Imágenes de páginas
PDF
EPUB

vis de sa voisine du Sud. Elle est prête à adopter à tout propos et même hors de propos l'attitude de Jupiter tonnant. La presse viennoise jetait feu et flammes contre M. Patchitch, accusé de jouer un double jeu, de tenir à Vienne un langage très modéré, très conciliant, alors qu'il encourageait, à Belgrade, les espérances du parti militaire. La Ballplatz a fait savoir au gouvernement serbe que tous les territoires albanais devaient être évacués dans un délai de huit jours, faute de quoi l'Autriche se réservait d'agir par ses propres moyens.

C'était là un ultimatum à long terme, mais c'était tout de même un ultimatum. Et vraiment, la nécessité ne s'en faisait guère sentir, car les Serbes n'étaient nullement désireux de risquer une brouille avec l'Autriche, de mécontenter l'Europe pour le simple plaisir de garder quelques misérables territoires albanais. Mais ne pouvait-on pas leur faire un peu de crédit, et leur accorder quelque délai ?

Nous ne sommes pas de ceux qui marquent une hostilité systématique envers toutes les manifestations de la politique autrichienne. Bien loin de là. Nous nous rendons compte des nécessités vitales de cette politique, qui est bien obligée de défendre ses grands intérêts dans les Balkans. Nous comprenons fort bien dans quelle situation difficile s'est trouvée l'Autriche, depuis le début de la guerre balkanique, et à quel point l'effondrement si inattendu pour elle de la puissance ottomane a pu déranger et bouleverser ses desseins.

Quand il m'arrive de parler de tout cela avec quelques-uns de mes amis de Vienne, très souvent les reproches affluent à leur bouche. Ils accusent la presse et 1opinion françaises d'une sévérité excessive et aveugle vis-à-vis de la diplomatie autrichienne. « Que diriez-vous, déclarent-ils, si nos journaux s'emportaient contre vous en critiques, chaque fois que vous intervenez militairement au Maroc. Vous répondriez aux journaux de Vienne que le Maroc ne les regarde aucunement; vous les prieriez de s'occuper de leurs affaires et de vous laisser suivre la politique marocaine qu'il vous plaît, Eh bien, l'Albanie, c'est notre Maroc à nous. Vous n'avez aucun intérêt dans ce pays. Pourquoi donc vous montrer si chatouilleux, si susceptibles pour des questions que nous avons le droit et le devoir de régler avec les seuls intéressés ? »

Cependant, à peine est-il besoin de faire remarquer aux Autrichiens qu'il n'y a aucune assimilation possible entre le Maroc et l'Albanie. Notre protectorat marocain est chose reconnue de tous ou qui va l'être; il n'en est pas de même, que je sache, du

protectorat de l'Autriche sur l'Albanie. L'Europe ayant créé cette dernière, est bien obligée de ne point s'en désintéresser. Et, d'autre part, si quelque gros incident provoquait un conflit entre l'Autriche et la Serbie, c'est la paix européenne qui se trouverait en péril. Dans ces conditions, comment les Autrichiens s'étonneraientils de nous voir accorder quelque attention aux affaires d'Albanie?

Quand éclata la première guerre balkanique, dès les premiers succès serbes, l'Autriche avait deux partis à prendre: 1o empêcher par la force un agrandissement de la Serbie qui lui barrait la route de Salonique et dérangeait tous ses plans d'expansion orientale; 2° faire contre mauvaise fortune bon cœur, accepter franchement le nouvel état de choses et tâcher de s'accommoder le mieux possible d'une Serbie agrandie.

La première solution, toute militaire, aurait provoqué la guerre, non seulement la guerre au dehors, mais peut-être la guerre au dedans, étant donnée l'attitude de certaines populations slaves de la monarchie. Le sage et prudent souverain qui dirige depuis plus d'un demi-siècle la monarchie refusa nettement de se lancer dans cette aventure, si grosse de périls.

Restait alors le second parti. Mais l'Autriche ne sut pas ou ne voulut jamais l'adopter franchement. Elle se conduisit à tout instant et elle se conduit envers la Serbie comme si elle ne cherchait qu'une occasion pour lui reprendre en détail ce que les événements seuls l'ont obligée de lui concéder. Elle lui refusait obstinément tout débouché, même économique sur la mer Adriatique, n'ignorant pas cependant à quel point la Serbie a besoin d'un débouché. Quand, sous la pression des autres puissances, elle fut amenée à l'accorder, elle entoura cette concession de tant de réserves et de restrictions, que ce prétendu débouché, traversant une Albanie montagneuse et hostile, sera longtemps encore de nulle valeur pour les Serbes.

