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qui peuvent menacer la santé ou la pureté de l'enfance, mais aussi d'écarter de l'école, lieu de paix, de recueillement et d'union par excellence, tout élément de trouble et de discorde. Chose curieuse dans notre République, si fière de son œuvre scolaire, si justement soucieuse de la défendre, il a fallu attendre jusqu'à l'an 1912 pour s'apercevoir que la police de l'école était insuffisante, que la paix scolaire n'était pas assurée. Et les articles de loi destinés à réprimer certains scandales, notamment le fait « de pénétrer dans les locaux affectés à l'enseignement pour y semer le trouble et le désordre » ont bien été rapportés par notre ami Dessoye, mais n'ont pas encore reçu la consécration d'un vote parlementaire. Nous sommes, on le voit, en retard sur Solon.

J'ai dit que l'Etat n'avait pas cru devoir imposer aux pères de famille, sous peine d'amende, d'apprendre à lire à leurs fils, parce que cette contrainte n'était pas nécessaire pour les y déterminer. En revanche, il existe un autre genre d'enseignement que nous avons négligé jusqu'à présent de rendre obligatoire et qui l'était chez les Athéniens je veux parler de l'enseignement professionnel, qui se donne ou doit se donner après l'école.

Aux termes d'une loi de Solon (1), le fils, à qui son père n'a pas fait apprendre un métier, est dispensé de nourrir celui-ci dans ses vieux jours. Or, remarquez ceci à Athènes, l'entretien des parents affaiblis par l'âge est exclusivement à la charge de leurs enfants, et cette obligation légale était exigée plus strictement, sanctionnée avec plus de rigueur que chez nous, où l'on voit tous les jours, depuis les lois récentes d'assistance, tant d'exemples attristants et impunis d'indifférence filiale. Les retraites ouvrières n'existaient pas chez les Athéniens; la seule forme d'assistance obligatoire qu'ils eussent instituée était l'assistance à l'invalidité : le citoyen mutilé, frappé d'une incapacité complète de travail, avait droit à une pension de 2 oboles par jour, environ 30 centimes de notre monnaie, qui vaudraient aujourd'hui à peu près un franc (2).

(1) PLUTARQUE, Solon, c. 22.

(2) ARISTOTE, République athénienne, c. 49; LYSIAS, Discours, 24.

Maintenant, revenons à notre loi de Solon.

Du moment que le prolétaire accablé par l'âge dépendait entièrement, pour sa subsistance, de l'aide de ses enfants, dégager solennellement de ce devoir le fils d'un père négligent, c'était, en quelque sorte, condamner ce dernier à mourir de faim, c'était instituer, par un détour, l'obligation de l'enseignement professionnel sous la forme la plus rigoureuse. Sage prescription, dont notre démocratie, fondée sur le culte du travail, ne devrait pas tarder à s'inspirer.

II

J'ai parlé jusqu'à présent de l'éducation athénienne en général. Il faut maintenant en marquer les étapes et préciser à quelle clientèle elle s'adressait.

Jusque vers 7 ans, les enfants restent dans la maison paternelle et y vivent dans l'appartement des femmes. Ils ne reçoivent pas d'autres leçons que celles de leur mère ou de leur nourrice, et ces leçons se bornent à des chansons, à des fables et à de belles histoires, comme les mamans de tout temps en ont raconté à leurs enfants pour les faire tenir tranquilles ou les endormir.

De 7 à 13 ans à peu près, comme chez nous, se place l'instruction élémentaire proprement dite, qui se donne exclusivement à l'école. Le pédagogue ou gouverneur, que l'on rencontre dans les familles aisées, n'est qu'un serviteur de confiance chargé d'accompagner son jeune maître à l'école, de veiller sur sa bonne tenue, et de lui enseigner la civilité puérile et honnête. Ces « anges gardiens » étaient le plus souvent d'origine étrangère, même barbare. Quelques siècles plus tard, Plutarque, s'inspirant sans doute d'un moraliste plus ancien, s'en plaindra (1). M. Marcel Prévost connaît-il ce précurseur?

L'instruction se divise en deux branches, données généralement dans deux locaux distincts et toujours par deux maîtres différents les lettres, qu'enseigne le grammatiste; la musique, qu'enseigne le cithariste. L'enfant va tous les jours chez l'un ou l'autre, sauf les jours de fête, qui sont fréquents. (1) Education des enfants, ch. 7.

Il n'y a pas de vacances proprement dites, mais dans un certain mois de l'année, où les fêtes s'accumulaient particulièrement nombreuses, les parents avares se dispensaient entièrement d'envoyer leurs fils en classe, pour économiser la rétribution scolaire.

L'enfant part de bonne heure le matin pour l'école, souvent en troupe avec ses petits camarades. Il y va, quelque temps qu'il fasse, qu'il neige ou qu'il vente au dehors, drapé modestement dans son petit manteau et emportant son petit repas du milieu de la journée. Il y reste jusqu'au coucher du soleil. Lui donnait-on des leçons à apprendre, des devoirs à faire à la maison? Cela se passait ainsi en Ionie (1). Je doute qu'il en fût de même à Athènes. En tous cas, c'est à l'école que s'accomplissait le gros de la besogne scolaire.

L'enseignement n'y avait pas le caractère collectif qu'il affecte chez nous. La classe se décomposait en une série d'entretiens individuels, entre le maître et chacun des écoliers qu'il appelait auprès de lui à tour de rôle : l'enfant debout ou assis sur un tabouret, le maître installé dans un siège à dossier; c'est ce que M. Clémenceau appellerait « le tête-à-tête redoutable de l'enseigneur et de l'enseigné ». Pendant ce temps-là, les autres élèves s'occupent comme ils peuvent, sous la surveillance des adjoints ou des moniteurs. La disciplineest assez sévère et, quand il y a lieu à une correction sérieuse, qautre vigoureux camarades sont chargés de maintenir le petit délinquant, pendant que le maître lui applique méthodiquement une volée de bois vert ou une caresse de sa lanière de cuir.

