portance de cette voie nouvelle, si l'on songe que les deux rivages océaniques sont distants l'un de l'autre aujourd'hui de 13.316 milles nautiques par le détroit de Magellan, et que les vapeurs mettent 60 jours à faire le voyage de New-York à Philadelphie, et les voiliers deux fois autant. Le canal raccourcit ces distances à 5.250 milles, soit 40 0/0 de leur longueur totale, et les deux côtes sont maintenant plus proches l'une de l'autre que des ports de la Manche. Ainsi, les ports de la Manche sont distants de San-Francisco de 8.000 milles par la voie la plus courte, et New-York par Panama ne le sera que de 5.250 milles ; c'est un grand désavantage pour l'Europe, dont les importations se trouveront sans doute restreintes, car le commerce des côtes Pacifiques avec les côtes Atlantiques est de 89 0/0 du commerce total; il est de 6 0/0 vers le Pacifique, et de 5 0/0 vers les Etats de l'Amérique centrale et méridionale. Un champ encore plus vaste est réservé, grâce au canal, aux industries américaines de l'Est Atlantique avec les Etats du CenIre et de l'Amérique du Sud-Ouest. C'est dans ces pays que l'Eu rope, à l'heure présente, a une influence commerciale prépondérante; elle se trouve être aussi près des ports de la côte Ouest de l'Amérique du Sud que le sont les ports des Etats-Unis sur l'Atlantique : Après l'ouverture de Panama, c'est l'Europe qui aura la position désavantageuse, et les Etats-Unis de l'Ouest seront dans une situation prépondérante. Dès l'ouverture du canal, les matières premières de l'agriculture et de l'industrie que produisent les Etats de l'Amérique du Sud-Ouest, les nitrates du Chili, les guanos du Pérou, les cuivres. l'argent, le cacao, et les produits forestiers de l'Amérique Centrale, au lieu d'être échangés en Europe contre les fers, aciers. huiles, armes, voitures, outils agricoles, liqueurs, vêtements, pétroles, se dirigeront vers la Nouvelle-Orléans et New-York, plus près désormais que Liverpool. Il y aura encore un élément important fourni au trafic du canal par les relations commerciales qui existent entre les ports des Etats-Unis sur le Pacifique et les ports de l'Amérique du Sud sur l'Atlantique. Des échanges s'établiront dans les meilleures conditions possibles, par suite du raccourcissement des distances, entre San-Francisco, Rio-de-Janeiro et Buenos-Ayres. Panama va permettre aux Etats-Unis de trouver d'autres débouchés par des transports plus rapides et moins coûteux. Ainsi il facilitera les relations commerciales entre la côte des Etats-Unis sur le Pacifique et l'Europe. San-Francisco sera plus rapproché des ports de la Manche, grâce au canal, qu'il ne l'était autrefois par le détroit de Magellan. Les Etats-Unis pourront donc exporter plus facilement en Europe et à meilleur compte les produits que nous leur demandons. Mais où les avantages du canal de Panama sont encore plus grands pour les Etats-Unis, c'est dans leur commerce avec l'Extrême-Orient. Et nous touchons-là au problème même du Pacifique. Ainsi, en 1870, le commerce américain en Chine était de 17.681.908 dollars, il était, en 1900, de 51.231.814, en 1912, de 56.166.772. Il est vrai que depuis quelques années, tandis que les importations des Etats-Unis en Chine ont augmenté, passant de 27.884.518 en 1905, à 35.126.226 en 1912, leurs exportations, en revanche, ont beaucoup baissé, de 53.453.385, en 1905, à 21.040.546, en 1912. Car là, ils rencontrent un dangereux rival, le Japon, dont les exportations, par exemple en cotonnades, ont passé de 733.436 en 1906, à 2.389.693 dollars en 1910 (1). Le commerce d'exportation des Etats-Unis en Chine a donc subi un certain déclin ces années dernières, et de redoutables rivaux luttent sans cesse pour le dépasser. Seulement, cette situation désavantageuse ne durera pas. L'ouverture du canal de Panama va donner au commerce américain en Extrême-Orient une impulsion décisive. La partie la plus peuplée des Etats-Unis, celle où la vie est la plus intense, le commerce le plus prospère, c'est la côte Atlantique. C'est là où se trouvent les grands ports: la Nouvelle-Orléans, Boston, Philadelphie, New-York; les côtes sont bien découpées. l'arrière-pays, fait de plaines fertiles, est exceptionnellement riche, tandis que la côte Pacifique est d'accès difficile, car des mon (1) Voir notre article: Les Américains en Chine, dans France-Amérique, janvier 1912. tagnes abruptes derrière lesquelles s'étendent des plateaux désertiques, bordent le littoral. Le canal va permettre de porter rapidement en Chine et au Japon les pétroles de Pensylvanie, les aciers, les outils, les machines des Etats du Nord, les produits agricoles de la riche vallée du Mississipi et les cotonnades qui y sont fabriquées. Les Etats-Unis pourront désormais lutter avec avantage sur des marchés où l'Angleterre était jusqu'ici prépondérante avec ses articles de fer, ses machines et ses cotonnades. Le canal amènera, entre le Japon et les Etats-Unis, des relations commerciales encore plus étendues parce qu'elles seront plus rapides et moins coûteuses. Pour le commerce d'Extrême-Orient, Panama permettra même aux Etats-Unis de concurrencer le canal de Suez, c'est-à-dire le commerce européen en Australasie, en Chine, et au Japon. Grâce à Panama, les Etats-Unis