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a fallu pour loger et équiper ces contingents supplémentaires s'imposer déjà de fortes dépenses.

C'est un point qu'on avait prudemment laissé dans l'ombre tant que le vote de la loi militaire n'était pas pleinement acquis, et ce n'est que lorsque la Chambre eût voté l'augmentation des effectifs, qu'on lui exposa le détail des charges financières qui allaient en résulter.

Ces charges, d'après la communication du gouvernement, étaient de deux espèces; il y avait d'abord l'augmentation des dépenses ordinaires du budget de la Guerre, solde, nourriture des troupes, etc., etc.; cette première augmentation, on l'évaluait à 27 millions; il y avait ensuite des dépenses dites de premier établissement construction de casernes, équipement et armement des troupes, pour lesquels on compte emprunter à peu près 300 millions, et l'on évaluait à une vingtaine de millions la charge annuelle qu'entraînerait le service des intérêts et de l'amortissement de cet emprunt. C'était donc, d'après les évaluations du gouvernement, une dépense annuelle de 47 millions, à laquelle il fallait faire face.

Il est vrai que dans ces dépenses militaires « de premier établissement », figuraient environ 90 millions qui n'étaient pas destinés aux installations nouvelles, mais devaient compenser l'insuffisance des crédits alloués pour les fortifications de la place d'Anvers. Lorsque la construction de ces forts fut décidée, on avait affirmé au Parlement de la façon la plus solennelle, que les plans et les devis avaient été établis avec un soin méticuleux et que les évaluations faites ne seraient certainement pas dépassées. Aujourd'hui, on avoue s'être trompé de près de cent millions!

C'est dans les traditions du Département de la Guerre; il semble vraiment que chaque fois que des travaux militaires doivent être exécutés, on trouve adroit de donner au Parlement des évaluations inexactes et de lui dissimuler une partie de la vérité.

Comme conclusion à cet exposé des conséquences financières de la réforme militaire, le gouvernement demandait le vote de nouveaux impôts, dont il estimait le rendement probable à une quarantaine de millions, l'accroissement régulier du produit des impôts existants devant fournir le complément nécessaire.

Il faut remarquer d'ailleurs, que les dépenses militaires indiquées par le gouvernement ne sont pas toutes des dépenses immédiates ce n'est que progressivement que l'effet de la loi nouvelle se fera sentir et il faudra treize années avant que l'augmentation successive des contingents annuels ait amené nos effectifs

au chiffre annoncé. On s'est borné pour le moment à agrandir considérablement les installations du camp de Beverloo, dans la la Campine anversoise, et l'on n'annonce pas encore l'émission de l'emprunt nouveau qu'on se propose de contracter.

L'opération ne sera sans doute pas des plus commodes; la Belgique a depuis une vingtaine d'années terriblement usé de son crédit, et notre régime financier est tel que notre ministre des Finances est toujours autorisé à emprunter des centaines de millions. C'est qu'à côté de notre budget normal, du budget ordinaire, nous possédons un autre budget que l'on appelle extraordinaire, mais qui se représente régulièrement chaque année; ce budget ne s'appelle extraordinaire qu'en raison de l'origine de l'argent dont il dispose; son appellation officielle, c'est budget des dépenses sur ressources extraordinaires; et les ressources extraordinaires, c'est essentiellement l'emprunt.

Or, comme ce budget extraordinaire est tous les ans de plus de cent millions; que, d'autre part, par une exception au principe de l'annualité des budgets, le gouvernement peut disposer des crédits de l'extraordinaire pendant trois années, il y a toujours en réserve une autorisation d'emprunter, pour les travaux décrétés, un nombre considérable de millions; et les émissions se succèdent à l'insu même du Parlement, surtout quand, au lieu de rente consolidée. on émet comme cela se fait depuis plusieurs années, des bons du Trésor.

Voilà pourquoi la Belgique est si fortement endettée; et l'opposition ne s'est pas fait faute de soutenir que les dépenses militaires n'étaient que l'occasion et le prétexte des taxes nouvelles; mais que la véritable cause, c'était la nécessité de parer aux difficultés de la situation financière.

