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LE BLOCUS DANS LA GUERRE DE DEMAIN

Le thème des dernières manœuvres navales comportait le blocus de Toulon, témoignant ainsi de l'intérêt que l'EtatMajor de la Marine porte à l'étude de cette question. Par ailleurs, la marine anglaise voit dans le blocus des escadres allemandes le moyen le plus sûr de protéger le commerce britannique tout en assurant l'étouffement économique de l'Allemagne. C'est donc, semble-t-il, sur le blocus que reposerait la stratégie navale au cas où l'on aurait recours aux armes pour dénouer les conflits qui assombrissent aujourd'hui l'horizon diplomatique. L'étude rapide du blocus montre par ailleurs la nécessité de posséder des croiseurs de bataille et des croiseurs éclaireurs dont nous sommes complètement dépourvus et cela au moment où se pose la question du renforcement de notre flotte de combat que l'exécution du dernier programme naval laisse dans un état d'infériorité inquiétante.

L'armée qui emploie le blocus peut avoir pour but, soit de s'assurer de la position d'une flotte qu'elle veut détruire à la première occasion, soit de paralyser pendant un laps de temps plus ou moins long une partie des forces de l'ennemi. Le premier cas pourra se présenter quand une flotte se sachant recherchée par une force supérieure, se sera réfugiée dans un port fortifié pour attendre l'heure favorable. C'est l'équivalent de l'occupation d'une forte position dans la guerre napoléonienne comme position d'attente. Le second cas se présentera si une flotte est divisée en deux fractions séparées et que l'adversaire veut fixer l'une d'elles pendant le

temps nécessaire pour détruire l'autre. C'est là une application de la manoeuvre sur position centrale dans la stratégie impériale. Le blocus ne sera tenu que par les forces strictement nécessaires pour contenir l'une des fractions tandis que le gros de l'armée occupera une position entre les deux masses ennemies, telle qu'elle puisse en détruire la masse principale avant que l'autre ait eu le temps d'intervenir.

Depuis les guerres de la Révolution et de l'Empire, la doctrine en faveur de l'autre côté de la Manche consiste à bloquer les escadres ennemies avant qu'elles aient eu le temps de prendre la mer et de se concentrer. C'est elle qui paralysa les escadres impériales; c'est encore elle que l'on préconise de nos jours contre l'Allemagne pour assurer la sécurité du commerce et du territoire britanniques.

Pour une puissance possédant un commerce maritime aussi vulnérable que l'Angleterre, une armée aussi faible que la sienne, la maîtrise de la mer par la destruction des forces principales de combat adverses ne suffit point pour mettre le pays à l'abri de troubles graves et de dangers pressants; il faut encore que les routes maritimes soient interdites à toute fraction des forces ennemies assez forte pour tenir la mer en dépit des quelques croiseurs protecteurs du commerce. C'est surtout pendant la période d'acquisition de la maîtrise de la mer que cette nécessité se fait sentir. Aussi a-t-elle conduit l'Angleterre à bloquer les ports ennemis dès le début des hostilités et à construire des croiseurs extrêmement puissants, extrêmement rapides pour assurer la sécurité des voies commerciales contre les entreprises des ravageurs isolés ou groupés. C'est dans ce but que les Anglais ont construit leurs croiseurs de bataille et c'est pour troubler le commerce britannique en forçant le blocus que les Allemands ont construit les leurs; cela, bien entendu, en dehors du rôle tactique de ces croiseurs de ligne qui reste leur principale raison d'être. La doctrine anglaise n'est pas, il est vrai, à la portée de tout le monde car elle exige une très large supériorité numérique.

La proportion des forces en présence exerce une influence capitale sur la manière de tenir le blocus, mais cette opération obéit cependant aux règles qui caractérisent l'exploration et

la sûreté, c'est-à-dire l'éclairage en général, dont elle n'est qu'une application continue.

Le bloqué aura généralement à sa disposition des torpilleurs, des sous-marins et des mouilleurs de mines, c'est-à-dire qu'il pourra créer des écueils artificiels, fort dangereux pour les bâtiments qui tiendront le blocus dans le rayon d'action de ces petits bâtiments. Il importera donc de restreindre ce champ d'action, par une surveillance vigilante et cela à l'aide de bâtiments dont la perte ne risque pas de renverser la balance des forces de combat en présence. Ces bâtiments qui constitueront le premier échelon du blocus ne devront donc être que des parcelles minimes de la force de combat, mais ils devront être nombreux pour restreindre par la force, seul moyen d'imposer sa volonté, le champ d'action et l'activité des poseurs de mines, sous-marins et torpilleurs ennemis.

Les bâtiments torpilleurs du bloqueur sont donc tout désignés pour cette mission. Mais le mauvais temps pourra les obliger à abandonner leur station, ils devront donc pouvoir être soutenus ou remplacés par des bâtiments d'un tonnage supérieur, armés pour combattre les lance-torpilles ennemis de tous genres. Les croiseurs auxiliaires et les petits croiseurs répondront à cette nécessité sans que leur perte altère de façon sensible la balance des forces de combat.