Et voyez d'ici la conséquence: ceux-ci, dans l'impossibilité de s'étendre vers l'Adriatique, se retournèrent vers la Macédoine. Profitant des circonstances et de leur supériorité militaire, ils exigèrent Monastir, la jonction avec la Grèce et l'obtinrent.

Maintenant l'Autriche doit régler avec eux une question très difficile, très grave, celle des chemins de fer orientaux. Comme le public va beaucoup en entendre parler tous ces temps-ci, il n'est pas inutile de donner là-dessus quelques éclaircissements. La Compagnie des Chemins de fer orientaux, dont les titres étaient en grande partie détenus par la Deutsche Bank exploitait dans la

Macédoine ottomane la ligne Salonique-Uskub-Mitrovitza. En même temps que la Macédoine devenait serbe et grecque, les actions du chemin de fer étaient achetées à la Deutsche Bank par un syndicat de banques autrichiennes. Cette dernière opération fut on ne peut plus adroitement menée, du point de vue financier aussi bien que diplomatique. Les actions furent achetées à un prix assez bas et cet achat donna à l'Autriche un moyen d'influence et de pression dont elle entend se servir aujourd'hui.

La première solution qui se présente à l'esprit, c'est le rachat de la ligne par le gouvernement serbe. Elle serait la plus simple et la meilleure. Malheureusement, l'Autriche n'en veut à aucun prix. Le débouché vers Salonique présente pour elle une importance exceptionnelle. Privée de toute colonie, l'Autriche n'a guère que la péninsule balkanique pour l'exportation de ses produits industriels. A cet égard, sa position géographique lui confère des avantages incontestables. Elle se trouve en quelque sorte à piedd'œuvre. Mais encore faut-il que personne ne lui barre la voie. Or, elle affirme, à tort ou à raison, que la Serbie, une fois maîtresse du chemin de fer en question, serait hors d'état de lui fournir des garanties indispensables pour la facilité du trafic.

Une deuxième solution, l'exploitation du réseau par une compagnie autrichienne opérant en territoire serbe, serait sans aucun doute la pire de toutes. Etant donnée l'animosité réciproque des deux peuples, il y aurait des incidents tous les jours. Imaginez une compagnie purement allemande exploitant en France une importante ligne de chemin de fer, et vous apercevrez tout de suite les énormes inconvénients d'un tel état de choses.

A défaut de ces deux solutions, il faudra bien en chercher une troisième, par exemple, l'internationalisation de la compagnie, dans laquelle entreraient, avec des Autrichiens et des Serbes, des Français, des Russes, peut-être des Italiens. Mais il est nécessaire que ce soit une internationalisation véritable et non pas seulement de façade. Les Serbes n'élèvent pas, jusqu'à présent, d'objection de principe contre une pareille combinaison. La principale difficulté consistera dans ce qu'on pourrait appeler le dosage des diverses influences. Les Autrichiens notamment, renonceront avec peine à la majorité qu'il sera malaisé de faire accepter aux Serbes:

Telles sont les négociations délicates qui vont s'engager entre les deux Cabinets. Or, c'est une assez mauvaise méthode, on l'avouera, que celle qui consiste à amadouer les Serbes à coups de menaces et d'ultimatum.

D'autant que d'autres peuvent être conduits à suivre cet exemple. Si l'Autriche a des intérêts spéciaux au nord de l'Albanie, l'Italie en revendique d'analogues au sud. L'Autriche ayant obtenu une évacuation rapide des territoires albanais par les Serbes, en recourant à la menace, l'Italie pourrait être tentée d'agir de même avec les Grecs. On a parlé ces jours-ci, au cas où les travaux de délimitation en Epire traîneraient en longueur, d'une mise en demeure énergique ou même d'un ultimatum de l'Italie à la Grèce...

