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avoir crié pendant bien longtemps, et le plus fort qu'il pouvait, celui-ci a fini par reconnaître que, puisqu'il faut bien être mangé à une sauce quelconque, l'Income tax est, à tout prendre, une des moins désagréables façons d'être accommodé. Il est aussi équitable qu'un impôt peut être ; quant à « l'Inquisition » elle est réduite, comme j'ai essayé de l'expliquer, à un minimum tolérable pour les plus susceptibles.

Sans doute l'Income tax n'est pas parfait; on lui reproche de frapper lourdement les fortunes moyennes ; les petites fortunes étant largement dégrevées, les grosses fortunes réussissant au moins jusqu'à un certain point à l'éviter, c'est la fortune moyenne qui doit porter la plus grosse partie de la charge et elle trouve que cette part est lourde. On lui reproche en outre, certaines anomalies; par exemple d'accorder au point de vue des réparations, du remplacement du matériel, etc...., des facilités plus grandes à certaines industries qu'à d'autres, quelquefois même de traiter inégalement la même industrie dans des districts différents. Par contre les dispositions qui peuvent nous sembler le plus difficilement acceptables, la déclaration globale, la nécessité de faire connaître à des tiers le secret de ses affaires ne soulèvent plus que d'insignifiantes protestations. Parmi l'immense majorité des contribuables le principe même de l'Income tax n'est plus attaqué ni contesté.

A quoi faut-il attribuer un aussi remarquable succès? En premier lieu à la forme même de l'impôt ; il est incontestable que le système de la cédule et du « stoppage à la source>> est la meilleure garantie contre la fraude et l'inquisition.

En second lieu, à la façon dont il est administré ; comme nous l'avons expliqué, l'Income tax est administré, non point par des fonctionnaires, mais par des hommes d'affaires; les fonctionnaires, répartiteurs, percepteurs, surveyors of taxes ne sont en effet que des sous-ordres; les décisions finales sont prises par les Commissioners, qui savent, si besoin est, modérer le zèle de leurs subordonnés ; il en résulte un état d'esprit tout différent de celui d'une administration ordinaire ; le contribuable n'est pas un coupable qu'il s'agit de démasquer; jusqu'à preuve du contraire c'est un honnête homme qu'il faut croire et ne pas ennuyer inutilement.

Mais il y a encore autre chose. Les « Land tax Commissioners », lesquels sont chargés comme nous l'avons vu de de nommer les « Income tax Commissioners », sont désignés au fur et à mesure des vacances par le Parlement, et naturellement le plus souvent choisis parmi des amis du Gouvernement au pouvoir. Supposons qu'un même parti reste longtemps au pouvoir; ne peut-on craindre que les « Income tax Commissioners » ne deviennent eux aussi des hommes de parti et que des questions de politique ne viennent se mêler à l'établissement des feuilles d'imposition? Théoriquement ce n'est pas impossible; mais là, comme toujours en Angleterre, le bon sens remédie dans la pratique aux imperfections de la loi; cela pourrait se faire, cela ne se fait pas. Il y a une cloison étanche entre la politique et l'administration de l'Income tax. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que l'Income tax n'est point l'œuvre d'un parti; établi par un Gouvernement conservateur, maintenu, par les libéraux, remanié, modifié par tous les Gouvernements successifs, c'est vraiment l'œuvre du Parlement britannique. Et de même qu'ils ont contribué successivement à son organisation, libéraux et conservateurs contribuent aujourd'hui conjointement à son administration; quel que soit le Gouvernement au pouvoir, les Commissioners sont indifféremment nommés parmi les conservateurs et les libéraux et il ne vient à l'idée de personne que leurs décisions puissent être influencées par des considérations politiques ; tous ceux à qui j'ai posé la question m'ont regardé avec quelque surprise.

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Nous touchons ici au point essentiel le succès de l'Income tax tient avant tout à la façon dont il est administré; mais un tel système d'administration n'était possible qu'à la condition de trouver en abondance parmi les classes dirigeantes des hommes doués, entre autres qualités, d'un très grand sens politique. Ce qui a fait le succès de l'Income-tax, ce n'est pas l'ingéniosité de tel ou tel Chancelier de l'Echiquier; ce sont les qualités « de race » qui avaient déjà fait le succès des Institutions parlementaires anglaises.

DELIMAL.

ET

LA POLITIQUE EXPERIMENTALE

Il y a déjà un quart de siècle, Léon Donnat écrivait un livre sur La politique expérimentale. L'idée depuis a fait fortune et on pourrait citer aujourd'hui nombre de mesures législatives ou administratives qui sont des applications, conscientes ou inconscientes, de cette conception. Faire, sur une certaine fraction du territoire seulement, un essai limité, observer les résultats de cet essai, corriger les imperfections que cette première expérience a fait apparaître, puis, si l'essai a réussi, l'étendre peu à peu à de nouvelles régions, et finalement généraliser ce qui n'a été au début qu'une simple tentative, n'est-ce pas ainsi que devraient procéder des hommes d'Etat méthodiques et prudents ? Cette politique, véritablement scientifique, n'est-elle pas infiniment préférable aux réformes brusques et générales que l'on regrette trop souvent le lendemain, alors qu'il n'est plus temps de revenir en arrière?

