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Ici, l'Etat qui, jusqu'à présent, était resté dans la coulisse, se contentant d'exercer sur l'école et sur la palestre une surveillance discrète, reparaît au premier plan et reprend tous ses droits. C'est qu'il s'agit de la tâche la plus haute, la plus grave, la plus décisive, celle qui consiste à préparer pour la République les défenseurs exercés et intrépides dont elle aura besoin à l'heure du péril. L'Etat ne peut abandonner à nul autre le soin et la responsabilité de cette œuvre vitale.

Sous le régime de la démocratie (1), le service militaire à Athènes était obligatoire et égal pour tous. L'obligation militaire durait de 18 à 59 ans ; l'instruction militaire n'en durait que deux, de la dix-huitième à la vingtième année. Les Athéniens estimaient avec beaucoup de bons juges que ce laps de temps est suffisant pour former un solide fantassin, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes hommes, déjà assouplis et fortifiés par une pratique rationnelle et prolongée des exercices physiques, habitués à l'obéissance et rompus à la discipline de la palestre.

On incorporait donc la « classe » à 18 ans révolus; c'était l'âge de la majorité civique qui, dans les conditions de race et de climat où se trouvait l'Attique, équivalait à vingt ans chez nous. Chaque promotion, forte d'environ un millier d'éphèbes, portait un nom particulier, celui d'un des héros protecteurs de la cité, comme nos promotions de Saint-Cyr s'appellent Tananarive ou Marie-Louise. Le cycle de chaque héros éponyme revenait tous les 42 ans, et, quand on convoquait pour quelque expédition militaire une ou plusieurs classes de réservistes et Athènes ne combattait guère qu'avec ses réserves c'était toujours sous leurs noms d'origine qu'on les désignait officiellement.

L'éducation militaire des éphèbes comprenait deux phases distinctes, correspondant aux deux années de leur séjour sous les drapeaux. Pendant la première, occupée à les dégrossir, ils tenaient garnison au Pirée; pendant la seconde, dans les forteresses, qui formaient une ceinture de fer autour de la frontière terrestre de l'Attique. On voit que les Athéniens se gardaient bien d'employer comme troupes de couverture des

(1) Toute la description qui suit est fondée sur l'ouvrage récemment découvert d'Aristote, La République athénienne, c. 42 et 53.

recrues novices; c'est une imprudence dont le privilège est réservée aux peuples modernes. On allait plus loin; ne confondant pas l'école militaire avec l'impôt du sang, on posait en principe que les éphèbes ne devaient pas être employés hors du territoire continental de la République, par exemple à des expéditions coloniales, pour lesquelles, croyait-on, ils n'offraient pas la force de résistance suffisante (1). Nos expériences récentes confirment la sagesse de cette opinion. Bien entendu, il y eut des exceptions à la règle; mais seulement quand le salut public paraissait l'exiger.

Qu'ils fussent casernés dans le port ou stationnés sur la frontière, les jeunes conscrits étaient soumis à un entraînement militaire des plus sérieux. Un commandant en chef, dix officiers élus par le peuple, à raison d'un par tribu, veillaient à leur discipline, pourvoyaient à leur entretien et présidaient à leur instruction. L'enseignement militaire proprement dit leur était distribué par deux professeurs de gymnastique et par des instructeurs spéciaux, chargés de leur apprendre, les uns la manœuvre, le port de l'armure et le maniement des armes blanches, les autres le tir de l'arc, du javelot et de la catapulte. Ceux qui possédaient un cheval continuaient probablement à le monter. Tous les éphèbes prenaient leurs repas en commun, groupés par tribus ; le prix de la ration journalière était fixé à 60 centimes. Leur armement, qu'ils recevaient à la fin de la première année, consistait en un bouclier et une lance; leur uniforme, en un manteau noir et un chapeau bas, plat, à très larges bords découpés : le pétase thessalien. Ils portaient les cheveux taillés à l'ordonnance.

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On le voit à la belle époque de la République athénienne, l'éphébie n'était qu'une institution militaire; l'occupation exclusive des éphèbes, c'était l'apprentissage du métier de soldat. Tout au plus, dans leurs moments perdus, quelquesuns trouvaient-ils le temps de continuer leurs études favorites, de suivre à bâtons rompus quelques leçons de rhétorique ou de philosophie il a souvent été question d'accorder à nos étudiants, pendant la durée de leur éducation militaire, des faci

(1) De même la « réserve de l'armée territoriale », les hommes de 50 à 60 ans.

lités analogues, dans la limite compatible avec les exigences du service.

Peu à peu, à mesure que les forces de la République déclinaient, et qu'elle ne jouissait plus que d'une ombre d'indépendance, on vit les occupations intellectuelles des éphèbes prendre le pas sur leurs devoirs militaires; les professeurs envahissent la caserne; l'Ecole de guerre se transforme en Faculté des Lettres. Mais cette éphébie dégénérée n'est pas celle qui nous occupe; ce n'est pas celle de l'Athènes libre, florissante et démocratique, dont j'ai voulu faire passer le tableau sous vos yeux.

