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Et d'abord, l'émission d'un fonds amortissable, qu'il s'agisse d'un 3 0/0 amortissable, ou d'obligations vingtenaires d'un taux à déterminer (3 1/2 ou 4 0/0), présente un inconvénient : l'amortissement devient obligatoire à toute époque, même en période de déficit. Or, chacun sait que les déficits alternent régulièrement avec les excédents. On s'expose donc dans ce système à emprunter pour amortir. L'inconvénient est certain, l'objection classique (1). Ajoutons que l'émission d'un fonds. au-dessous du pair, d'un 3 0/0 amortissable, grèverait lourdement nos finances on obtiendrait 93 et l'on rembourserait 100.

Ce n'est pas tout créer un fonds différent du 3 0/0 perpétuel, c'est par là même lui susciter un concurrent. Pour que l'émission réussisse, l'on devra, en effet, émettre un fonds plus avantageux. Des arbitrages sont à craindre. Or, le cours du 3 0/0 perpétuel est la mesure du crédit public. Sans doute le classement du nouveau fonds, son amortissement progressif, son importance modeste (1 milliard 1/2 en capital) comparée à celle du 3 0/0 perpétuel (plus de 30 milliards), permettent d'envisager, avec quelque optimisme, l'avenir. Mais est-ce le moment de créer un concurrent au 3 0/0 perpétuel, de provoquer une baisse, même transitoire, de notre premier fonds national?

Voilà pourquoi certains économistes préconisent un emprunt en 3 0/0 perpétuel. Ce serait, d'après eux, d'ailleurs le meilleur moyen d'émettre un emprunt avec succès : l'on vente alors les mérites de notre 3 0/0 sécurité du revenu, ampleur du marché, plus récemment, exemption fiscale.

Sans doute, répondent les partisans du fonds amortissable. Mais vous accroissez encore notre dette publique, et vous l'accroissez à perpétuité. Qui oserait contester que l'amortissement s'impose dès maintenant? A fortiori, au lendemain du nouvel emprunt ?

Sans compter, ajoutent d'autres, et notamment M. Paul Leroy-Beaulieu, avec sa haute compétence en matière financière, qu'en émettant du 3 0/0, vous emprunterez au-dessous

(1) Voir les Traités de M. PAUL LEROY-BEAULIEU, ALLIX, JÈZE, etc...

du pair. Et les emprunts au-dessous du pair ont le gros inconvénient d'accroître la dette en capital d'une somme bien supérieure au montant des sommes effectivement touchées par l'Etat. Vous promettez de rembourser 100, alors que vous ne recevez que 90.

Aussi M. Paul Leroy-Beaulieu préconise-t-il un emprunt au pair en 3 1/2 ou 4 0/0. A notre avis, un fonds 3 1/2 net exempt d'impôt, pourrait, au moins dans quelque temps, trouver bon accueil auprès des capitalistes. Les obligations des Chemins de fer de l'Etat 4 0/0 (3 1/2 net), dépassent le pair. Mais cette dernière solution présente, elle aussi, des inconvénients, et notamment on augmente la dette publique sans rien prévoir pour son amortissement. On crée un concurrent à notre 3 0/0 perpétuel. Des arbitrages sont à redouter.

Que conclure de tout cela? Que l'idéal consisterait à émettre du 3 0/0 perpétuel, tout en évitant les inconvénients d'une émission au-dessous du pair et ceux de l'absence d'amortissement. Cet idéal est-il réalisable? Il nous le semble. Il faut, pour cela, émettre du 3 0/0 perpétuel en stipulant que l'intégralité des excédents budgétaires sera désormais obligatoirement affectée au rachat en Bourse au-dessous du pair de rentes 3 0/0 perpétuel.

Nous éviterions ainsi d'emprunter pour amortir. Seules les années de plus-values seraient des époques d'amortissement. L'unité de nos fonds d'Etat serait maintenue et avec elle, l'ampleur du marché de notre 3 0/0. Sons doute l'emprunt serait émis au-dessous du pair. Mais le rachat aurait lieu au-dessous du pair. Le pourra-t-on ? Le 3 0/0 ne touchera-t-il pas bientôt le pair? De deux choses l'une, ou bien les fonds d'Etat monteront dans l'avenir, et dans ce cas-là, une conversion deviendra possible: il importe que la conversion de nos 30 milliards de 3 0/0 ne soit pas retardée ou entravée par la nécessité de convertir un premier fonds 3 1/2. Ou bien, et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable, le 3 0/0 restera assez sensiblement au-dessous du pair. Le rachat en Bourse au-dessous du pair sera possible. Cette hypothèse nous paraît la plus vraisemblable, puisqu'en période de hausse du taux de l'intérêt,

les fonds d'Etat ont une tendance à fléchir. L'expérience de ces 20 dernières années l'a prouvé. Sans doute, il est possible que le rachat ne s'effectue pas exactement au cours d'émission. Mais les Etats emprunteurs offrent d'habitude à leurs prêteurs une légère prime de remboursement de 3 à 4 0/0. Nous serions fort surpris que l'Etat français ne réussisse à racheter, avec les plus-values budgétaires, le milliard 1/2 de 3 0/0 émis à un cours voisin de 90, à un cours ne dépassant pas 95 ou 94. Tout dépendra de l'importance des plus-values et du temps nécessaire pour le rachat. Il est possible, en effet, qu'à la période de hausse de l'intérêt, succède une période de baisse. Mais, dans vingt ou vingt-cinq ans l'amortissement des 1.500 millions de francs de rente à émettre pourrait être accompli. Nous verrons pourquoi et comment dans un instant.