Donc, le gouvernement a proposé de nouveaux impôts. En le faisant, il n'a pas prétendu opérer une réforme fiscale, mettre de l'ordre et de l'harmonie dans un régime financier que l'on dénonce comme injuste et mauvais parce que les impôts indirects et les impôts de consommation en forment l'élément principal. Dans un discours plein de franchise et de bonhomie - et qui a été applaudi même sur les bancs de l'opposition le ministre des Finances. M. Michel Levie, en a fait l'aveu: Je n'ai point, disait-il, le temps d'attendre et d'étudier; il y a des nécessités urgentes auxquelles il faut pourvoir et je dois puiser à des sources nouvelles plutôt que de réformer les impôts existants.

C'était une politique d'expédient; mais il faut avouer que les taxes nouvelles étaient assez habilement choisies. En dehors d'une

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augmentation des droits sur l'alcool - frappé déjà de droits exorbitants, qu'on représente comme une mesure de défense contre l'alcoolisme tout autant que comme un impôt M. Levie n'a pas eu recours aux impôts de consommation; il a établi une taxe sur les automobiles, une autre sur les spectacles cinématographiques, il a augmenté les droits de succession et d'enregistrement; enfin, il a frappé les affaires de bourse et les financiers.

C'est sur ce dernier point que l'on a eu le plus de peine à s'entendre. Depuis longtemps on réclamait des impôts sur les valeurs mobilières en faisant valoir combien il est injuste de ne faire payer aucun impôt à celui qui possède des actions et des obligations, alors que la propriété foncière non seulement paie l'impôt annuel, mais donne encore l'occasion de perceptions nombreuses à chaque mutation dont elle est l'objet.

Pour atteindre le monde de la finance et les porteurs de titres on s'y est pris de diverses façons et tout d'abord par une modification du droit de patente des sociétés anonymes. Le droit de patente prélevé sur le produit des professions, surtout des professions industrielles et commerciales est, en règle générale, établi d'après la nature du commerce exercé et sans rechercher l'importance des bénéfices réalisés; mais pour les sociétés par actions, obligées par la loi de publier leur bilan, ce sont les bénéfices nets accusés par ce bilan qui servent de base à la perception. L'application de ce principe a donné lieu à des controverses innombrables; dresser un bilan est un art des plus compliqués, et l'on peut, avec un peu d'adresse, y dissimuler aisément une bonne part des bénéfices réalisés; d'autre part, nul n'est plus procédurier que le fisc et les tribunaux ont dû élever peu à peu toute une jurisprudence, parfois encore indécise, sur le point de savoir ce qu'il faut considérer comme bénéfice imposable. La nouvelle loi, pour couper court à ces incertitudes, supprime le droit de patente des sociétés par actions et le remplace par une taxe sur les bénéfices distribués; mais le taux de la taxe nouvelle est sensiblement plus élevé que celui de l'ancien droit de patente; celuici était de 2 1/2 pour 100; désormais, on percevra 4 pour 100 des bénéfices. Tout cela a été admis sans difficulté par le Parlement, mais sur un point spécial le projet du ministre des Finances a rencontré une très vive opposition. Il proposait de percevoir la taxe de 4 pour 100 non seulement sur le dividende distribué aux actionanires, mais aussi sur ce que la société paie aux porteurs d'obligations.

Pour justifier cette disposition, on soutenait que le capital-obli

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gations étant employé tout comme le capital-actions à réaliser des bénéfices, il y avait lieu à perception dans l'un comme dans l'autre cas; et pour accentuer cette assimilation, le projet défendait à la société de déduire du coupon payé aux obligations, le prélèvement fait par le fisc. Un débat très vif eut lieu à ce sujet; on faisait valoir que si une société a émis des obligations, ce qu'elle paie aux porteurs de ces obligations est le paiement d'une dette et que le service des obligations doit être fait même si aucun bénéfice n'a été acquis pendant l'année. En fin de compte, le ministre consentit à ce que les sociétés fussent autorisées à récupérer lors du paiement du coupon, la taxe prélevée à raison de ce paiement. Cette taxe, par conséquent, a changé de caractère; elle n'est plus vraiment imposée à la société elle-même, elle frappe le porteur de titres; ce n'est pas cependant un véritable impôt sur la fortune mobilière, car certains titres sont exemptés: les valeurs étrangères d'abord, sur lesquelles le législateur belge n'a pas d'action; ensuite les emprunts de l'Etat, des villes, du Congo belge, et de certaines sociétés quasi-officielles, telle la Société nationale des chemins de fer vicinaux; en sorte que certains rentiers paient l'impôt sur le revenu et d'autres pas. Et en fait, cette disposition ne s'appliquera qu'au passé, qu'aux titres déjà créés et émis; car il est bien certain que pour l'avenir, les émetteurs d'obligations doivent ou bien renoncer formellement à retenir la taxe de 4 pour 100 sur les coupons ou bien modifier, en conséquence de l'existence de cette laxe, les conditions d'émission.

