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que celui de l'égalité des citoyens, déclarait-on dans un Mémoire, soumis à l'Association en janvier 1902 (1).

Les Polonais étaient hors la loi, avec toutes les conséquences matérielles de cette condamnation on proposait d'interdire à leurs syndicats tous travaux de drainage et d'amélioration, de les exclure du droit d'association, de réunion, de manifestation de la pensée par la presse sauf s'ils em

ployaient la langue allemande (2).

La réprobation que de pareils énoncés provoqueraient, les pangermanistes ne s'en émouvaient pas. Ils y étaient habitués; on avait traité de « chauvinisme insensé et débordant » leurs avertissements sur les ambitions anglaises en Afrique. leurs appels pour le renforcement de la puissance navale, leur attitude à l'égard de la Triple-Alliance, etc. Ils avaient converti l'opinion publique, et ce sera encore le cas (3).

Ils furent en effet bons prophètes. Et ils purent saluer en 1907 « l'énergique procédé du gouvernement impérial et du gouvernement prussien, qui trouvait son expression dans la nouvelle loi sur les associations et le projet d'expropriation (4) ».

Contre les Danois du Schleswig, les pangermanistes ne montrent pas moins d'acharnement : un traité en 1907 avec le Danemark, a réglé le statut des « optants », demeuré en suspens depuis l'annexion. « Cependant une vaste conspiration se déploie contre le germanisme... Le travail de germanisation d'une génération s'est évanoui... » On espère une politique qui brisera l'arrogance du peuple étranger (5).

A l'égard de l'Alsace, l'Association pangermaniste aborde la question dans ce qu'elle a de plus subtil et de plus profond on laisse à l'administration locale l'exercice et la trouvaille des tracasseries et représailles.

(1) Ibid., p. 122.

(2) Résolution du Congrès de Wiesbaden, 1907 (p. 329). La Prusse était priée d'étendre ces mesures restrictives à la « Marche septentrionale» (Schleswig) et à l'Alsace-Lorraine, sur qui cet Etat n'a pas de juridiction immédiate. Les mesures d'exception actuellement proposées contre le Pays d'Empire procèdent de cette suggestion.

(3) Alld. Blätter, 1899, no 11 (p. 62).

(4) Résolution transmise au Chancelier, Berlin, décembre 1907 (p. 345). (Voir cette Revue, tome LVII, 1908, p. 109 à 257). (5) Congrès de Berlin, 1908 (p. 362).

Au Congrès de Wiesbaden en 1907, un Alsacien germanisé, le pasteur Spieser, en une harangue humoristique, fit le procès... au régime allemand, à la bureaucratie prussienne. Il les rend responsable des progrès de la langue et de l'esprit français. « Il y a de riches villages où, avant 1870, personne n'aurait songé à parler français avec ses enfants, et où cela est considéré aujourd'hui comme un indice naturel de bienêtre et d'une culture plus haute. >>

En effet, l'Alsacien s'est réfugié dans ce sanctuaire de la culture française, de l'idéal français. Il se dupe lui-même et dupe les autres : c'est le bildungsschwindel, le mot a fait fortune (1). Mais, symptôme plus grave, à ce bildungsschwindel, les Allemands sacrifient et succombent eux-mêmes, de sorte que l'orateur prévoit à l'échéance d'un siècle, une Alsace entièrement « welchisée ». Il importe de protéger encore contre l'emprise intellectuelle et morale de la France, les restes non welchisés de l'Alsace.

Mais l'Association ne recommande aucun moyen spécifique; elle confie le bon combat à l'E. L. Vereinigung, groupe d'Alsaciens germanisants, qui, d'ailleurs, excluent les vieux Allemands, et font, au demeurant, peu parler d'eux; ils ne figurent pas sur la liste des associations rattachées (2).

Dans un article de 1910, le Président Class confesse que les perspectives pour le deutschtum en Alsace, sont peu riantes, et que la charte, récemment octroyée, inaugure un jeu dangereux.