L'Albanie n'a pas encore de souverain, bien qu'il semble que la candidature du prince de Wied, mise en avant par les Roumains (le prince est le neveu de la reine de Roumanie) ait de grandes chances d'être adoptée. Quoique la charge soit assez peu tentante et dans tous les cas peu sûre, les candidats ne manquent point. Il s'en présente de partout. Le prince de Wied a visité la plupart des capitales. C'est une tournée qui n'est pas sans analogie avec celle des candidats à notre Académie. Il demande, assure-t-on, que les puissances créatrices ou protectrices de l'Albanie lui accordent une allocation suffisante, sa fortune personnelle n'étant pas très considérable et l'Albanie étant beaucoup trop pauvre pour nourrir décemment son prince. Il demanderait, en outre, que cette allocation lui fût garantie, au cas où, pour une raison ou pour une autre, il serait obligé de quitter le pays. Cette précaution est d'un homme prévoyant. Elle n'est pas inutile et l'on y trouverait des précédents. Quand le feu roi de Grèce, Georges, alors prince de Danemark, fut pressenti pour le trône des Hellènes, son père, le plus sage des pères, exigea de la Russie, de l'Angleterre et de la France une garantie analogue. Et cela n'empêcha pas le fils de poursuivre son règne long et glorieux.

Si elle n'a pas de prince, l'Albanie possède, par contre, deux gouvernants et quantité de commissions internationales. Il y a le gouvernement d'Ismail Kemal bey et celui d'Essad pacha. L'un opère à Vallonna et l'autre à Durazzo. Ils sont d'ailleurs sans grand crédit, l'un et l'autre, et surtout sans argent. Le vrai pouvoir est exercé par ceux qui détiennent l'argent, à savoir les consuls d'Autriche et d'Italie.

Quant aux commissions internationales, la liste en est singulièrement longue: la commission des amiraux à Scutari, qui vient de se dissoudre. Elle n'aura pas été inutile. Elle a mis un peu d'ordre et de propreté dans la ville. Elle a édicté quelques sages règlements de voirie et posé les premiers réverbères.

La commission internationale de contrôle a commencé ses tra

vaux c'est la plus importante, puisqu'elle est chargée de créer le premier organisme de gouvernement. Réussira-t-elle, en dépit des divergences qui déjà, s'y font jour ? Rien n'est moins certain.

La commission de délimitation parcourt présentement les contrées épirotes, en essayant de faire le départ entre ce qui est albanais et ce qui est hellène. Mais les délégués ne s'entendent guère entre eux et surtout ils entendent assez mal les idiomes de la région, à l'exception des représentants italien et autrichien dont le témoignage forcément intéressé ne peut pas être accepté sans réserves. Les montagnards jurent par tous les dieux de l'Olympe, qu'ils sont Grecs et que rien ne les empêchera de s'unir à la Grèce. Sur quoi les commissaires demandent à interroger leurs femmes pour s'assurer qu'elles ne parlent pas albanais. Mais les femmes demeurent invisibles ainsi que le veut la tradition orientale. Ce sont là de vraies scènes de comédie. Souhaitons que la comédie ne se change pas en drame. Quelles que soient les décisions de la commission touchant tel ou tel village, il semble que les centres les plus importants: Argyrocastro et Korytsa reviendront à l'Albanie. Et c'est ce dont s'indignent d'avance les Grecs, ce contre quoi ils protestent avec la plus vive énergie.

Turcs et Bulgares qui négociaient à Constantinople, se sont mis d'accord. Cet accord est même survenu plus vite qu'on ne l'aurait pensé. Les Bulgares ont fait de notables concessions et il n'est pas très difficile de découvrir la raison de cette attitude conciliante. Ce ne sont pas les Turcs qu'ils détestent le plus maintenant, mais les Grecs. C'est contre ceux-ci qu'ils tournent leurs désirs de revanche. Le fond de la politique bulgare a toujours été d'ailleurs, une entente avec la Turquie, une fois qu'ou l'aurait dépouillée de la Macédoine et d'une partie de la Thrace. Les Turcs ont, grâce à la sottise bulgare, reconquis ce qu'ils avaient perdu. Mais l'entente vient de se faire tout de même.

Ce succès diplomatique succédant à un grand succès militaire, la prise d'Andrinople, n'a servi qu'à rendre les Turcs beaucoup plus intransigeants vis-à-vis des Grecs. Des négociations se poursuivent à Athènes. Elles touchent à des points assez importants, le statut des populations grecques résidant dans l'Empire Ottomans, les biens vakoufs de Macédoine, etc. Les Grecs, qui se sentent dans une situation assez défavorable, ont fait de larges concessions sur presque tous ces points. Mais il n'est pas certain qu'elles satisfassent les exigences ottomanes, ni que les décisions

« AnteriorContinuar »