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c'est-à-dire sur l'affirmation que l'agriculture souffre de maux inévitables et irréparés. Or, si le premier de ces qualificatifs n'est que trop exact, le second ne l'est pas absolument. Car, là où la tâche était possible, l'assurance privée l'a entreprise et, après bien des traverses, menée à bonne fin. L'assurance libre contre le risque de grêle est arrivée en France à un degré de développement que l'on ne saurait méconnaître sans injustice, et elle a rendu des services qui ne méritent pas les sévères appréciations dont les plus caractéristiques ont été mentionnées ci-dessus.

D'autre part, l'Etat serait incapable de se substituer à elle. C'est ce que montre une étude objective et impartiale de la technique, d'une part, et des résultats, de l'autre. Tel sera f'objet du présent article.

II.

TECHNIQUE DE L'ASSURANCE CONTRE LA GRÈle.

Le fléau de la grêle. La grêle est un des fléaux naturels les plus généralisés; mais il semble que, sous une apparente fantaisie, il participe d'une certaine ordonnance. Le système orographique des diverses parties du globe joue un rôle certain dans la formation des nuées d'orages, et les courants atmosphériques influent sans doute sur la direction qu'elles suivent. Les orages semblent donc avoir de la sorte leurs routes familières qu'ils peuvent d'ailleurs modifier sous l'action des travaux accomplis par les hommes à la surface du sol et en particulier du déboisement. L'état hygrométrique de l'air exerce également une influence sur la production de ces phénomènes.

Une carte présentée aux dernières expositions de Bruxelles, Turin et Gand, indiquait par le relief stéréogrammique, d'un département à l'autre, l'intensité des chûtes de grêle sur le territoire français: dressée à l'aide des statistiques des trois principales sociétés d'assurance contre la grêle, une Mutuelle, « l'Etoile », fondée en 1834, et deux Compagnies à primes fixes, « l'Abeille », créée en 1856 et la « Confiance » datant de 1879, et en tenant compte des résultats d'autres sociétés, cette carte fait apparaître des montagnes en des points où

l'œil a coutume de voir des vallées, et cela parce que, si les orages se rassemblent de préférence sur les points élevés et frappent surtout les régions qui les avoisinent, ils suivent également la direction des vallées et se répandent dans les plaines. Elle donne, en effet, un relief proportionnel aux pertes annuelles, chaque centimètre représentant 0,20 pour 100 des dommages. Ainsi le massif stéréographique le plus important couvre la vallée du Rhône (1,46 p. 100), tandis que l'Ardèche n'apparaît qu'avec 0,80 pour 100, le Jura avec 0,81 et les Pyrénées-Orientales avec 0,57; il convient, d'ailleurs, de noter que, pour ce dernier département comme pour les voisins où les statistiques ne concernent que les vignobles, le pourcentage a été ramené au niveau des céréales qui a été pris pour base dans toute la France. Enfin, si le Nord de la France offre plus de régularité, c'est qu'il est moins accidentė, plus tempéré et à cultures moins variées.

Ce n'est point le lieu de décrire les moyens employés pour combattre le fléau de la grêle: il suffit de mentionner l'échec des paratonnerres et des canons paragrêles, et les récents essais des niagaras électriques, qui ont pour objet de neutraliser l'électricité des nuages de grêle dont le danger résulterait, d'après les théories émises, de leur charge à très haut potentiel. Il suffit de constater qu'en présence de la généralité du fléau et de l'impuissance actuelle des moyens de prévention, les procédés de réparation doivent être mis en

œuvre.

L'application de l'assurance à la grêle. Certes, il est des fléaux tels que la gelée dont l'assurance ne saurait être le remède. La gelée, en effet, occasionne des dommages qu'il est presque impossible d'apprécier, parce qu'elle laisse en général subsister une fraction des végétaux atteints et, par suite, de leur valeur productive, ce qui exclut le paiement d'une indemnité équivalente à leur valeur totale; or, c'est la détermination de cette fraction qui s'oppose dans la pratique à l'appréciation exacte du dommage subi par le propriétaire. De plus, aucune loi ne régit la survenance du risque; le hasard seul préside à la production de la geléė; on ignore quelle région y est le plus sujette, ce qui rend impossi

ble la fixation de la prime. Seule l'assistance peut être mise en œuvre, et l'Etat, dans l'exercice du devoir, qui lui incombe, de veiller au bien-être général, est tenu de fournir dans ce but les ressources nécessaires. Il en est exactement de même pour la sécheresse, l'humidité, l'inondation, les insectes nuisibles et les maladies des plantes.

De même, et indépendamment des deux motifs précités, l'assurance contre le phylloxéra a été jugée impossible parce que la destruction totale du vignoble a été considérée comme inéluctable à bref délai et que, par suite, l'assureur aurait dû demander à l'assuré une contribution exagérée.

