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tant d'argent ? Elle fait de l'agitation; c'est là sa mission propre.

L'organisation semble quelque peu compliquée. A la tête, un bureau (Hauptleitung) de 3 à 6 membres, assisté d'une Commission exécutive (geschäftsführender Ausschuss), qui contrôle les actes du bureau, et ceux des groupes locaux et fédérations. Bureau et Commission exécutive relèvent d'un Comité directeur (Vorstand), qui les nomme, et qui se compose des Présidents de fédérations et groupes locaux, des << hommes de confiance », et de membres permanents, désignés par lui, jusqu'à une centaine. Ce Comité se réunit deux fois par an : l'assemblée générale (Verbandstag) doit être convoquée en congrès au moins tous les trois ans.

Le siège de l'Association est à Berlin; mais le centre administratif est à Mayence, actuellement, où réside le Président, l'avocat Class.

Le cadre comprend des fédérations régionales (gauverbände) et des groupes locaux, 14 fédérations, sous le vocable bien germanique du gau, qui correspond à notre pays; mais ces gaue sont assez arbitrairement taillés, et leur état civil est souvent douteux; par exemple Ruhr et Lippe; Bas-Rhin rive gauche; Rhin-Main, Rhin-Sieg, Oder-Elbe, etc. Le Manuel dénombre 208 groupes locaux, dont quelques-uns hors d'Allemagne, et plusieurs sous-groupes. Il est regrettable qu'une carte n'ait pas représenté la répartition géographique; l'on obtiendrait ainsi l'image de la densité du germanisme militant (1).

Les pangermanistes se piquent avant tout d'être réalistes et pratiques (2), sous le signe de Bismarck, leur intercesseur (3); aussi que l'on qualifie leur politique de « conjecturale et professorale (4) » cela les blesse au vif. Professorale, elle mérite l'épithète par le nombre de professeurs qui figu

(1) Une carte de ce genre (Deutsche Erde, 1910, no 16), représente les foyers de l'Association générale pour la culture de la langue allemande. » On sera frappé du contraste entre les deux tranches, en-deçà et au-delà de l'Elbe.

(2) Voir le manifeste cité du comte de Reventlow.

(3) Les deux seuls membres d'honneur de l'Association sont: Bismarck et Hasse, tous deux défunts.

(4) 20 Jahre, p. 396.

rent parmi les dirigeants: 24 dans le Vorstand, qui compte 96 membres; 5 sur les 19 membres de la Commission exécutive, parmi lesquels l'éminent cartographe de Gotha, Paul Langhans; 8 fédérations sur 14 ont à leur tête des maîtres de l'enseignement, avec l'appoint des médecins, avocats, journalistes, fonctionnaires; les carrières libérales dominent; les gens d'affaires forment une minorité réduite, dans les conseils. L'Association est donc menée, sinon par des théoriciens, du moins par des intellectuels.

Aussi sa propagande se déploie-t-elle par une copieuse littérature. Elle patronne plusieurs séries de publications : les Alldeutsche Blätter, hebdomadaires (1); la collection de 20 fascicules, intitulée : La lutte pour le germanisme (Der Kampf um das Deutschtum), des brochures volantes (Flügschriften) dont plus d'une trentaine ont paru (2). Ecrits de vulgarisation qui répandent à bas prix dans les masses populaires, toutes notions sur le germanisme intérieur et exotique, qui surexcitent et alarment le sentiment national.

Question navale et coloniale, question polonaise, alsacienne, marocaine, orientale, tout est passé en revue, sur le ton polémique.

Aux classes instruites s'adresse la Deutsche Erde, qui se réclame aussi du patronage de l'Association pangermaniste (3).