sont plus rapprochés des marchés d'Extrême-Orient que par la voie de Suez. Ainsi, pour la Chine et le Japon, voici les distances: Déjà, il y a là un premier avantage pour Panama. Et cette différence existe encore, toujours au profit des EtatsUnis, si on compare la distance qui sépare ces ports chinois et japonais de New-York, à celle qui existe entre Liverpool et ces mêmes ports: Ils se trouveront aussi près que l'Europe des ports d'ExtrêmeOrient et concurrenceront l'Angleterre qui envoie également, en Chine, les outils, les machines, et les produits du Lancashire. Il en sera ainsi en ce qui concerne l'Australasie, dont les ports de la côte Atlantique des Etats-Unis vont se trouver plus rapprochés qu'auparavant et même plus rapprochés que ceux de la Manche: New-York sera donc situé désormais à plus courte distance que Liverpool et par conséquent qu'Anvers et Hambourg d'Adélaïde, de Melbourne, de Sydney, de Wellington. Il va les détrôner sur les marchés d'Extrême-Orient. Quel avantage pour les Etats-Unis, si l'on songe au vaste marché que leur réserve l'Australasie, dont la superficie est presque égale aux trois quarts de celle de l'Europe! Les ports des Etats-Unis sur l'Atlantique bénéficieront de cet accroissement de trafic. New-York qui fait à lui seul la moitié du commerce des ports de l'Union restera le grand centre de liaison entre l'Europe et les Etats-Unis, mais son influence diminuera au profit des ports du Sud, de la vallée du Mississipi et du golfe du Mexique, dans les relations avec l'Extrême-Orient. Grâce au canal, les ports des Etats du Sud auront leur revanche, et ces Etats de l'Union, qui, en 1865, furent vaincus dans leur lutte contre le Nord, vont triompher aujourd'hui sur le terrain économique. Non seulement dans leur commerce avec l'Amérique du Sud Pérou, Chili, avec la côte Ouest, un trafic important s'établira au profit de ces ports jusqu'ici déshérités, mais c'est principalement grâce à leur trafic avec la Chine et le Japon que Galveston, et notamment la Nouvelle-Orléans, vont devenir les élus parmi les centres commerciaux. Panama établira ainsi un véritable bouleversement dans les relations économiques des Etats-Unis avec l'Extrême-Orient, ils seront les maîtres du Pacifique ! Pour apprécier exactement les progrès des Etats-Unis dans cette nouvelle expansion commerciale, il faudrait déterminer le trafic probable du canal et pour cela tenir compte d'éléments divers qui interviennent jusqu'à un certain point. Quels vont être les tarifs au passage du canal qui influencent les frais de transport, peuvent diminuer ou augmenter le trafic? Quelle sera également, à l'encontre de ce trafic, la concurrence des chemins de fer transcontinentaux qui transportent les marchandises d'un Océan à l'autre pour les transmettre aux lignes de navigation, et même celle du canal de Suez, cette grande voie de l'Europe vers les Indes? M. Emory R. Johnson, professeur de transport et de commerce à l'Université de Pensylvanic, se servant des évaluations de trafic de la commission présidée par l'inspecteur des Ponts et Chaussées Guillemain, de la Compagnie nouvelle du canal de Panama, de la commission isthmienne américaine, a refait une étude complète du tonnage des navires qui, en 1909-10, auraient pu emprunter le canal. Son estimation, comme celle de l'Isthmian commission, en 1901, est basée sur les statistiques d'entrées et de sorties des ports; mais ces chiffres sont discutés par M. Johnson et contrôlés à l'aide des statistiques du commerce extérieur en général, et notamment pour le commerce entre l'Europe et les côtes Ouest de l'Amérique Centrale, et la côte Est des Etats-Unis avec l'Extrême-Orient. L'Isthmian commission, en 1901, indiquait, pour 1909, 6.118.735 tonnes et la Compagnie nouvelle 6.257.249 tonnes. En comparant ces chiffres de 1899 et de 1909, M. Johnson, par une série de calculs, fixe à 26.08 0/0 l'accroissement de la navigation de 1910 à 1915, ce qui donne une augmentation de 2.171.950 tonnes, soit pour 1910, de 8.328.029, et pour 1915, un tonnage total prévu de 10.499.979 tonnes. Enfin, il estime qu'il y aura un accroissement de 60 0/0, entre 1915 et 1925, et alors, en 1925, le tonnage du canal serait de 17.000.000 de tonnes, tandis que celui de Suez sera, en 1915, de 20.000.000 de tonnes et de 35.000.000 en 1925 (1). Mais diverses causes vont influencer cette navigation. D'abord l'emploi des voiliers qui seront de plus en plus rares pour la traversée du canal, à cause de la nécessité pour eux d'user du remorquage qui est très onéreux. Puis il faudra tenir compte des courants sous-marins, de l'alizé, et surtout du prix du charbon et du nombre variable des stations de charbon. (1) Voir notamment North American Review, août 1912. Panama canal traffic and tolls, by EMORY R. JOHNSON, p. 177-178. Revue de Paris, 1er juillet, 15 janvier 1913. Nineteenth century, octobre 1912. M. PHILIPPE BUNAU-VARILLA (op. cit,, p. 666) estime la capacité maximum pratique du canal à écluses à 50.000.000 de tonnes, Dans 10 ans environ ce trafic aura atteint 22.000.000 de tonnes, dans vingt ans, 44.000.000, soit la limite de capacité du canal s'il ne l'a pas dépassée déjà. Il y aura alors nécessité de transformer le canal à écluses en canal à ni veau. |