C'est qu'en effet pour être assurable un risque doit être suffisamment probable et incertain à la fois, en même temps que suffisamment divisé dans l'espace et dans le temps, nettement caractérisé dans ses effets, enfin aussi indépendant que possible de la volonté humaine; car :

1° Il faut que, d'une part, l'assuré envisage une éventualité suffisamment possible pour se déterminer à en conjurer les effets au prix d'un sacrifice certain, et il faut que, d'autre part, l'assureur se trouve en présence d'une incertitude suffisante de réparation pour s'engager au paiement d'une indemnité en cas de sinistre et cela moyennant une contrepartie qui trouve des limites inévitables dans les ressources de l'assuré et dans la crainte qu'inspire à ce dernier le dommage éventuel ;

2° Il faut que tous les assurés d'un même lieu ne soient pas atteints; sinon le dommage à réparer prendrait, pour l'assureur, une importance telle que ses ressources pourraient ne pas suffire à l'exécution de ses engagements; ou bien, dans la crainte d'une telle éventualité d'impuissance financière qui, évidemment, serait contraire au besoin de sécurité ressenti par l'assuré, c'est-à-dire au but poursuivi par ce dernier

l'assureur devrait, aux frais de l'assuré, accumuler des ressources dont l'énormité rendrait excessive et même prohibitive pour celui-ci la prime exigée; de plus, la dispersion du risque dans l'espace détermine un plus grand nombre d'intéressés à éprouver le besoin de se protéger par le recours à l'assurance et, dès lors, procure à l'assureur une extension de son domaine d'opérations qui lui permet d'appliquer, grâce à la loi des grands nombres, les règles du calcul des probabilités.

3° Il faut que tous les assurés ne soient pas atteints le même jour pour que l'incertitude, sinon de l'obligation de réparer un dommage, du moins de l'époque à laquelle s'imposera cette obligation, joue vis-à-vis de l'assureur le rôle de l'élément précité; peu importe, d'ailleurs, que tous les assurés soient frappés un jour, s'ils ne le sont pas tous le même jour : tel est le cas de l'assurance sur la vie ; bien plus, grâce à ce fait que certains assurés sont exposés à payer, pendant un grand nombre d'années une prime en prévision d'une éventualité à laquelle ils auront la bonne fortune d'échapper durant une longue période, l'incertitude à laquelle l'assuré est exposé se trouve accrue et, comme l'assureur bénéficie de cette situation, il peut alléger les charges corrélatives de l'assuré.

4° Il faut que, lors de la survenance du dommage, il soit possible a) d'affirmer avec certitude que l'événement prévu s'est produit; b) d'en distinguer les effets de ceux qui peuvent avoir été produits par d'autres causes; sinon, l'assureur ne peut connaitre avec précision l'étendue de l'indemnité dont il est débiteur et il est exposé aux réclamations injustifiées, fussent-elles sincères, de l'assuré ;

5° Il faut que la volonté humaine joue le moindre rôle possible pour que le calcul des probabilités soit applicable.

Le fléau de la grêle remplit ces diverses conditions requises pour l'assurance. Un grand nombre de cultivateurs sont menacés, mais ils ne sont pas nécessairement frappés en effet, lorsque la grêle se manifeste dans une région, tous les cultivateurs n'y sont pas forcément atteints; de plus, ils ne le sont pas tous le même jour; en outre, le risque de grêle est nettement caractérisé, grâce, d'une part, à la netteté de ses manifestations et, d'autre part, à celles de ses effets, et cela, au premier point de vue, par suite des phénomènes météorologiques dont la survenance de la grêle est accompagnée et, au second point de vue, en raison de la facilité avec laquelle ses traces sont reconnaissables et se distinguent de celles qui dériveraient d'autres causes; enfin, le risque de grêle échappe à la volonté dans une mesure intégrale, car à l'évidence nul n'en peut ni produire ni faciliter la surve

nance.

Difficultés de l'assurance ccntre la grêle.

Toutefois, la possibilité d'assurer un risque n'implique point la facilité de l'entreprise en d'autres termes, de ce qu'un risque est assurable, il ne résulte nullement qu'il soit aisé à assurer.

Comparée notamment à l'incendie, la grèle apparaît comme occasionnant des dommages plus graves, quoique plus localisés et mème parce que plus localisés, et en même temps plus étendus; d'une part, en effet, un canton grêlé peut être complètement dévasté, tandis que l'incendie ne frappe en général qu'un certain nombre d'immeubles et non l'intégralité d'un village ; d'autre part, un même orage peut, dans sa marche vagabonde, ravager divers cantons, à la différence d'un incendie qu'aucune migration ne conduit d'une localité à la voisine.

D'autre part, les diverses cultures ne redoutent point la grêle au même degré et cela en raison, soit de la robustesse de la plante, soit de la durée du cycle de sa végétation, soit de la concordance de l'époque de la maturité avec celle des orages, soit de sa destination, les plantes cultivées pour graines étant plus fragiles que les mêmes plantes cultivées pour récolte.

De plus, le fléau de la grêle est capricieux, inégal, frappe plus durement et plus fréquemment en un point qu'en un . autre, atteint plus souvent non seulement tel canton ou telle commune, mais encore telle fraction de commune, voire tel versant d'une vallée à la différence du versant opposé.

En un mot, le risque de destruction par la grêle varie avec la nature et le but de la culture et avec le lieu.

De ce double caractère du risque résulte la nécessité d'observer la double règle suivante :

1o Répartition des opérations sur un terrain aussi vaste que possible;

2o Réduction des engagements sur tous les points qui sont exposés à être frappés par le même orage ou la même série d'orages.

Le caractère du risque détermine également le mode de fixation de la prime. Ainsi :

1° La prime doit varier: a) avec le genre de culture; b) dans chaque genre de culture, avec le but poursuivi par le

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