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Cet enseignement primaire - on ne saurait trop insister sur ce point est commun à tous les petits Athéniens, sans distinction de naissance ou de fortune. Riches et pauvres fréquentent le même grammatiste et le même cithariste, s'ils habitent le même quartier. On ne voit pas, comme chez nous, des classes élémentaires annexées à des établissements de degré supérieur, afin d'éviter à des bourgeois distingués le désagrément de mêler leurs enfants avec ceux de la plèbe. Comme aux Etats-Unis d'Amérique, les Athéniens estiment

(1) HÉRONDAS, Mimiambe III, vers 12 et 30.

que tous les futurs citoyens, ayant droit à un même minimum de savoir, il est bon qu'ils viennent le recevoir ensemble, assis sur les mêmes bancs, dans un coude-à-coude fraternel. La vie aura assez tôt fait de dresser ses cloisons étanches entre les classes sociales et de parquer riches et pauvres dans des compartiments différents. Pourquoi ne pas accorder à l'enfance l'heureuse oasis d'une courte mais complète égalité ?

Après 13 ou 14 ans, il en va autrement. L'existence, avec ses dures nécessités, reprend ses droits. Ceux pour qui se pose le problème du gagne-pain immédiat entrent en apprentissage. C'est à peine s'ils peuvent dérober çà et là une heure ou deux à leur travail professionnel pour continuer leurs exercices gymnastiques. Les enfants moins pressés, au contraire, achèvent alors leur éducation physique par la fréquentation intense, journalière de la palestre. Parallèlement aux exercices du corps, qui prennent le plus clair de leur temps, ils suivent, sans contrainte, un peu au hasard, le plus souvent dans la palestre même, divers enseignements destinés à compléter leurs instruction élémentaire. C'est ce qui, à Athènes, représente, tant bien que mal, notre enseignement secondaire.

A 18 ans, les deux bras du fleuve se rejoignent et toute la jeunesse athénienne se retrouve unie dans la fraternité de la caserne, en attendant la fraternité beaucoup plus intermittente de la Pnyx, du théâtre et des tribunaux.

Un mot sur les programmes de l'éducation intellectuelle. Ce qui surprend d'abord dans le plan d'études de l'enfance, c'est son extrême sobriété. Pourtant, si jamais un peuple a exalté et divinisé l'intellect, c'est assurément le peuple grec et en particulier le peuple d'Athéna. Malgré cela, à une époque où l'esprit émancipé s'élance de toutes parts vers de nouveaux horizons de savoir, où l'histoire avec Hérodote et Thucydide, la géographie avec Hécatée, la géométrie avec Pythagore, l'astronomie avec Méton, les sciences naturelles avec Démocrite, se constituent d'une manière définitive, on ne voit figurer dans l'enseignement élémentaire aucune de ces matières.

Sans doute, à partir du dernier quart du ve siècle, sous l'influence des sophistes, un vif mouvement de curiosité intel

lectuelle se dessine dans la jeunesse. Les auditeurs se pressent, nombreux et attentifs, aux conférences parfois chèrement payantes ou aux conversations sans apparat, où des maîtres de la parole et de la pensée, fastueux comme Hippias ou familiers comme Socrate, enseignent la dialectique, la rhétorique, la philologie, la morale, la politique, la physique. Même dans les palestres, on voit les adolescents de 13 à 18 ans recueillir avidement des notions d'arithmétique, de géométrie, d'astronomie et de géographie.

Mais ces nouveautés, si vivement critiquées par les poètes conservateurs, demeurent des études de luxe; elles ne pénètrent pas dans l'enseignement élémentaire. Les Athéniens es'timaient que si tout citoyen, tout homme civilisé, devait apporter dans la vie le petit bagage de connaissances nécessaires à un être sociable, il était inutile et même dangereux de surcharger ces jeunes mémoires d'un amas de notions mal digérées, partant infécondes. L'essentiel était de donner aux enfants le goût des lumières, de les familiariser avec le maniement de l'instrument nécessaire pour communiquer aisément et clairement avec leurs semblables, de telle sorte qu'ils pussent ensuite, par la lecture, par le théâtre, par la conversation, développer ce premier fonds de savoir indispensable. Et ce premier fonds comprenait, au ve siècle, en tout et pour tout, la lecture, l'écriture, le calcul, la récitation des poètes et la musique ; à cela vinrent s'ajouter, au siècle suivant, quelques notions de grammaire et les éléments du dessin, surtout linéaire, et envisagé par ses côtés pratiques.

Ces programmes, on le voit, étaient beaucoup moins développés que les nôtres. Sur un point, cependant, ils l'étaient davantage je veux parler de la récitation des poètes. Cet exercice jouait un rôle capital dans l'enseignement de l'école. Les enfants, une fois affermis dans la lecture et l'écriture, étaient tenus d'apprendre par cœur de longs morceaux de poésie on n'avait pas l'inepte cruauté de torturer leurs mémoires avec des leçons de prose. Ces morceaux étaient tantôt choisis par le maître lui-même dans les œuvres originales, tantôt pris dans des recueils où on les trouvait groupés d'avance car c'est encore aux Grecs que nous devons l'invention des morceaux choisis (1).

(1) PLATON, Lois, VII, page 810 E.

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