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PROGRESSION.

A part les larges dégrèvements à la base dont nous parlions plus haut, l'Income tax n'était point jusqu'en 1909 un impôt progressif; la progression a été introduite dans le système de l'Income tax par le fameux budget de Mr. Lloyd George. Lorsque le revenu d'un contribuable dépasse 125.000 fr. à l'impôt ordinaire payé sur chacune des sources de ce revenu vient s'ajouter un impôt global ou « super-tax » de 2,40 0/0; il ne frappe que la partie du revenu supérieur à 75.000 francs.

Bien que les chiffres ne soient encore que provisoires, on estime que la super-tax a donné en 1911-1912, 70 millions; elle a été payée par 11.600 personnes.

Comme on pourrait le croire d'après ce très court et très succinct exposé, l'Income tax serait une machine à la fois singulièrement compliquée et terriblement tyrannique; cédulaire et global, il exige du contribuable non seulement une déclaration totale mais une déclaration détaillée de son revenu : et les sinistres formes jaunâtres du percepteur menacent des peines les plus sévères l'audacieux contribuable qui oserait ne pas se conformer à leurs exigences.

Comment expliquer que le peuple anglais, qui n'est cependant pas particulièrement patient (beaucoup moins que la grande majorité des Français) supporte sans broncher cette tyrannie ?

C'est qu'en Angleterre, moins encore qu'ailleurs, lois et règlements ne signifient pas grand'chose; tout dépend de la façon dont ils sont appliqués. C'est ici que l'Income-tax se révèle une institution réellement remarquable.

Ce qui frappe tout de suite dans l'administration de l'Income tax, c'est le nombre extrêmement restreint des fonctionnaires. Il est administré en grande partie, si l'on peut dire, par le contribuable lui-même.

Vers la fin du xvn° siècle pour comprendre la moindre question, il faut toujours en Angleterre remonter à deux ou trois siècles en arrière - le Gouvernement nomma dans chaque district, comté, paroisse, etc., pour la perception de la

Land tax (impôt sur la terre), un certain nombre de Land tax Commissioners chargés de fixer la taxe dont devait être frappée chaque propriété.

Ces Land tax Commissoners, qui n'étaient point payés, cette fonction étant considérée comme un honneur étaient choisis par le Parlement parmi les notables du district, c'est-à-dire parmi l'aristocratie et la grande bourgeoisie; les juges de paix en faisaient partie ex officio. - Les Land-tax Commissioners existent toujours et sont toujours nommés de la même façon ; les représentants de l'aristocratie y sont moins nombreux qu'autrefois, mais en dépit des tendances du Gouvernement au pouvoir ils n'ont jamais cessé et jamais refusé d'en faire partie.

Or ce sont ces « Land tax Commissioners » qui sont chargés encore aujourd'hui de désigner les « Income tax Commissioners »; dans les campagnes, où les notabilités sont moins nombreuses, ils sont le plus souvent choisis parmi les Land tax Commissioners eux-mêmes; mais ce n'est point nécessaire. Dans les villes ce sont en général de grands industriels ou commerçants, banquiers, directeurs de Compagnies de navigation, de chemins de fer, d'assurances. Pour la cité de Londres en raison de l'importance des affaires à examiner, aux Commissioners ordinaires viennent s'adjoindre deux Commissioners nommés par le Lord Mayor et les Aldermen, deux Commissioners de la Banque d'Angleterre, deux Commissioners du service de la Delte, plus un certain nombre de Commissioners nommés par l'India Office, le Royal Exchange, etc. Bien que leurs fonctions, comme nous le verrons plus loin, soient loin d'être des sinécures, elles sont entièrement gratuites.

Les Income tax Commissioners ont naturellement à leur service un certain nombre d'employés payés dont le principa! est l'« Assessor-collector » (répartiteur-percepteur). C'est lui qui est chargé de distribuer aux contribuables les feuilles où ceux-ci sont invités à faire la déclaration détaillée de leurs revenus. (Les patrons doivent donner la liste de leurs employés avec leurs salaires.). Quelques semaines plus tard il les recueille et, après les avoir examinées, les envoie aux Commissioners en signalant celles qui lui semblent inexactes. Les em

ployés des Commissioners, après avoir ajouté aux renseignements ainsi fournis par les contribuables ceux qu'ils avaient fournis les trois années précédentes, envoient les feuilles ainsi complétés au «< Surveyor of Taxes » du district. A côté des Commissioners qui, si l'on peut dire, représentent les contribuables eux-mêmes, le «< Surveyor of Taxes » représente le Gouvernement; c'est un expert-comptable et jusqu'à un certain point ce qu'on appellerait chez nous un «< agréé au Tribunal de commerce ». Le Surveyor examine les feuilles ; lorsque quelque point lui paraît obscur, il fait venir l'intéressé, et, sans le traiter en accusé, lui demande poliment des explications; ceci fait, il rédige son rapport et envoie toutes les feuilles aux Commisioners.