Elle sort de cette grande officine qu'est l'Institut géographique de Justus Perthes, à Gotha; elle date de 1902. Son directeur, Paul Langhans, combat pour l'idée allemande avec une arme d'une incomparable portée ; la carte, sur laquelle toutes les conception pangermanistes trouvent leur expression; ainsi sont lancés des atlas de poche, d'une impeccable exécution et tentants pour toutes les bourses, le Staatsbürger Atlas (1895). le Deutscher Marine Atlas (1899), qui montre l'impérialisme allemand en exercice la première carte raconte les exploits de la flotte allemande ; en lettres rouges éclatent les bom

(1) Edités par l'administration financière de l'Association à Mayence. (2) Ces deux dernières publications, chez Lehmann, à Munich: les fascicules de la première collection au prix de 1 M. à 2 M. 40; les Flugschriften à 40 pf., avec rabais de 15 ou 10 pf. par 1.000 exemplaires. (3) Handbuch, p. 50.

bardements, représailles, descentes, nécessités pour la protection des intérêts et citoyens allemands; le Deutscher Armee Atlas (1899); l'Alldeutscher Atlas « sous les auspices de l'Association pangermanique » (1900), où l'alldeutschtum atteint une singulière envergure; couvrant en Suisse, Bellenz, Neus, Morsee (lisez Bellinzona, Nyons, Morat); en France, Saint-Omaars (reconnaissez-vous Saint-Omer ?) et inscrivant parmi les «< grandes villes allemandes » Milwaukee, Cincinnati, Buffalo, etc.

:

La Deutsche Erde, qu'on pratique trop peu en France (1) est le bréviaire scientifique du pangermanisme, et un organe d'information qui répond bien au sous-titre : «< Contributions à la connaissance de la vie du peuple allemand de tous lieux et de tous temps » (2).

VII

Le pangermanisme est une machine qui s'est montée et compliquée graduellement : l'Alldeutscher Verband en est un des moteurs, le plus sonore, le plus grinçant ; mais d'autres rouages s'y engrènent, voués à une fonction spéciale; ligues coloniales, navales, militaires, scolaires, confessionnelles, linguistiques, corporatives, etc, groupes régionaux ou locaux sans cesse sur le qui-vive, dans les pays mixtes, les << marches », champs de bataille des nationalités. Toutes ces unions ou fédérations, dont plusieurs sont les âmes de l'All

(1) La carte 2 de la 7e année (1908) montre la diffusion des abonnements dans l'Europe Centrale: pour la France, Paris, Cambrai, Lille, Lyon, Nancy.

(2) La couverture porte encore: « Avec la collaboration de la Commission centrale de géographie scientifique de l'Allemagne » et, depuis 1909, de « l'Office central d'études du germanisme à l'étranger ».

L'enquête sur le germanisme aura pour centre une Bibliothèque Nationale (Nationalbücherei) à Gotha, où seront classés tous les écrits sur le Deutschtum. (Voir: Mitteilungen aus der deutschen Nationalbücherei zu Gotha. Supplément à la Deutsche Erde.)

A la propagande scientifique s'ajoute la propagande populaire. L'Alldeutscher Verband publie aussi un recueil de chansons: Alldeutsches Liederbuch (Leipzig, Breitkopf et Härtel, 1901). On y trouve un Sedansfestlied; six couplets en l'honneur du « Chancelier de Fer »; une série de chansons pour les Allemands d'Autriche, etc.

deutsher Verband, ont formé les foyers, l'armature du pangermanisme avant la doctrine.

Dans cet effort collectif, quel a été le rôle des Alldeutsche ? Celui de mouches du coche, assurent leurs adversaires. Mouches qui, par leur bourdonnement et leur aiguillon, ont enlevé l'attelage. Cette gloire leur suffit.