V

La « politique des confins », - ainsi a-t-on baptisé l'action germanisatrice dans les trois « marches » de l'Est, du Nord, et de l'Ouest se complète par une politique hors des confins de l'Empire. Le pangermanisme a charge d'âmes; il as

(1) HANS SPIESER a développé ce thème dans un écrit: Elsass-Lothringen als Bundesstaat. (Berlin, 1908, Schwetscke & Sohn.)

(2) Sur cette Union alsacienne-lorraine, qui s'est constituée en 1909, voir un article passablement sceptique d'un observateur assez impartial des choses alsaciennes, HANS WITTE, Elsässische Kulturfragen. (Deutsche Erde, XI, 1912, p. 55.)

sume le patronage des congénères que les erreurs de l'histoire maintiennent sous le joug étranger. « Il ne saurait nous être indifférent de savoir ce qui adviendra des Allemands d'Autriche, de voir les Saxons et les Souabes de Hongrie magyarisés, le germanisme anéanti en Russie, les Allemands de Suisse et les Flamands de Belgique welchisés. Sans nous mêler des affaires intérieures de ces Etats, nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour appuyer efficacement dans ces pays tous les efforts qui tendent à la conservation du deutschtum. >>

Cette mission, l'Association pangermaniste l'accomplit à ses risques et périls; car, si à l'intérieur de l'Empire, l'administration la seconde contre les Polonais, Danois, Français, à l'extérieur, la diplomatie allemande ne se compromet pas à une collaboration hasardeuse; cette réserve officielle n'implique aucun désaveu. Le Cabinet de Berlin a pu concerter avec ceux de Saint-Pétersbourg et de Vienne des mesures contre l'infiltration ou l'agitation polonaise; il s'interdit toute intervention en faveur des Allemands baltiques, autrichiens, hongrois.

En Autriche, d'ailleurs, le germanisme a constitué ses cadres et ses milices: comités, fédérations, associations scolaires, instituts financiers. Il s'épaule contre le bloc allemand. Mais tend-il à s'y agréger?

Sur ce point, l'Association pangermaniste se condamne à une certaine discrétion : elle déclare, par l'organe de son bureau (1) que tout en saluant avec joie l'effort des partis allemands d'Autriche, elle n'exerce sur cet effort aucune influence (2). Elle ne méconnaît pas les inconvénients d'une annexion; le principal et le plus frappant, au jugement d'un ethnographe autorisé, le professeur Samassa (3), réside dans l'état arriéré de l'Autriche, par rapport à l'Allemagne. A celle-ci donc reste dévolue la politique mondiale allemande;

(1) Session de Leipzig, août 1901 (p. 109).

(2) L'Association se défend d'entretenir pécuniairement l'agitation des Souabes de Hongrie (Session de Francfort-s.-Main, novembre 1902, p. 149). A retenir cependant l'aveu que les frères autrichiens, soutirent des fonds aux frères d'Allemagne et pratiquent la « mendicité en gros >> (Massenschnorrerei). (Rapport à la Session de Dresde, 1906, p. 293.) (3) Session de Mayence, 1900, p. 94.

les Allemands autrichiens lui servent de flanc-garde, et assurent sa situation continentale.

En 1909, quelques délégués de l'Association se rencontrèrent à Tetschen avec les frères allemands de Bohême. Le président Class tint ces propos prudents: « Notre but n'est pas d'abattre l'Autriche, ni de renverser les Habsbourg..... » Il intitule sa harangue : « Hohenzollern et Habsbourg » (1). Que la Maison d'Autriche se défie cependant.