Le blocus peut durer longtemps, il risque d'être fort dangereux pour les bâtiments de ligne qui s'aventureraient dans le champ des torpilles de la défense. Le corps de bataille cherchera donc une base d'attente où il pourra se livrer à ses réparations journalières, vivre et charbonner sous la protection d'un service de sûreté au mouillage, indispensable pour le prévenir de l'arrivée inopinée des forces bloquées ayant brisé la toile d'araignée tendue devant leur repaire.

Entre l'armée et le premier échelon, la présence d'un échelon intermédiaire est rendue nécessaire par le besoin de conserver le contact en cas de sortie de l'ennemi ou même pour empêcher l'évasion de divisions légères lancées en reconnaissance ou à la poursuite du commerce. Cet échelon intermédiaire sera constitué par les bâtiments qui, dans l'éclairage en haute mer, doivent imposer leur contact. La mobilité et la force doivent les caractériser. Ils doivent être à même de pa

ralyser les bâtiments légers de l'ennemi même soutenus par des divisions de ligne, les croiseurs de bataille sont donc tout désignés pour ce rôle.

Les distances qui doivent séparer ces différents échelons sont excessivement variables, elles dépendent de l'activité des bâtiments ennemis, de leur valeur relative, de la force et de la vitesse des forces qui stationnent à la base d'attente et à l'échelon intermédiaire.

Plus les bâtiments intermédiaires seront rapides, plus leur point de stationnement pourra être éloigné et par suite, plus leur sécurité sera grande.

En tout cas le contact immédiat devra être aussi rapproché que possible pour éviter les mésaventures que connut Nelson devant Toulon, en 1798 et en 1805.

Si le bloqué manifeste peu d'activité le premier échelon, au contact immédiat, pourra encore resserrer son étreinte tandis que se relacheront ses liens avec l'échelon intermédiaire et avec la base, celle-ci pouvant être d'autant plus éloignée que, grâce à la T.S.F. et à la vigilance du premier échelon, l'armée pourra être plus rapidement avertie des préparatifs de sortie que pourraient effectuer l'ennemi. Si la supériorité du bloqueur est assez faible pour qu'il ne puisse supporter le choc des forces ennemies sans le concours de son échelon intermédiaire, il pourra être amené à s'en rapprocher et à stationner en pleine mer dans le voisinage du port bloqué. Il courra alors tous les risques d'un contact trop immédiat. C'est le cas de l'amiral de Jonquières dans le blocus de Toulon au cours du III thème des manoeuvres de 1910. L'amiral avait établi sa base à Ajaccio, mais dès le début des opérations il l'abandonna pour se rapprocher de son échelon intermédiaire, constitué par sa division légère, dans la crainte d'être acculé au combat sans ses croiseurs.

Il en sera de même si la supériorité de l'échelon intermédiaire (puissance et vitesse) sur les croiseurs ennemis n'est pas suffisante pour leur en imposer. Le corps de bataille devra alors se tenir à même de le soutenir et de le protéger. C'est ce qui se produirait si le bloqué possédait des croiseurs de bataille et que le bloqueur n'en possédât pas.

Quant à la formation adoptée par le premier échelon et

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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l'échelon intermédiaire pour tenir le blocus, elle est dictée, comme la distance entre ces éléments, par les conditions de tenue du blocus, l'état de la mer, la visibilité, la proportion des forces en présence et en principe par un compromis judicieux entre la nécessité de ne pas risquer inutilement ses forces et le souci de resserrer autant que possible le contact.

La figuration des côtes, la disposition des batteries dictera la répartition en rideau des bâtiments du contact immédiat. Derrière ce rideau le premier échelon se composera d'un ou plusieurs groupes de bâtiments légers en soutien, fournissant les relèves, comblant les vides, se portant aux points menacés du front. Le rôle du rideau est surtout d'observer, celui des soutiens est de limiter le champ d'action des torpilles posées ou lancées par l'ennemi. Il y a là une organisation analogue à celle du service de sûreté de première ligne des armées de terre, à propos duquel le Règlement sur le service des armées en campagne pose en principe, que « la tenue du contact immédiat est la base même de la sûreté ».

Quant à l'échelon intermédiaire, il semble que sa formation doive être aussi voisine que possible de sa formation de combat. Son rôle n'est pas l'observation, qui doit être assurée ainsi que sa sûreté par le rideau et les soutiens du premier échelon. Une formation de l'échelon intermédiaire en dispositif d'observation exposerait l'un des bâtiments des ailes à succomber sous le poids d'une division ennemie inopinément sortie. Elle exposerait la division à se trouver disloquée et, par suite, entraînerait une perte de temps correspondant à la la manœuvre de concentration, peut-être même rendrait-elle cette dernière impossible, au moins en partie.

Si la division adopte une formation étendue, les distances doivent être telles que la concentration ait eu le temps de se faire entre le moment où l'ennemi est en vue et celui où il arrive à portée de canon, ces distances dépendront donc de la vitesse des bâtiments de cet échelon. C'est sur sa force et sa vitesse en groupe que cette division doit compter pour tenir le contact, si le premier échelon signale une sortie ou se trouve refoulé. Ce sont là, d'ailleurs, les prescriptions qu'impose le Règlement au chef de la cavalerie d'exploration sur le front de l'armée où elle joue un rôle analogue à celui des

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