Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Le charbon pourra être vendu à très bon compte sur la route de Panama, par exemple à 5 dollars par tonne près du Canal, car il revient à moins de 3 dollars dans les Etats de l'Est. Et ceci procurera un avantage à Panama, par rapport à Suez, où le charbon est de 6 dollars la tonne. En revanche, le charbon est cher aujourd'hui dans l'Amérique du Sud et dans les Etats de l'Ouest de l'Amérique du Nord; après l'ouverture du Canal, il pourra être vendu à un prix raisonnable dans toutes les stations du Pacifique au Nord et au Sud de l'Isthme et de la mer des Caraïbes.

On va nécessairement créer, pour développer cette navigation à vapeur, de nouvelles stations de charbon sur les grandes voies commerciales désormais plus fréquentées. On établira une station de charbon à Colon ou à Panama, puis sur la côte Ouest du Mexique, pour permettre aux vapeurs venant de San Francisco de s'approvisionner de combustible. Acapulco et Magdalena Bay, à proximité des régions minières et agricoles du Mexique pourront servir de stations de charbon. Nos vieilles Antilles seront situées sur le parcours des futures lignes de navigation établies entre l'Europe et l'Australie et procureront des points d'escale aux navires qui voudront se ravitailler, la rade de Fort-de-France, celle de la Pointe-à-Pitre qui offrent des ressources incomparables; sans trop exagérer a-t-on dit leur importance comme ports d'escale, car ils sont situés trop près de Colon et sur une route directe d'Europe en Amérique où se trouvent des îles plus prospères que la Guadeloupe et la Martinique, comme la Jamaïque, Cuba, Haïti, Porto-Rico (1).

(1) Conclusions du rappoort de M. Douvry, délégué du Ministre du Commerce et de l'Industrie, mission à Panama et aux Antilles. V. Journal Officiel du 16 janvier 1913, annexe p. 128, et dans le même sens conférence de M. Morton Fullerton, France-Amérique, juin 1913, p. 363. Dans un remarquable discours au Sénat, le 26 mai 1913, M. Henry Bérenger a combattu les conclusions du rapport Douvry, en disant non sans raison que « dans cette Méditerranée américaine qu'est la mer des Antilles, tous les ports, ceux de la Guadeloupe et de la Martinique, aussi bien que ceux d'Haïti et de Cuba, pourront être amenés à bénéficier de l'ouverture du canal ». Il est certain que les Antilles et leurs ports principalement retireront de l'ouverture du canal de multiples avantages; déjà, comme le faisait remarquer M. Bérenger, les Danois, les Hollandais, les Anglais se sont préoccupés d'aménager leurs ports des Antilles. V. dans le même sens le discours de M. Sévère. Ch, des Dép. J. 0. du 16 décembre 1912); M. Phil. Bunau-Varilla (V. la France du 28 mai 1913) estime qu'il y a lieu de procéder à des aménagements locaux dans les Antilles françaises qui serviront de points de relâche surtout pour les navires venant de la Méditerranée. Dans la séance du 26 mai 1913, au Sénat, le Ministre des Colonies a promis de veiller à l'exécu

Mais des ports de relâche sont encore plus nécessaires sur le long parcours de Panama aux côtes d'Australie. Dans cet immense désert maritime qu'est le Pacifique, la France occupe, grâce à ses archipels de la Polynésie, situés à mi-chemin sur les 8.000 milles qui séparent Panama de Sydney, juste à la distance qui correspond à la limite extrême des soutes des bons steamers actuels, une situation exceptionnelle. Le littoral des archipels polynésiens se découpe en baies plus ou moins accentuées qui forment comme des ports naturels, ainsi, par exemple, aux iles Marquises, à Mooréa, à Tahiti surtout, « cette perle et ce diamant du cinquième monde », comme l'appelait Dumont d'Urville, où les deux belles baies de Port Phaéton et de Papeete centre de la station navale et véritable joyau de la nature, constituent des bases merveilleuses de ravitaillement (1).

Puis, par le fait même de l'existence du canal et du raccourcissement des distances qui en résulte, certains pays verront leur

tion de travaux à Fort-de-France et à la Pointe-à-Pitre; (J. 0. du 27 mai 1913).

