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dérablement les distances entre l'Europe et l'Asie de l'Est. La différence, au profit de Suez, pour les navires qui viennent de Liverpool, du Havre, d'Anvers et de Hambourg se chiffre en milliers de kilomètres :

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Quant aux ports de Marseille, de Gênes, de Trieste, de Naples, situés sur la Méditerranée, la route de Suez leur est encore plus avantageuse qu'aux ports du Nord-Ouest de l'Europe. Ainsi de Marseille à Hong-Kong par Suez, il y a 8.100 milles seulement. De même, pour les services français de l'Australie, dont Marseille est le port d'attache, il y a avantage à passer par Suez, puisque la distance de Marseille à Melbourne n'est plus que de 10.800 milles au lieu de 13.500 par Panama. Toutefois, si l'on envisage spécialement Yokohama, comme sur la route du canal américain le charbon sera moins cher, certains navires passeront peut-être par Panama. Donc, pour le commerce entre l'Europe et l'Asie, le canal de Panama sera sans utilité; or, il est à remarquer que presque tout le tonnage et les revenus du canal de Suez proviennent de ce

commerce.

L'analyse semble ainsi écarter de l'influence de Panama le commerce de la plus grande partie de la surface terrestre et les 9/10 de la population du globe desservis par Suez (1).

Du reste, il ne faut pas perdre de vue que le canal de Suez relie l'Europe par la voie la plus courte à la plus grande agglomération d'hommes qui existe, à tous ces pays producteurs et consomma teurs, depuis longtemps tributaires de l'Europe, et qui constituent le plus merveilleux marché qui soit au monde. Il est le plus actif passage du commerce universel des mers; sûr, bien aménagé, conçu suivant le plan même que dictait la nature, il restera la route de prédilection de la marine française.

Suez et Panama garderont donc leur trafic distinct, puisqu'ils s'adresseront à une clientèle différente; la concurrence qui, jusqu'à un certain point, pourra exister entre eux, ne nuira pas à leur commerce respectif. Il faut reconnaître cependant que, par suite du percement du canal de Panama, les Etats-Unis vont être à ce point rapprochés des divers pays de l'Amérique du Sud et de l'Extrême-Orient, qu'ils lutteront avec avantage contre l'Eu(1) The Geographical Journal, août 1899, p. 333.

rope pour accroître dans ces pays leur expansion économique, et ceci sera notre conclusion.

Le canal de Suez, en facilitant les communications entre l'Europe et la côte orientale de l'Afrique, a livré à notre exploitation économique, à notre civilisation tout une partie de cet immense continent. De même l'Asie, devenue plus facilement accessible, fournit à notre commerce ses vastes territoires. Aujourd'hui, grâce à Panama, c'est l'Amérique du Sud, si peu connue jusqu'ici, dont nous n'avons aucune carte fidèle, qui contient tant de pays inexploités, qui va s'ouvrir tout entière au large commerce, non plus seulement de l'Europe, mais de son voisin immédiat, les EtatsUnis. A ce commerce de l'Amérique du Sud, ils ajouteront celui de l'Extrême-Orient, désormais plus proche des riches Etats de l'Atlantique. Là, c'est la Chine, dont l'activité commerciale grandit chaque jour par suite du développement de la civilisation, de la construction de voies ferrées, d'un nivellement social plus accentué, qui exigera davantage les produits américains au détriment du commerce anglais; c'est le Japon qui cherche chaque jour des débouchés nouveaux, et pour sa population croissante, et pour son commerce de plus en plus prospère ; c'est l'Australie, qui offre aux commerçants américains un champ merveilleux d'exploitation. Panama est le trait d'union à travers le Pacifique entre ces pays si riches et la Côte Atlantique des Etats-Unis. D'un coup de baguette magique, les routes du monde sont transformées, les distances sont soudain simplifiées au plus grand profit d'une nation riche, puissante, dont l'agriculture se développe, dont l'industrie se perfec tionne et s'accroît, dont la population atteindra bientôt 100 millions d'hommes, dont l'histoire enfin est tendue vers un même but : la domination de l'Amérique et des Océans qui l'avoisinent.

Ce rêve des premiers fondateurs de la grande république se réalise enfin, après plus d'un siècle de patients efforts; les ouvriers de la première heure peuvent être fiers de l'œuvre qu'ils ont ébauchée, leurs successeurs l'ont poursuivie inlassablement et l'achèvent avec Panama. « La vieille Europe va se trouver une fois de plus, un siècle et demi après la grande Révolution des Etats-Unis, menacée dans son commerce, dans son influence, menacée loyalement, c'est entendu, mais menacée terriblement par la concurrence des Etats-Unis qui ont su reprendre à la France

et à l'Europe une œuvre que la France et l'Europe n'avaient ni osé, ni su garder pour elles » (1).