Ceci concerne les sociétés financières et les porteurs de titres, mais le projet entendait imposer aussi beaucoup plus fortement les financiers eux-mêmes; et l'on a frappé du même impôt que les bénéfices sociaux les traitements et émoluments payés par la société à ses administrateurs et commissaires. Le ministre des Finances voulait traiter de même les banquiers et agents de change, et leur réclamer aussi 4 pour 100 de leurs bénéfices nets; alors que sous l'ancienne loi, les plus importants payaient un simple droit de patente de quelques centaines de francs.

Il eût fallu, pour assurer la perception de cette taxe, obliger ceux qu'elle frappait à renseigner les agents du fisc sur toutes les opérations qu'ils faisaient. Il y eut de véhémentes protestations et ici encore le ministre des Finances dut céder, on se contenta de relever fortement le montant de la patente des banquiers, dont le maximum qui était jadis de 285 florins (la loi datait du temps des Hollandais), soit environ 600 fr., a été porté à 10.000 francs

avec le tempérament que l'intéressé aura la faculté de faire réduire cette taxe au taux de 4 pour 100 de ses bénéfices nets, s'il lui convient de faire connaître le montant de ceux-ci et d'en justifier aux agents du fisc.

Quant aux opérations de vente et d'achat de fonds publics, elles sont aussi frappées d'une taxe, sorte de droit de mutation de 1 centime et demi pour cent francs, perçu par l'intermédiaire des agents de change. Il y a aussi un droit de timbre sur les titres étrangers.

Telles sont les bases principales des nouveaux impôts que l'on va réclamer du contribuable belge. Le gouvernement avait proposé aussi de frapper d'un droit de timbre les quittances et les chèques; mais, devant les protestations générales qui se sont fait entendre, il y a renoncé.

Un des griefs principaux que l'on a fait valoir contre ces nouvelles taxes, c'est que leur établissement va troubler profondément l'équilibre des finances provinciales et communales; toutes nos provinces avaient établi depuis quelques années des taxes sur les automobiles et dans la plupart des grandes villes, on avait imposé les cinématographes. Ces taxes locales sont supprimées; il est vrai qu'en ordonnant cette suppression la loi qui vient d'être votée autorise les provinces et les communes à ajouter des centimes additionnels au montant de l'imposition que l'Etat va percevoir à son profit; mais le taux en étant limité, ces centimes additionnels ne donneront qu'une recette sensiblement inférieure au produit des taxes supprimées tout en aggravant dans une assez large mesure la charge des contribuables. D'une façon générale d'ailleurs, la nouvelle loi de finances interdit aux provinces et aux communes d'augmenter par la perception de centimes additionnels les autres impôts qui viennent d'être établis.

On prétend aussi que ces impôts ne suffiront pas à assurer d'une façon permanente, l'équilibre du budget. On ignore encore quel sera leur rendement exact, mais quelque important que soit l'accroissement de ressources qui en résultera pour le Trésor, il sera compensé par les dépenses nouvelles que va entraîner la réforme scolaire que la Chambre discute en ce moment et la loi sur les pensions ouvrières que l'on discutera immédiatement après.

Pour la loi scolaire, ce n'est point du tout le même cas que pour la réforme militaire et la réforme fiscale; ici, les candidats catholiques avaient formellement annoncé à leurs électeurs qu'ils entendaient établir l'égalité des subsides entre les écoles officiel

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