(1) M. Paul Deschanel, dès 1884, soulignait, dans son ouvrage En Océanie, l'importance que prendraient les îles Marquises et Tahiti dès l'ouverture du canal de Panama (p. 343 et suiv.). Voir également les conclusions du rapport-Douvry, op. cit. et conclusions du rapport de M. Jullidière (même mission). Journal Officiel du 19 mai 1913 (annexes). Les membres de la mission ont été unanimes à affirmer la supériorité de Papeete comme port d'escale. Il y eut divergence de vues entre deux membres de la mission, MM. Jullidière et Douvry, au sujet de l'utilisation de ce port, l'un demandant qu'on y annexât un dépôt de charbon, l'autre soutenant que ce dépôt était inutile, car les cargos ne s'arrêteront pas à Tahiti, mais feront leur plein de charbon à Panama, pour aller de là directement à Auckland et Sydney; et puis M. Douvry estime que dans un avenir donné les huiles lourdes de pétrole remplaceront le charbon et qu'il n'y a pas lieu de faire des frais pour la création d'un dépôt de charbon. Le Comité des travaux publics des Colonies a répondu en déclarant que le port de Papeete devait être créé rapidement et que la « prospérité de ce port était liée étroitement aux facilités du charbonnage » (V. J. O. du 19 mai 1913, loc. cit.). Le Ministre des Colonies, dans la séance du 26 mai 1913, au Sénat, a fait siennes les conclusions du Comité et a déclaré qu'il fallait « réaliser immédiatement les travaux indispensable pour mettre Papeete à la hauteur du rôle que la nature lui permet de jouer ».

Du reste, tout le monde est d'accord dans les deux Assemblées pour réclamer une utilisation rapide des colonies françaises d'Océanie et des Antilles, en vue de l'ouverture de Panama. Le 23 déc. 1912, la Chambre des Députés votait une résolution par laquelle elle invitait le Gouvernement à aménager rapidement les ports des Antilles et d'Océanie. Le 26 mai 1913, le Sénat a voté un ordre du jour de M. Bérenger conçu dans les mêmes termes.

était de 60 millions de dollars en 1900, elle atteignait, en 1912, 112 millions de dollars. Les exportations de cuivre sont en progrès de 10 millions de dollars et celles de charbon de 6 millions.

:

Parmi les importations matières premières, denrées coloniales, articles manufacturés, articles de luxe et d'alimentation l'extension est également générale; elles étaient de 696.807.176 dollars en 1880, de 823.320.943 dollars en 1891, elles étaient de 1.818.333.355 dollars en 1912; elles montrent également combien le commerce américain a augmenté ces dernières années.

Les facteurs de l'expansion commerciale d'un pays sont constitués par les voies de communication terrestre et par les ports qui sont les amorces et les débouchés des voies maritimes. Les EtatsUnis sont très favorisés au point de vue du développement des voies ferrées qui drainent le commerce d'un Océan à l'autre, qui ont remplacé les routes, et dans plusieurs parties créé l'agriculture et l'industrie, et qui atteignent aujourd'hui 385.662 kilomètres contre 55.151 kilomètres en 1870.

Parmi ces lignes, on peut citer le Great Northern Pacific, le Northern Pacific, le Central Pacific, le Southern Pacific, avec de nombreuses voies de pénétration dans le sud pour desservir les grands centres industriels et manufacturiers: New-York à Jackons ville, New-York à la Nouvelle-Orléans, Chicago à la NouvelleOrléans, etc...

Toutes ces voies intérieures de transports aboutissent aux grands ports de New-York, Boston, la Nouvelle-Orléans, Philadelphie, Galveston, San-Francisco, Portland, Seattle, Port-Townsend, Takoma, Vancouver, qui sont parmi les principaux. Ces ports sont les têtes de ligne des grandes voies maritimes qui mettent les Etats-Unis en communication avec les autres parties du monde. De nombreuses lignes de vapeurs ont été créées par les compagnies maritimes pour faire communiquer l'Extrême-Orient et l'Europe avec les ports américains, et les compagnies de chemins de fer les soutiennent et sont prêtes à en organiser de nouvelles pour attirer le commerce européen et asiatique. Ces ports, ces voies de communication servent puissamment au commerce des EtatsUnis en facilitant les rapports économiques avec les autres pays. Le commerce des Etats-Unis en effet se répartit de la façon suivante dans ses relations extérieures. D'abord au point de vue spécialement américain, le commerce se produit d'un Océan à l'autre, des ports du Pacifique aux ports de l'Atlantique, soit par les voies transcontinentales dont ils sont les aboutissants naturels. soit par mer, en empruntant le détroit de Magellan. Il se produit également, toujours par le détroit de Magellan, entre les côtes de

l'Amérique du Nord et les côtes de l'Amérique du Sud, sur les deux Océans Atlantique et Pacifique, par exemple d'un Océan à l'autre entre la côte Atlantique Nord (New-York) et la côte Pacifique Sud (Chili, Pérou, Equateur), et entre la côte Pacifique Nord (San-Francisco) et la côte Atlantique Sud (République Argentine, Brésil). Puis ce commerce déborde les Amériques, gagne soit l'Europe, soit l'Extrême-Orient: Australie, Chine, Japon, toujours par le détroit de Magellan si l'on envisage la côte Atlantique Nord. Ce commerce déjà très important augmentera encore si les Etats-Unis peuvent lui assurer des transports à bon compte. L'une des conditions essentielles du développement économique d'un pays, c'est non seulement les facilités de communication maritimes et terrestres, mais aussi la possibilité d'envoyer des grosses marchandises à un prix de revient très peu élevé. Or, c'est là tout le problème de Panama, qui va modifier à l'avantage des Etats-Unis les grandes voies commerciales, en les simplifiant, en les raccourcissant, et en diminuant le prix des transports.