Les Etats Unis posent à leur profit la question du Pacifique, non seulement par la révolution commerciale qu'ils préparent à travers le vaste Océan, mais par les influences rivales qu'ils vont susciter et dans le domaine économique et également dans le domaine politique. Les Etats-Unis, plus rapprochés maintenant des peuples d'Asie, ne vont-ils pas se heurter à eux? Le grand Océan qui, par son immensité, était un obstacle entre les mondes américain et asiatique, et servait ainsi par lui-même la cause de la paix, va aujourd'hui les rapprocher, Le monde australien encore jeune, le monde japonais tout plein d'ambitions, chercheront eux aussi à profiter de la voie nouvelle. Ce n'est plus la Méditerranée qui est seule désormais le centre des luttes entre les nations, c'est l'Océan Pacifique qui peut devenir le champ clos des convoitises des peuples d'Amérique et d'Asie. C'est ainsi que le percement du canal de Panama, instrument d'impérialisme conquérant, aura pour l'avenir du monde, comme jadis celui de Suez, des conséquences incalculables.

J. AULNEAU.

(1) Discours de M. Henry Bérenger, Sénat, séance du 28 mai 1913.

Les dernières difficultés balkaniques. Le problème irlandais. Les désordres au Mexique.

Paris 1er novembre 1913.

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Il subsiste encore de

Les dernières difficultés balkaniques. ci, de là, en Orient, des flammes mal éteintes, comme il arrive forcément à la suite de quelque énorme incendie. Ces flammes seront-elles suffisantes pour ranimer en quelque endroit le brasier? C'est ce que l'opinion européenne se demande actuellement avec inquiétude. Elle espérait bien en avoir fini avec cette assommante affaire balkanique, qui n'a que trop longtemps retenu son attention; mais elle s'aperçoit que bien des difficultés restent à régler. Les négociations durent encore et s'éternisent entre la Grèce et la Turquie, la délimitation de l'Albanie n'est pas faite et le chaos, l'anarchie albanaise, bien loin de décroître, ont, au contraire, une tendance à augmenter. Les tribus albanaises ayant franchi la frontière serbe et les Serbes s'étant vus obligés de les repousser durement et de les ramener chez eux, il n'en faut pas davantage pour provoquer l'irritation de l'Autriche et déterminer un nouvel ultimatum du Cabinet viennois à Belgrade.

Quoi d'étonnant, si ces incidents entretiennent dans toute l'Europe, le malaise et l'inquiétude? On a annoncé tant de fois déjà que tout était terminé et chaque fois la nouvelle s'est trouvée démentie. Chaque départ n'a été qu'un faux départ. Maintenant, le public rendu méfiant et sceptique, refuse de croire à la réalité, à la possibilité même d'un dénouement. Il se réserve et il attend. Quand tout sera terminé pour de bon, il lui faudra assez longtemps encore pour qu'il consente à se laisser convaincre. Et c'est là une des causes, non la moindre, -de la stagnation des affaires, de la prudence extrême des capitalistes qui ne se décident pas à délier les cordons de leur bourse et à laisser sortir leurs capitaux.

L'Albanie, cette enfant mal venue de la Conférence de Lon

dres, cette création arbitraire des puissances n'a donné jusqu'ici à l'Europe que des soucis et des tracas. L'Autriche et l'Italie, dé sireuses de se réserver là une zone d'influence, où les prétextes à intervention ne manqueraient pas, préoccupées avant tout de réduire d'autant les conquêtes des vainqueurs balkaniques, ont impérieusement exigé sa création. Les autres puissances, dans un sentiment de condescendance peut-être excessive, ont souscrit à cette exigence. Malheureusement, on ne transforme pas d'un trait de plume un agrégat de tribus pillardes, n'ayant entre elles aucun lien, en une nation constituée.

Les Serbes et les Grecs occupaient militairement certaines parties du territoire albanais, qu'elles détenaient par droit de conquête, jusqu'au jour où un gouvernement régulier aura été organisé dans le pays, garantissant tant bien que mal la tranquillité et la sécurité. Il aurait été sage de les laisser en possession provisoire de ces territoires. Mais l'Autriche ne l'a point permis aux Serbes. Elle les a sommés d'évacuer l'Albanie avant même que la frontière n'en eût été très nettement tracée.

Les Albanais, accoutumés de longue date à ne respecter que la force, n'ont pas manqué d'interpréter cette retraite comme un acte de faiblesse. Des bandes nombreuses et bien armées ont franchi, le mois dernier, la frontière serbe, refoulé sans peine les garnisons insuffisantes et copieusement pillé toute la région. Les Serbes, le premier moment de surprise passé, se sont très rapidement ressaisis. Le gouvernement a pris aussitôt toutes les mesures nécessaires. Il a expédié sur la frontière de très importants 'renforts.

Une mobilisation partielle a été décrétée. Les Albanais, dès qu'ils se sont trouvés en présence de troupes considérables, bien disciplinées, pourvues de leur artillerie, n'ont pas longtemps résisté. Ils sont revenus chez eux en toute hâte, abandonnant des positions qui ont été occupées par l'armée serbe.

Le Cabinet de Belgrade ne songeait nullement à conserver pour toujours ces positions-là. M. Patchitch, le Premier Ministre, que ces événements avaient obligé d'interrompre son séjour chez nous, l'avait formellement déclaré, lors de son passage à Vienne. Il n'y avait vraiment aucune raison de ne pas ajouter foi à ses déclarations. Il n'y avait aucun raison de presser, avec des menaces plein la bouche, une évacuation qui n'aurait pas manqué de se faire d'elle-même.

Malheureusement, la diplomatie autrichienne s'est imposé comme règle absolue d'employer toujours la manière forte vis-à

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