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comme celui de M. Leroy pourrait être utile en tant que documentation consciencieuse sur ce que les syndicats et le syndicaliseme, dans la plupart de leurs prétentions ou de leurs tentatives, ont essayé d'être et n'ont pu être, sans blesser violemment la justice, l'ordre public, ou les possibilités pratiques. Mais ce n'est pas là le but qu'a visé M. Leroy, ni l'esprit dans lequel il a écrit son livre. Le sujet méritait une étude non mieux renseignée au point de vue des documents, car à ce point de vue elle est complète, mais s'occupant plus des faits réels, et plus impartiale dans son inspiration.

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EUGENE D'EICHTHAL,

de l'Institut.

II

LE CANAL DE PANAMA

L'EXPANSION ÉCONOMIQUE DES ÉTATS-UNIS
ET LA CONQUÊTE DU PACIFIQUE

Le Président Roosevelt disait, à Chicago, le 8 avril 1903, du canal de Panama : « C'est le plus grand exploit matériel du xx siècle, plus grand que tout autre similaire en aucun siècle, et ce sont les Etats-Unis qui l'accomplissent à leur profit. Ils tranchent à Panama le nœud gordien et s'en adjugent les bénéfices ! » Cetle prédiction va se réaliser. Dans quelques mois, le canal de Panama, dont la construction est déjà vieille de plus de trente ans, sera terminé. Si de Lesseps a eu l'insigne mérite d'avoir commencé l'entreprise et d'y avoir intéressé un grand pays, les Etats-Unis auront la gloire d'avoir achevé l'œuvre après avoir effectué les immenses travaux de la Culebra, surmontant les difficultés matérielles et sanitaires qu'ils avaient à vaincre, et montrant ce que peuvent et la constance et la ténacité dans la poursuite d'un même dessein. Ils vont recueillir bientôt les bénéfices de leurs patients efforts, et ces bénéfices, le Président Roosevelt ne les exagérait pas, seront im

menses.

Ils se manifesteront dans le domaine militaire, en donnant aux Etats-Unis la facilité d'opérer une rapide concentration de leur flotte et de la porter sur l'une ou l'autre côte, Atlantique ou Paci

fique, sans avoir à effectuer le trajet beaucoup plus long par le détroit de Majellan. Ils se manifesteront également dans le domaine économique. C'est ce point de vue que nous voulons examiner; nous indiquerons quelle sera l'influence du canal de Panama sur l'expansion commerciale des Etats-Unis, comment il développera leurs relations avec l'Europe, avec l'Amérique, et principalement avec leurs clients d'Extrême-Orient, assurant ainsi à leur profit la domination du Pacifique.

Le Canal de Panama va modifier les routes que suit le commerce américain et facilitera son extension et son développement. La première question à examiner est de savoir quelle est l'importance du commerce des Etats-Unis et qu'elles en sont les principales manifestations.

Le commerce total des Etats-Unis, s'est élevé, en 1912, à 4 milliards 217.351.348 dollars (1), en progression de 592.464.924 dollars sur l'année 1911. En 1907, année où le maximum a été atteint, il était de 3.346.596.025 dollars, et en 1895 de 1.626.529.483 dollars seulement. En 17 ans, il avait presque triplé tandis que la population n'augmentait que de 35 0/0 de 68.934.000 à 93.792.509, contre 5.308.483 seulement, en 1800. Le commerce des Etats-Unis se caractérise donc par une très grande rapidité d'accroissement. Celleci apparaîtrait encore plus considérable si l'on envisageait des années plus éloignées, par exemple 1800 avec 162.224.548 dollars ou encore 1867, avec 864.718.068 dollars, ou 1880, avec 1.586.490.598 dollars, par rapport à 1912. Les Etats-Unis viennent du reste au troisième rang du commerce mondial, après l'Angleterre et l'Allemagne, tandis que la France n'arrive qu'au quatrième rang.

D'autres caractéristiques du commerce des Etats-Unis, c'est que les exportations y dépassent de beaucoup les importations, sauf en 1892-1893, à cause des mauvaises récoltes. Ainsi en 1912, les importations sont de 1.818.133.355 dollars et les exportations de 2.399.217.993 dollars, contre 889.683.422 dollars en 1880.