Nous allons donc examiner de quelle façon l'ouverture du canal de Panama transformera les grands courants du trafic maritime et comment, par conséquent, elle servira la politique impérialiste des Etats-Unis en leur permettant de réaliser la conquête économique du Pacifique.

* **

Il est inutile de faire ici l'historique du canal de Panama. On sait combien est vieille l'idée de percer l'isthme de Panama pour faire communiquer entre eux les deux océans Atlantique et Pacifique au centre même des deux Amériques, et à combien de projets cette idée a donné lieu. L'isthme de Panama est, peut-on dire, une bizarrerie de la nature qui opposait là, sur une langue de terre, avec le massif de la Culebra, comme un obstacle en apparence insurmontable aux grandes communications mondiales. Depuis près d'un siècle, les Etats-Unis ont songé à le franchir, mais ce sont les Français qui ont donné le premier coup de pioche, reprenant ainsi « le grand œuvre » de pénétration des Indes orientales qu'avait rêvé Christophe Colomb, que Fernand Cortez avait fait espérer à l'Empereur Charles-Quint et qui va devenir, grâce aux derniers perfectionnements de la science moderne, si bien utilisés par les Etats-Unis, une œuvre de construction et d'exécution grandioses.

Après avoir creusé, grâce à leurs puissants excavateurs à vapeur,

la tranchée de la Culebra, qui avait vu s'effondrer tant d'espérances françaises, construit d'immenses écluses en béton armé et enlevé les derniers millions de mètres cubes de terre, les Etats-Unis livreront, en 1914, au commerce mondial, ce canal qui aura 80 kilomètres de long, une largeur de 91 à 300 mètres, 12 m. 50 de profondeur, qui aura employé près de 33.000 travailleurs, aura demandé 10 ans de travail, pour extraire 140.900.000 mètres cubes de terres et de roches et aura coûté près de deux milliards de francs (1).

Ce percement de l'isthme, accompli par les Etats-Unis et à leur avantage essentiel, va leur donner des facilités commerciales nouvelles et créera un trafic nouveau. En envisageant d'abord l'Amérique du Nord, on constate qu'un cabotage important s'opère entre la côte Est sur l'Atlantique, qui est la partie industrielle et commerciale, et la côte Ouest sur le Pacifique, qui est la partie la plus riche au point de vue agricole. Sur la côte Atlantique, le commerce absorbe 70.54 0/0, sur la côte Pacifique 5.55 0/0 ; on voit donc la supériorité commerciale des rivages Atlantique (2). L'Etat de Pensylvanie, par exemple, enverra vers le Pacifique les charbons, les fontes, les aciers, les machines, les pétroles, qui s'y trouvent en quantités insuffisantes, tandis qu'en revanche les Etats de l'Ouest, pays très agricoles, expédieront leurs produits vers New-York. Les deux côtes, par suite de la différence des produits qu'elles possèdent, sont complémentaires l'une de l'autre ; il y a donc là un trafic assuré au canal de Panama. Or, on saisit de suite l'im

(1) Auxquels ils faut ajouter les 1480 millions déjà dépensés par les deux compagnies françaises, ce qui fait en tout, près de trois milliards et demi. Ce chiffre dépasse de beaucoup les estimations des ingénieurs français, et à peu près du double les prévisions de l'Isthmian Canal Commission formulées en 1906.

On sait que le canal de Panama est un canal à écluses, mais qui, plus tard, devra être transformé en canal à niveau suivant le plan de M. Bunau-Varilla, et conformément à la décision du Sénat des Etats-Unis du 19 juin 1906. C'est donc une idée bien française qui a triomphé ce jour-là à Panama, avec le distingué ingénieur en chef du canal. Avec le canal à écluses, il y a à redouter les dangers très graves d'éboulements dans la tranchée de la Culebra et près du long barrage mou de Gatun. Ils se sont déjà produits, ils sont à craindre encore et c'est pourquoi l'ouverture du canal a été retardée. Les Etats-Unis sont avertis. (V. le livre très intéressant qui vient de paraître de M. Philippe Bunau-Varilla, Panama: la création, la destruction, la résurrection. Paris 1913, notamment pages 660 et suivantes).

(2) Les ports de l'Atlantique avaient en 1910 22.188.791 tonnes d'entrée et 21.109.082 de sortie, ceux du Pacifique 3.772.733 d'entrée contre 3.864.452 de sortie.

« AnteriorContinuar »