Montrons ici les autres avantages de notre solution : l'affectation obligatoire des excédents budgétaires à l'amortissement soutiendra les cours du 3 0/0 et consolidera le crédit public. Il les soutiendra au moment opportun; car, quelque paradoxal que cela paraisse, c'est en période d'excédent budgétaire que les cours du 3 0/0 sont le plus bas. L'explication est bien connue c'est en période de prospérité économique qu'apparaissent les plus-values. Or, en période de prospérité, le taux de l'intérêt hausse, le cours des fonds d'Etat baisse. L'Etat fera une bonne affaire en même temps qu'œuvre utile pour nos finances en affectant les excédents de ses recettes à l'amortissement de sa dette.

Mieux encore, l'affectation anticipée des excédents budgétaires à l'amortissement de la dette publique enlèvera aux Chambres toute tentation d'accroître les dépenses publiques sous prétexte d'excédents budgétaires. Enfin, la génération actuelle qui aura émis l'emprunt, réussira à l'amortir. Et ce sera justice, car cet emprunt est destiné à faire face à des déficits budgétaires et à assurer la sécurité extérieure des générations présentes (1).

(1) Cest là, remarquons-le, argument en faveur de la couverture par l'emprunt et non par l'impôt des besoins extraordinaires de nos finances. L'Emprunt avec amortissement équivaut en somme à les couvrir par l'impôt.

Pouvons-nous, il est vrai, espérer des plus-values nous permettant d'amortir en 20 ou 30 ans, 1.500 millions de rente 3 0/0 en capital?

En notre matière, le passé peut éclairer l'avenir. Appliquons notre système à la période 1890-1910, et supposons qu'on ait émis un emprunt d'un milliard en 1890, qu'on ait affecté l'intégralité des excédents budgétaires au rachat en Bourse du 3 0/0 émis. D'après les chiffres officiels eux-mêmes, que nous empruntons à l'Annuaire statistique de la France, les excédents ont dépassé 600 millions de francs de 1890 à 1910 (1). En affectant les plus-values budgétaires au rachat en Bourse de notre 3 0/0, on aurait donc réduit notre dette de 600 millions. A l'heure actuelle, où le 3 0/0 est sensiblement au-dessous du pair, une opération de ce genre serait plus efficace encore. Objecte-t-on les années de plus-value ont eu pour contre-partie des années de déficit, répondons il est indispensable, à l'heure actuelle, de voter de nouveaux impôts, pour mettre notre budget en équilibre et éliminer, dans une large mesure, les déficits. C'est un autre aspect de la question financière que nous négligeons délibérément : le Gouvernement et les Chambres paraissent pencher en faveur de la création d'un impôt sur le revenu. Mais, quoi qu'il en soit, si l'on crée de nouveaux impôts, et l'on en créera, les excédents l'emporteront sur les déficits dans l'avenir. L'amortisşement de notre dette publique sera possible. Développons ce point essentiel au succès de notre système et envisageons pour cela l'avenir de nos recettes budgétaires, celui de nos dépenses.

L'avenir des recettes notre pays a réalisé depuis dix ans de remarquables progrès au point de vue économique. Tout porte à penser que ces progrès dureront et même s'accentueront. On peut et doit attendre une augmentation du rendenent de nos impôts indirects, qui compensera la charge fiscale imposée aux classes aisées par les projets déjà votés ou soumis au Parlement. Mais les dépenses ne croîtront-elles pas plus rapidement encore?

Rien ne nous paraît plus contestable. Dans ces dix dernières années, tout a concouru pour provoquer un accrois(1) Annuaire statistique, 1911, p. 132*.

sement anormal et extrêmement rapide des dépenses publiques accroissement des dépenses militaires, lois sociales, amélioration du traitement des fonctionnaires, rachat de l'Ouest, expéditions du Maroc. Tous ces éléments de dépenses nouvelles auront bientôt donné tous leurs résultats. Certains mêmes finiront par s'alléger, telles les dépenses des chemins de fer de l'Etat ou celles de l'expédition du Maroc. Et l'on peut prévoir un palier succédant à l'impressionnante ascension de la courbe de nos budgets. Si l'on demande au contribuable les sommes nécessaires pour alimenter un budget normal de près de 5 milliards, il est à penser que les excédents l'emporteront sur les déficits dans nos budgets futurs. On peut, dans ces conditions, espérer racheter, bon an mal an, en tenant compte des vaches maigres, de 60 à 70 millions de 3 0/0 par an, et amortir en 20 ou 25 ans, les 1.500 millions de rentes 3 0/0 ainsi émis.

Mais quand émettre ce 3 0/0? Immédiatement ou plus tard? En bloc ou par tranches successives? On devrait, à notre avis, émettre cet emprunt dans six, huit mois, un an, par tranches successives de 500 millions. Voici pourquoi : d'abord les besoins n'apparaîtront que peu à peu. Inutile de servir un arrérage sur des sommes déposées en banque et improductives d'intérêt ou à peu près. Mieux encore : l'année 1913 a été marquée par une crise générale. Il est donc permis d'annoncer une réelle détente sur les marchés monétaires. Le taux de l'argent baissera; le cours du 3 0/0 montera. L'émission d'un emprunt d'Etat français en 3 0/0 perpétuel exempt d'impôt trouvera dans six mois ou un an vraisemblablement, le meilleur accueil auprès du public et à un cours plus élevé que le cours actuel si brusquement ramené cependant de 83 à 90.

Au surplus, les emprunts balkaniques feraient, à l'heure actuelle, une redoutable concurrence à une émission de rente française. Nous entendons bien qu'il faut cependant faire face aux besoins du Trésor. Mais on le peut momentanément à l'aide de moyens de Trésorerie et d'émission de Bons du Trésor. Nos grandes sociétés de crédit, la Banque de France, pourraient facilement procurer à l'Etat les six ou 700 millions dont il peut avoir besoin dans un délai relati

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