Avec de faibles ressources, avec un médiocre effectif, cette Association, sous l'impulsion d'universitaires et d'écrivains, a, non pas créé, mais fortifié, exalté en Allemagne et parmi les congénères répandus par le monde, un état d'âme, générateur d'une ère nouvelle. « Ce qui passait, il y a peu d'années, s'écriait Hasse en ouvrant le Congrès d'Eisenach en mai 1902, ce qui passait pour hérésie pangermaniste, teutomanic, fantaisies de cerveaux brûlés, est devenu bien commun de la conscience populaire allemande, et nombre de ceux qui aujourd'hui nous honnissent ou nous combattent ne se douient pas que couramment ils se nourrissent de pensées et de suggestions que nous leur avons fournies (1). »

Les Alldeutsche ont savamment exercé l'agitation. Besogne au demeurant facile, parmi ces masses façonnées à la discipline et où l'opposition bruyante et souvent insolente provoque une admiration effarée. Les Alldeutsche ont le courage de l'irrévérence envers les autorités établies et la très haute personne impériale elle-même. Il ne faut pas, proclament-ils, que tout s'absorbe dans le culte de l'Empereur, au point que, lorsqu'il voyage à l'étranger « nos hommes d'Etat pendant cet interrègne, pendant cette effrayante période sans empereur, n'osent rien faire... ». S. M. devrait être suppliée «de demeurer au moins la moitié de l'année dans sa résidence» pour s'y enquérir auprès de conseillers autorisés, sans intervention d'une camarilla, de l'état de l'opinion, et ses ministres, au cas où leurs propositions seraient dédaignées, devraient avoir le courage de se démettre (2).

Au Congrès de Leipzig, en 1908, après la révélation du Daily News, une résolution fut votée, félicitant le Reichstag d'avoir reconnu les méfaits du pouvoir personnel, dénoncés depuis 18 ans par l'Alldeutscher Verband, mais regrettant (1) 20 Jahre, p. 126.

(2) Disc. de HASSE, au Congrès de Lübeck, en 1904 (p. 244).

que cette manifestation n'ait porté que sur la politique extérieure. L'Association déclarait inutile toute modification constitutionnelle, le gouvernement personnel étant impossible, si le Reichstag et le Chancelier usent comme il faut de leur prérogative (1).

On conçoit que ces gentillesses soient peu goûtées en haut lieu. Aussi les pangermanistes ne se sont pas émus des dures paroles proférées par Guillaume II contre les pessimistes, qui voient en noir (Schwarzseher). Pessimistes, ils se déclarent, et mécontents, et la préface du Recueil de leur geste finit par l'évocation d'un avenir meilleur. Avenir qu'ils ont contribué à préparer, ils se rendent ce témoignage, en rémémorant leur œuvre, ainsi définie par eux-mêmes renforcement de la puissance navale, mesures de sécurité dans les marches de l'Est, du Nord et de l'Ouest, relèvement moral des Allemands vivant à l'étranger; ils revendiquent un brevet de priorité, «< pour avoir signalé l'importance des destins de l'élément allemand en Autriche et Hongrie pour les Allemands d'Allemagne, et pour avoir sans relâche réclamé le contrôle de la politique extérieure par la publicité (2). »

On ne saurait méconnaître ces titres à la gratitude de leurs compatriotes; les pangermanistes ont eu le sens de la plus grande Allemagne, le sens de l'impérialisme, non pas d'un impérialisme de magnificence et d'épopée, mais d'un impérialisme d'affaires, par où le prestige allemand était monnayé. Et ce plan fut servi par les congénères établis au dehors qui, rehaussés et comme ennoblis, se firent les courtiers et les clients de la glorieuse métropole. Jusque-là les pangermanistes ont bien compris leur devoir national.

Ils ont exercé sur le gouvernement une pression indéniable; ils lui ont insufflé c'est l'article primordial de leur programme la défiance de l'Angleterre; ils l'ont poussé dans l'aventure marocaine et congolaise (3); ils ont provoqué le formidable armement qui va encore grever leur pays (4). Pa

(1) P. 398.

(2) 20 Jahre, préface, p. IX.

(3) Voir FÉLICIEN CHALLAYE. (Rev. de Paris, 1er janvier 1913.)

(4) Le Berliner Tageblätt du 17 février 1913, dénonce les Alldeutsche comme les « pères méconnus » du projet militaire nouveau.

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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