Les pangermanistes la traitent en suspecte; ils l'accusent - sur quoi les Allemands d'Autriche font chorus — de livrer ses sujets allemands à la merci du slavisme; de méditer de mauvais desseins contre l'Allemagne; à la session de Plauen en 1903, Class dénonce l'archiduc héritier, qui, sous l'influence cléricale, aurait conçu comme idéal la coalition jadis réalisée par Kaunitz; l'Autriche, la France, la Russie contre l'Allemagne prussienne (2). L'alliance avec l'Autriche est une duperie et un péril ; c'est par cette affirmation que se termine l'exposé de l'œuvre et des conceptions du pangermanisme (3).

Si l'on sacrifie, avec cette désinvolture, le seul allié sur lequel l'Empire allemand puisse faire fond, c'est que le germanisme se suffit à lui-même, parce qu'il est l'initiateur et l'instrument de la plus haute civilisation. « Notre avenir, prononce Hasse, est dans notre sang (4). » Ce sang, il importe d'en préserver l'énergie et la pureté (5); car, a dit élégamment M. Kuhlenbeck, professeur de droit germanique à l'Université de Lausanne, « la race germanique est le sel du monde : mais où le sel s'affadit, avec quoi salera-t-on ? (6) ». Qui oserait répondre à cette angoissante question?

(1) P. 429.

(2) P. 181.

(3) C'est la dernière expression de la pensée des Alldeutsche. Elle est présentée dans une revue d'ensemble de leurs actes, par le comte ERNEST DE REVENTLOW. Der Alldeutsche Verband und die praktische Politik. (p. 444-63). Ce morceau est intégralement inséré dans le Manuel de propagande.

(4) E. HASSE. Die Zukunft, p. 46.

(5) L'Association pangermaniste s'est inquiétée de la naturalisation et de la perte de la nationalité. (Voir dans le volume 20 Jahre, la rubrique Reichs und Staatsangehörigkeit). Peut-on concevoir la qualité d'Allemand d'Empire, en dehors de la qualité de Prussien, Saxon, BavaTois, etc.?

(6) Session de Worms (p. 275).

VI

Le pangermanisme a-t-il, comme il s'en targue, donné à la vie nationale allemande ses directions et son idéal ?

Mais d'abord, de quel effectif, de quelles ressources, dispose-t-il?

Sur le nombre des adhérents, les publications émanées de l'Association sont d'une sobriété inquiétante; aucune statistique, même dans le Manuel. La seule indication que nous ayons trouvée se dissimule dans l'annonce-réclame de la Deutsche Erde : « L'Association compte environ 20.000 membres, parmi lesquels des groupements avec un total de plus de 100.000 membres. » C'est d'une obscure clarté. Les derniers chiffres quelque peu précis qu'il soit possible de citer, remontent à 1898; au 1er avril de cette année, le nombre des membres s'élevait à 15.179, dont 5.974 abonnés aux Alldeutsche Blätter (1). Depuis, nulle divulgation.

Renseignements précaires aussi sur la fortune de l'Association. Outre les cotisations dont le minimum est de 2 M., 4 M., avec le service des Alldeutsche Blätter, l'Association a constitué un « fonds de défense » ou plus exactement, de combat, alimenté par des contributions volontaires, d'au moins 1/2 pour 100 sur le revenu des donateurs. Cette « Fondation Hasse» a encaissé de 1903 à 1909 inclus, 186.000 M.; faible témoignage de l'esprit de sacrifice et de dévouement à la cause nationale; car ce fonds doit défrayer exclusivement les œuvres de germanisation, subventions aux écoles, journaux, bibliothèques, colons, etc., dans les régions menacées (2). Un nouvel appel, plus pressant, a été lancé au début de 1910, opposant la veulerie des Allemands d'Allemagne aux initiatives généreuses des Polonais, des Tchèques, des Allemands. transylvains ou baltiques.

L'Association pangermaniste a-t-elle en réalité besoin de

(1) HUGO GRELL, ouv. cité, p. 5.

(2) Outre la fondation Hasse, la fondation Diederichs a procuré un capital de 25.000 M., dont le revenu est employé pour la plus grande partie au service gratuit des Alldeutsche Blätter.

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