Cette éphébie-là, où pendant deux années tous les jeunes Athéniens du même âge, sans distinction de rang ni de fortune, vêtus et armés de même, vivant ensemble la même vie frugale et dure, n'espérant d'autre récompense que l'honneur de figurer les uns à cheval, les autres à pied et en armes -au premier rang de cette grandiose procession annuelle des Panathénées, qu'on pourrait définir une Fête-Dieu doublée d'un Quatorze juillet, cette éphébie-là est à la fois l'achèvement de l'éducation athénienne et son expression la plus pure. En elle apparaît ce que la liberté laissée aux maîtres et aux études au premier âge pouvait dissimuler, l'objet ultime et véritable de cette éducation. Les leçons du grammatiste et du maître de musique, les exercices de la palestre, les rudes labeurs de l'école militaire tout, on le voit, concourt au même but modeler des hommes au corps résistant, à l'esprit délié, au cœur ferme, amoureux du beau, curieux de savoir, pénétrés des nobles traditions, instruits et respectueux des lois nationales, préparés, quand, à vingt ans révolus et leur noviciat achevé, ils entreront en pleine jouissance de leurs droits civiques, à servir dignement la patrie, en paix comme en guerre, à faire tour à tour œuvre de bons citoyens et œuvre de bons soldats...

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L'Attique n'a été qu'un petit pays, à peine aussi grand, à peine aussi peuplé qu'un département français de moyenne taille. Encore, sur cette population de 600.000 âmes, les deux tiers étaient-ils des esclaves, traités sans doute avec douceur, avec humanité, mais privés de tous droits politiques, et exclus des bienfaits de l'éducation nationale. Cette démo

cratie, à bien des égards, était donc encore une oligarchie. Mais qui sait si un jour on n'en dira pas autant de la nôtre, quand la cause des suffragettes aura définitivement triomphé?

Le problème de l'éducation, tel qu'il se présente dans notre grande République, avec ses 20 millions d'habitants mâles, lous égaux en droits, est singulièrement plus vaste et plus complexe que celui qui se posait devant les contemporains de Périclès ou de Démosthène. C'est cependant en nous inspirant des principes qui les ont guidés, en nous conformant au même idéal patriotique et libéral, que nous avons abordé ce problème et que nous réussirons peut-être à le résoudre. Ces principes, vous les avez entrevus plus d'une fois au cours de cette brève esquisse; je n'essayerai pas de les résumer en une sorte de formulaire, abstrait et décharné; mais un précieux document nous est parvenu de l'antiquité même, qui vous en donnera, mieux que moi, la synthèse et la moelle.

Lorsque, à la fin de la première année de leur apprentissage, les éphèbes, réunis dans le temple d'Aglaure, après avoir passé une revue et justifié de leurs aptitudes militaires, recevaient de l'Etat les armes désormais confiées à leur bravoure, ils prononçaient le serment que voici :

« Je ne déshonorerai pas ces armes sacrées; je n'abandonnerai pas mon compagnon dans la bataille ; je combattrai pour mes dieux et pour mon foyer, seul ou avec d'autres. Je ne laisserai pas la patrie diminuée, mais plus grande et plus forte que je ne l'aurai reçue ; j'obéirai aux ordres que la prudence des magistrats saura me dicter; je serai soumis aux lois en vigueur et à celles que le peuple fera d'un commun accord. Si quelqu'un veut renverser ces lois ou leur désobéir, je ne le souffrirai pas; mais je combattrai pour elles, ou seul, ou avec tous; je respecterai les cultes de mes pères. »

Admirable formule où se condense la foi civique, qui a formé dix générations de patriotes et de républicains; noble raccourci de l'idéal d'une race qui a vaincu à Salamine, bâti le Parthénon, sauvé l'honneur à Chéronée et, en disparaissant, laissé à la postérité ce legs impérissable : Vérité, Beauté, Liberté.

THEODORE REINACH.

LE PROCHAIN EMPRUNT D'ÉTAT FRANÇAIS

Jamais peut-être, en pleine paix, les besoins du Trésor français n'ont été aussi pressants qu'à l'heure actuelle. Récemment, Le Temps pouvait évaluer le déficit du seul budget de 1913 à 532 millions de francs (1). La mise au point de nos armements sur terre exigera un milliard au moins. Notre Ministre des Finances est donc en face du problème redoutable et tout particulièrement délicat de se procurer en dehors des ressources normales du budget, 1.500 millions de francs.

Un doute pouvait surgir pour sa solution: aurait-on recours à l'impôt, opterait-on pour l'emprunt ? Cette question de principe est désormais tranchée en faveur de l'emprunt. Inutile donc de développer les arguments qui la justifient.

Mais comment empruntera-t-on? A quel moment? Tel est le problème à résoudre et qui soulèvera vraisemblablement au Parlement et dans la presse de très vives controverses. Trois grands courants paraissent aujourd'hui se partager l'opinion. Les uns, effrayés de l'énormité de notre dette publique, qui figure au budget de 1913 pour le chiffre respectable de 1.246 millions en arrérages, optent pour un fonds amortissable.

Les autres, désireux de ne point créer au 3 0/0 une compétition nouvelle, préfèrent le 3 0/0 perpétuel. D'autres enfin, hostiles aux emprunts amortissables et aux emprunts émis au-dessous du pair préconisent un emprunt en perpétuel, mais au pair à 3 1/2 ou 4 0/0.

Est-il possible de concilier ces opinions divergentes, et avec elles leurs avantages: il nous le semble. C'est ce que nous tenterons, après les avoir examinées et discutées.

(1) 22 octobre 1913.

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