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Mais comment choisir les départements qui serviraient ainsi de champs d'expérience à la Proportionnelle ?

Il faut écarter résolument le système qui consisterait à procéder à un tirage au sort. Le sort aveugle pourrait désigner comme champ d'expérience tel petit département du Sud-Est où la Proportionnelle serait d'une application particulièrement difficile et laisser la Seine et le Nord soumis au régime majoritaire dont les résultats sont particulièrement monstrueux dans ces gros départements.

Il serait encore plus inadmissible de laisser dans chaque département au Conseil général le soin de choisir au point de vue théorique, ce serait incliner par trop vers le fédéralisme; au point de vue pratique, les questions de personne exerceraient sur le choix trop d'influence.

Faire porter l'essai sur un certain coin de la France, (le Nord ou le Midi, l'Est ou l'Ouest, le bassin du Rhône ou celui de la Seine), ne serait pas non plus une idée heureuse. On pourrait s'imaginer que le choix de la région a été dicté par le désir d'avantager tel ou tel parti politique. Puis, d'un autre côté, l'expérience faite dans un coin de la France ne frapperait pas les électeurs qui habitent l'autre extrémité du pays. Un essai tenté dans le nord de la France, par exemple, ne convaincrait pas beaucoup plus les gens du Midi que l'expérience de la Belgique. Pour que l'expérience soit décisive et utile, il faut qu'elle soit faite dans des régions diverses.

La seule combinaison admissible est celle qui consiste à faire l'expérience dans les départements les plus peuplés. D'abord ce sont ceux qui offrent le terrain le plus favorable à l'application de la Proportionnelle, ceux dans lesquels le scrutin majoritaire produit les résultats les plus choquants. D'un autre côté, les représentants des gros départements sont en général les plus favorables à la réforme électorale tandis que les représentants des petits départements sont le plus obstinément attachés au système majoritaire. La règle sans doute n'est pas absolue, et il y a bien des exceptions, dont quelquesunes très notables. Néanmoins, elle est vraie dans l'ensemble. Et ainsi on arriverait à peu près à donner en fait à chaque département pour les prochaines élections le mode de représentation que la majorité de ses représentants préfère. C'est

là un résultat pratique de nature à rallier bien des suffrages à la combinaison.

Ceci dit, voici la liste des départements français classés d'après l'importance de leur population :

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Le tableau dressé de cette façon est particulièrement suggestif. Il montre bien l'injustice du scrutin d'arrondissement: certains départements (Savoie, Aube, Gers, Basses-Alpes) ont plus de députés que d'autres départements cependant plus peuplés qu'eux. Par contre, il y a des départements, comme l'Indre-et-Loire et la Haute-Loire, qui n'ont pas le nombre de représentants que leur population paraîtrait devoir leur assigner.

Il est facile, en suivant ce tableau, de faire un essai aussi étendu ou aussi restreint qu'on le voudrait. On pourrait faire l'essai dans tous les départements qui ont plus de 500.000 habitants (21 départements représentés actuellement par 246 députés) ou dans tous les départements qui ont plus de 400.000 habitants (34 départements représentés par 320 députés). On pourrait encore s'arranger de façon que l'essai porte, sinon d'une manière absolument exacte, du moins à deux ou trois unités près, sur la moitié de la Chambre. Bref, on s'arrêterait où l'on voudrait. L'essentiel serait de s'attacher strictement à l'ordre indiqué par le recensement de 1911. Il suffit que l'on suive cet ordre pour que les partis aient une garantie suffisante contre un choix partial ou arbitraire.

Et ainsi, l'expérience faite aux prochaines élections législatives prononcerait.

Si l'essai de représentation proportionnelle, fait dans les gros départements, terrain cependant particulièrement favorable à l'application de ce système, ne donnait pas les avantages qu'espèrent les partisans de la réforme, on pourrait revenir en arrière lors des élections législatives suivantes. Rien n'aurait été irrémédiablement compromis.

Si, au contraire, ce que je crois, l'essai réussissait, il serait facile de généraliser, pour la fois suivante, la réforme avec laquelle l'opinion publique aurait été ainsi complètement familiarisée pour l'avoir vue fonctionner en pratique en France. Les objections bruyantes que font entendre actuellement les adversaires de la R. P. tomberaient d'elles-mêmes. Et, pendant les quatre ans que durera la prochaine législature, on aurait le temps de faire la réforme administrative qui rendrait plus facile la généralisation de la Représentation proportionnelle. On pourrait, en procédant à un nouveau groupement

des arrondissements, agrandir les départements qui sont véritablement trop petits. En même temps, si le système de R. P. qui aurait été essayé paraissait présenter à l'usage certaines défectuosités, qui n'auraient pas été prévues, il serait facile de les corriger avant de généraliser le système.

Je soumets aux hommes de bonne volonté et il y en a beaucoup dans les deux Chambres cette solution qui me paraît au fond la plus pratique. Peut-être, après avoir beaucoup cherché dans d'autres directions la solution du problème qui les divise, s'apercevront-ils que le recours à la politique expérimentable est encore pour eux le moyen le plus simple de sortir d'embarras. N'a-t-on pas dit que ce sont les idées les plus simples qui se présentent quelquefois les dernières à l'esprit ?

ARTHUR GIRAULT,

Professeur à la Faculté de Droit de Poitiers.

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