Cette méthode expérimentale est devenue d'un usage assez courant en matière coloniale. Dans les grands gouvernements généraux (Indo-Chine, Afrique Occidentale, Madagascar), il arrive que l'on fait, dans certaines provinces ou dans certains cercles, des essais qui sont ensuite étendus ou abandonnés, suivant les résultats qu'ils ont donnés. En France même, la loi du 29 décembre 1897 qui autorise les villes à substituer aux droits d'octroi des taxes de remplacement, la loi du 31 mars 1903 qui autorise les communes rurales à remplacer les prestations par une taxe vicinale peuvent être considérées

comme des applications, inconscientes peut-être, de la politique expérimentale. Elles ont fait pénétrer dans l'esprit de la population cette idée que, quelque sacré que soit le principe de l'égalité devant l'impôt, il n'est pas indispensable que toutes les parties du territoire soient soumises à un régime fiscal uniforme. N'était-ce pas aussi une application bien voulue celle-là de la politique expérimentale que cette réfection du cadastre de Neuilly-Plaisance, expérience qui a constitué un exemple imité par la suite dans un certain nombre de communes ?

Ainsi, progressivement, les Français arrivent à se soustraire à ce préjugé, qu'il est indispensable d'appliquer une règle uniforme dans toutes les parties du territoire. La manie de l'uniformité, vestige de la mentalité napoléonienne, s'atténue peu à peu. Nous avons un sourire moqueur en pensant à l'époque où les élèves de tous les lycées de France, appartenant à une même classe, devaient faire le même jour, et à la même heure la même version latine. Nous comprenons qu'il n'y a rien de plus antiscientifique que l'horreur de la variété. Nous prenons goût à la diversité : le ministère de l'Instruction publique cherche à pousser ses Universités dans cette voie.

La politique expérimentale a en outre cet avantage énorme de concilier les points de vue les plus opposés. Des hommes professant des opinions radicalement contraires peuvent s'accorder pour faire une expérience, les uns avec l'espoir qu'elle réussira, les autres avec la conviction qu'elle échouera. Celui qui croit détenir la vérité s'imagine naturellement que l'expérience lui donnera raison. Comme, de part et d'autre, on a cette conviction, on accepte volontiers l'idée de faire un essai: chacun est persuadé que cet esasi tournera à la confusion de l'adversaire. En attendant, le conflit s'apaise, les hommes cessent de se heurter et finalement l'expérience donne raison à celui qui a raison.

La réforme électorale, si discutée depuis quelques années, offre une occasion admirable de recourir à cette méthode. La politique expérimentale peut être la planche de salut qui permettra de sortir d'une situation qui semble de plus en plus inextricable.

Le conflit aigu entre les proportionnalistes de la Chambre et les antiproportionnalistes du Sénat pourrait compromettre gravement l'union nécessaire du parti républicain et l'avenir même de nos institutions. Le Parlement semble avoir heureusement conscience du danger et il paraît comprendre la nécessité d'une transaction honorable.

Malheureusement, les seuls compromis auxquels on a songé jusqu'ici consistent dans des systèmes bâtards qui ne sont ni la représentation proportionnelle, ni le scrutin majoritaire, systèmes purement arbitraires dont l'application ne donnerait satisfaction à personne, mécontenterait tout le monde et ne prouverait rien.

En s'engageant dans cette voie, il est impossible de faire quelque chose de bien.

Une solution beaucoup plus raisonnable et beaucoup plus logique consisterait à faire, aux prochaines élections législatives, dans une moitié de la France seulement, l'essai loyal de la Proportionnelle, en conservant le scrutin majoritaire dans l'autre moitié. Dans ces conditions, rien de plus facile que de « couper la poire en deux ». Il est possible de se mettre d'accord, sans sacrifier en aucune façon sa manière de voir et sans compromettre l'honneur des principes.

On objectera, sans doute, que le même mode de scrutin doit être nécessairement appliqué à l'élection de tous les députés. Mais cette objection ne porte pas autant qu'on se l'imagine au premier abord. L'essentiel, c'est l'égalité qui doit exister entre tous les représentants du peuple. Mais dire que certains départements auront la représentation proportionnelle tandis que les autres conserveront le scrutin majoritaire, cela ne signifie pas du tout qu'il y aurait des députés de première classe et des députés de seconde classe. Les uns et les autres auraient les mêmes droits et la même situation. De même que le principe de l'égalité devant l'impôt ne s'oppose pas à ce que la moitié des communes de France conserve les prestations tandis que l'autre moitié a adopté la taxe vicinale, de même le principe de l'égalité des représentants du peuple ne s'oppose pas à ce que la moitié des départements conserve le scrutin majoritaire pendant que l'autre moitié ferait l'essai de la représentation proportionnelle.

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