre, augmenté d'une unité, et l'on ajoutera, en outre, le nombre 1 au quotient ainsi obtenu. Si, par exemple, le nombre des suffrages exprimés est de 70.000 pour six députés à nommer, le quotient s'élèvera à 70.000 : 7 = 10.0001, c'est-à-dire 10.0001.

La seconde opération consiste à attribuer à chaque candidat autant de voix qu'il a obtenu de fois la première préférence ou le numéro 1. Il arrivera, presque toujours que le chef du parti, soutenu par les associations locales qui donneront le mot d'ordre, aura un nombre de voix supérieur au quotient. Le surplus de ses voix sera alors attribué aux candidats désignés en seconde ligne et, si besoin est, en troisième ligne, etc. Seront ensuite proclamés élus tous les candidats qui auront atteint le quotient. S'il reste encore des sièges à pourvoir, on éliminera successivement les candidats ayant réuni le moins de suffrages et l'on transférera leurs suffrages aux candidats ayant bénéficié des secondes préfé

rences.

L'avantage du système consiste à utiliser le plus grand nombre possible de suffrages et à donner à l'électeur le maximum de liberté dans le choix de son député. Mais les résultats ne seront, bien entendu, qu'approximativement justes. Ils pourront l'être d'autant moins que les électeurs auront négligé d'indiquer leurs secondes ou troisièmes préférences. Le hasard pourrait, en outre, jouer un certain rôle, dans l'attribution des sièges, surtout si les électeurs étaient indisciplinés ; mais cette éventualité n'est guère à redouter en Angleterre où l'organisation des partis est si forte. L'application du système nécessitera, il est vrai, un certain délai pour la proclamation des résultats qui ne pourront guère être connus, en général, que le surlendemain du vote. Toutefois, ces légers défauts qui soulèveraient, en France, de longues discussions, ont cessé de passionner les proportionnalistes anglais. La question du système ne les intéresse même plus,tous les proportionnalistes se sont ralliés à celui qui a été adopté par la Proportional Representation Society, et leurs adversaires reconnaissent eux

mêmes que, si la R. P. était appliquée, c'est le système de Hare, qu'on appelle aujourd'hui le système du vote unique transférable (single transferable vote), qui devrait être adopté, avec les améliorations qui y ont été apportées. Dès lors, à quoi bon le discuter ? Le single transferable vote ne conviendrait pas, selon nous, à la France, mais il s'adapte très bien aux nécessités d'une réforme électorale en Angleterre cela suffit.

Le système anglais offre des avantages moraux considérables. Il permet aux électeurs de se soustraire dans une large mesure à l'omnipotence des associations de parti. On sait. que les élections sont faites, chez nos voisins, par des comités locaux affiliés aux associations centrales et qui désignent les candidats du parti, d'accord avec le leader. Sans prétendre briser cette organisation, on peut légitimement souhaiter que le choix des candidats s'opère d'une manière moins exclusive. Les associations ont une tendance naturelle à ne donner l'investiture qu'à des hommes assez riches pour supporter les frais élevés d'une élection les candidats doivent en effet, non seulement payer toutes les dépenses matérielles du scrutin, mais, une fois élus, consacrer chaque année des sommes importantes à la révision des listes électorales, sans parler des subventions personnelles que l'usage les oblige à fournir aux nombreuses sociétés locales. Or, un candidat riche et qui s'engage d'avance, s'il est élu, à suivre la politique du parti et à voter selon les ordres du whip, n'est pas nécessairement d'une intelligence supérieure et d'un caractère élevé. Il désire parfois obtenir le titre de M. P. (membre du Parlement) par vanité, sans réfléchir à la portée de ses promesses. Il ne sait qu'une chose : c'est que, pour devenir M. P., il faut s'embrigader dans un parti et il s'y embrigade.

Les proportionnalistes font remarquer que le système actuel de consultation nationale condamne les électeurs et les élus à une véritable servitude. Les citoyens ne peuvent qu'opter entre le candidat ministériel et le candidat de l'opposition, indiquer leurs préférences pour un gouvernement libéral ou pour un gouvernement conservateur. Le député n'est plus qu'une machine à voter que l'on compare, avec irrévérence, «< au che

« AnteriorContinuar »