Ceux-ci désignent alors parmi eux un certain nombre de « Commissioners additionnels >> qui, se réunissant par comités de trois ou quatre, examinent séparément chacune des feuilles d'imposition. Ils convoquent les assessors, le Surveyor of Taxes, et leur demandent des explications sur leurs rapports et sur les raisons qu'ils ont de supposer inexacte telle ou telle déclaration. Il ne faut pas oublier qu'étant euxmêmes commerçants ou hommes d'affaires, ce sont en quelque sorte des experts. Ainsi établies, avec toutes les garanties d'exactitude et d'impartialité désirables, les feuilles d'imposition sont distribuées aux contribuables par les soins du collector.

Si le contribuable accepte sans protester cette feuille, il n'est plus en aucune façon inquiété, même au cas où la taxe qu'on lui impose ne concorde point avec sa déclaration et par conséquent suppose implicitement que de l'avis des Commissioners cette déclaration est inexacte sinon frauduleuse.

Si le contribuable estime qu'il est trop lourdement imposé, il doit dans les dix jours en donner avis au «< Surveyor of taxes ». Celui-ci le convoque dans son bureau et lui demande des explications; s'il se contente de dénégations énergiques, s'il se contente d'appeler le ciel à témoin de ce qu'il avance, en déclarant que n'ayant pas de comptes, ne tenant pas de livres, il ne peut fournir de preuves matérielles, la feuille d'imposition est maintenue telle quelle il y a même

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bien des chances pour que l'année suivante le contribuable soit encore quelque peu augmenté, jusqu'à ce qu'il se décide à donner des explications plus claires. Le plus souvent cependant le contribuable présente au Surveyor non point ses « livres » mais des extraits de ses livres ; le surveyor les discute, et dans l'immense majorité des cas (90 à 95 0/0) l'affaire est réglée entre eux.

Au cas très rare où le contribuable ne peut s'entendre avec le « Surveyor of taxes », il est convoqué par les Commissioners qui, réunis en Comité (où ne figurent point les « Additionnal Commissioners » qui ont établi sa feuille d'impôts) entendent ses explications et celles du « Surveyor of taxes ». Ils ont le droit de demander au contribuable de leur communiquer ses livres ; en pratique, ils ne sont jamais exigés ; là encore on décide sur des extraits de ces livres. La décision des Commissioners est définitive sur la question de fait; l'appel n'est recevable devant la Haute Cour que sur une question de droit.

Les Commissioners étant choisis parmi des commerçants ou industriels du district, il peut être désagréable à un commerçant ou industriel de montrer ses comptes à un concurrent. Dans ce cas, lorsque la feuille de renseignements lui est envoyée, il lui suffit d'indiquer sur cette feuille qu'il désire être imposé par les Special Commissioners, qui sont des fonctionnaires du ministère des Finances. En pratique le nombre des contribuables qui profitent de cette disposition est relativement minime.

Ce sont ces mêmes «< Special Commissioners qui sont chargés de l'établissement de la « Super tax »; étant donné le petit nombre des assujettis, il n'y a pas en effet pour la Super-tax de Commissioners locaux ; c'est à Londres que sont établies les feuilles d'imposition en se basant naturellement sur les renseignements fournis par les locaux Commissioners dans les différents districts où le contribuable a des propriétés ou touche ses revenus; en cas de contestation le Special Commissioner, qui fait des tournées en province, convoque le contribuable dans la ville la plus proche et lui demande des explications; la chose se fait toujours de la façon la plus discrète..

CONCLUSIONS

Du point de vue du fisc l'Income tax fonctionne de façon la plus satisfaisante il lui fournit d'énormes revenus et il les lui fournit sans difficultés ; ce n'est point que la tâche du « surveyor of taxes », le fonctionnaire à qui revient le soin de régler la plupart des contestations, soit une sinécure; les contestations sont nombreuses, mais l'immense majorité d'entre elles sont d'ordre technique; le plus souvent le contribuable qui envoie une déclaration inexacte l'a fait par ignorance des multiples complications de la loi. Aussi, pour éviter ces difficultés, depuis quelques années, presque toutes les maisons d'une certaine importance ont-elles pris l'habitude d'envoyer chaque année au Surveyor of Taxes une copie de leur bilan établi par un expert-comptable.

Fraude-t-on beaucoup ? Assurément, mais beaucoup moins que des Français ne seraient disposés à le croire. Sans parler des grandes entreprises, des sociétés anonymes pour qui la fraude serait difficile, la plupart des commerçants et industriels sont arrivés après expérience à la conclusion que la fraude sur une grande échelle étant pleine d'aléas dangereux, les petites malices étaient inutiles; pour employer une expression aussi anglaise que française, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle; ils se résignent donc, si l'on peut dire, à être tout à fait honnêtes.

La seule fuite sérieuse est celle qui se produit sur les revenus des capitaux placés à l'étranger; pour les grosses fortunes la fraude est si facile, et, étant donné les lourdes taxes dont elles sont frappées, si profitable, qu'elle est à peu près inévitable. Le fisc ne désespère pas d'ailleurs d'y mettre fin quelque jour par une entente avec les Gouvernements étrangers. En attendant il se rattrape quelque peu lorsque vient le moment de régler les successions. Il présente alors quelques notes en retard, qui sont le plus souvent réglées sans protester. En passant, notons que toutes ces questions de fraude viennent très rarement à la connaissance du public; elles sont arrangées à l'amiable et discrètement avec les Commissio

ners.

Passons maintenant au point de vue du contribuable; après

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