Parmi les exportations qui sont la base du commerce américain coton, pétrole, articles manufacturés, cuivre, articles de cuivre, colonnades, la hausse a été constante ces dernières années. Les exportations de coton étaient de 6 millions de balles en 1900, elles ont été de 10.675.000 en 1912. La valeur des pétroles exportés

(1) Année finissant au 31 décembre.

était de 60 millions de dollars en 1900, elle atteignait, en 1912, 112 millions de dollars. Les exportations de cuivre sont en progrès de 10 millions de dollars et celles de charbon de 6 millions.

Parmi les importations matières premières, denrées coloniales, articles manufacturés, articles de luxe et d'alimentation l'extension est également générale; elles étaient de 696.807.176 dollars en 1880, de 823.320.943 dollars en 1891, elles étaient de 1.818.333.355 dollars en 1912; elles montrent également combien le commerce américain a augmenté ces dernières années.

Les facteurs de l'expansion commerciale d'un pays sont constitués par les voies de communication terrestre et par les ports qui sont les amorces et les débouchés des voies maritimes. Les EtatsUnis sont très favorisés au point de vue du développement des voies ferrées qui drainent le commerce d'un Océan à l'autre, qui ont remplacé les routes, et dans plusieurs parties créé l'agriculture et l'industrie, et qui atteignent aujourd'hui 385.662 kilomètres contre 55.151 kilomètres en 1870.

Parmi ces lignes, on peut citer le Great Northern Pacific, le Northern Pacific, le Central Pacific, le Southern Pacific, avec de nombreuses voies de pénétration dans le sud pour desservir les grands centres industriels et manufacturiers New-York à Jackons ville, New-York à la Nouvelle-Orléans, Chicago à la NouvelleOrléans, etc...

Toutes ces voies intérieures de transports aboutissent aux grands ports de New-York, Boston, la Nouvelle-Orléans, Philadelphie, Galveston, San-Francisco, Portland, Seattle, Port-Townsend, Takoma, Vancouver, qui sont parmi les principaux. Ces ports sont les têtes de ligne des grandes voies maritimes qui mettent les Etats-Unis en communication avec les autres parties du monde. De nombreuses lignes de vapeurs ont été créées par les compagnies maritimes pour faire communiquer l'Extrême-Orient et l'Europe avec les ports américains, et les compagnies de chemins de fer les soutiennent et sont prêtes à en organiser de nouvelles pour attirer le commerce européen et asiatique. Ces ports, ces voies de communication servent puissamment au commerce des EtatsUnis en facilitant les rapports économiques avec les autres pays. Le commerce des Etats-Unis en effet se répartit de la façon suivante dans ses relations extérieures. D'abord au point de vue spécialement américain, le commerce se produit d'un Océan à l'autre, des ports du Pacifique aux ports de l'Atlantique, soit par les voies transcontinentales dont ils sont les aboutissants naturels. soit par mer, en empruntant le détroit de Magellan. Il se produit. également, toujours par le détroit de Magellan, entre les côtes de

l'Amérique du Nord et les côtes de l'Amérique du Sud, sur les deux Océans Atlantique et Pacifique, par exemple d'un Océan à l'autre entre la côte Atlantique Nord (New-York) et la côte Pacifique Sud (Chili, Pérou, Equateur), et entre la côte Pacifique Nord (San-Francisco) et la côte Atlantique Sud (République Argentine, Brésil). Puis ce commerce déborde les Amériques, gagne soit l'Europe, soit l'Extrême-Orient: Australie, Chine, Japon, toujours par le détroit de Magellan si l'on envisage la côte Atlantique Nord.

Ce commerce déjà très important augmentera encore si les Etats-Unis peuvent lui assurer des transports à bon compte. L'une des conditions essentielles du développement économique d'un pays, c'est non seulement les facilités de communication maritimes et terrestres, mais aussi la possibilité d'envoyer des grosses marchandises à un prix de revient très peu élevé. Or, c'est là tout le problème de Panama, qui va modifier à l'avantage des Etats-Unis les grandes voies commerciales, en les simplifiant, en les raccourcissant, et en diminuant le prix des transports.

Nous allons donc examiner de quelle façon l'ouverture du canal de Panama transformera les grands courants du trafic maritime et comment, par conséquent, elle servira la politique impérialiste des Etats-Unis en leur permettant de réaliser la conquête économique du Pacifique.

*

Il est inutile de faire ici l'historique du canal de Panama. On sait combien est vieille l'idée de percer l'isthme de Panama pour faire communiquer entre eux les deux océans Atlantique et Pacifique au centre même des deux Amériques, et à combien de projets. cette idée a donné lieu. L'isthme de Panama est, peut-on dire, une bizarrerie de la nature qui opposait là, sur une langue de terre, avec le massif de la Culebra, comme un obstacle en apparence insurmontable aux grandes communications mondiales. Depuis près d'un siècle, les Etats-Unis ont songé à le franchir, mais ce sont les Français qui ont donné le premier coup de pioche, reprenant ainsi le grand œuvre » de pénétration des Indes orientales qu'avait rêvé Christophe Colomb, que Fernand Cortez avait fait espérer à l'Empereur Charles-Quint et qui va devenir, grâce aux derniers perfectionnements de la science moderne, si bien utilisés par les Etats-Unis, une œuvre de construction et d'exécution grandioses.

Après avoir creusé, grâce à leurs puissants excavateurs à vapeur,

la tranchée de la Culebra, qui avait vu s'effondrer tant d'espérances françaises, construit d'immenses écluses en béton armé et enlevé les derniers millions de mètres cubes de terre, les Etats-Unis livreront, en 1914, au commerce mondial, ce canal qui aura 80 kilomètres de long, une largeur de 91 à 300 mètres, 12 m. 50 de profondeur, qui aura employé près de 33.000 travailleurs, aura demandé 10 ans de travail, pour extraire 140.900.000 mètres cubes de terres et de roches et aura coûté près de deux milliards de francs (1).

Ce percement de l'isthme, accompli par les Etats-Unis et à leur avantage essentiel, va leur donner des facilités commerciales nouvelles et créera un trafic nouveau. En envisageant d'abord l'Amérique du Nord, on constate qu'un cabotage important s'opère entre la côte Est sur l'Atlantique, qui est la partie industrielle et commerciale, et la côte Ouest sur le Pacifique, qui est la partie la plus riche au point de vue agricole. Sur la côte Atlantique, le commerce absorbe 70.54 0/0, sur la côte Pacifique 5.55 0/0; on voit donc la supériorité commerciale des rivages Atlantique (2). L'Etat de Pensylvanie, par exemple, enverra vers le Pacifique les charbons, les fontes, les aciers, les machines, les pétroles, qui s'y trouvent en quantités insuffisantes, tandis qu'en revanche les Etats de l'Ouest, pays très agricoles, expédieront leurs produits vers New-York. Les deux côtes, par suite de la différence des produits qu'elles possèdent, sont complémentaires l'une de l'autre ; il y a donc là un trafic assuré au canal de Panama. Or, on saisit de suite l'im

(1) Auxquels ils faut ajouter les 1480 millions déjà dépensés par les deux compagnies françaises, ce qui fait en tout, près de trois milliards et demi. Ce chiffre dépasse de beaucoup les estimations des ingénieurs français, et à peu près du double les prévisions de l'Isthmian Canal Commission formulées en 1906.

On sait que le canal de Panama est un canal à écluses, mais qui, plus tard, devra être transformé en canal à niveau suivant le plan de M. Bunau-Varilla, et conformément à la décision du Sénat des Etats-Unis du 19 juin 1906. C'est donc une idée bien française qui a triomphé ce jour-là à Panama, avec le distingué ingénieur en chef du canal. Avec le canal à écluses, il y a à redouter les dangers très graves d'éboulements dans la tranchée de la Culebra et près du long barrage mou de Gatun. Ils se sont déjà produits, ils sont à craindre encore et c'est pourquoi l'ouverture du canal a été retardée. Les Etats-Unis sont avertis. (V. le livre très intéressant qui vient de paraître de M. Philippe Bunau-Varilla, Panama: la création, la destruction, la résurrection. Paris 1913, notamment pages 660 et suivantes).

(2) Les ports de l'Atlantique avaient en 1910 22.188.791 tonnes d'entrée et 21.109.082 de sortie, ceux du Pacifique 3.772.733 d'entrée contre 3.864.452 de sortie.

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