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M. Jaurès ne doute pas et n'a jamais douté que la Confédération ne revienne aux procédés classiques et légaux qui sont en usage dans les autres pays. Et il triompha bruyamment d'un résultat qui donnait raison à ses pronostics.

Il s'empressa de publier dans l'Humanité (3, 5, 11, 13 et 18 sept.) une série d'études pour aboutir à cette affirmation, que le sabotage est impossible. Résumons rapidement cette argumentation difficile.

La grève générale, qui depuis longtemps reculait vers l'arrièreplan, est maintenant hors de vue, et le sabotage, ou dommage capricieusement infligé aux employeurs, a été répudié. Même les grèves ordinaires ne sont plus recommandées comme une chose qui va de soi... Tout cela indique que la fraction modérée qui a toujours existé à la Confédération du Travail a prévalu à la longue.

Cette fraction modérée a toujours soutenu qu'une production industrielle puissante et progressive excite les énergies et les revendications des ouvriers, et que ceux-ci n'ont aucun intérêt à ruiner l'industrie dont ils vivent. Ce serait payer bien cher, par le déclin, la langueur et le découragement de l'industrie un avantage d'un jour ou la pauvre satisfaction d'une vengeance sournoise. La grève elle-même ne fait que suspendre les mécanismes, elle ne les fausse pas. Et les patrons doivent avouer que c'est le seul moyen pour l'ouvrier de faire aboutir ses revendications. Le syndicalisme fait appel aux progrès de l'industrie; il condamne par cela même le sabotage. En fait, le sabotage n'existe pas. Si l'on a dénommé violemment les actes de sabotage et les fils brisés sur les lignes de chemins de fer, il ne s'agissait en réalité que d'actes commis par des voleurs de cuivre. M. Jaurès en a la certitude. « C'était une opération sur les cuivres, et les fils furent retrouvés chez le recéleur. » Le sabotage n'est qu'une mystification. Voilà le seul fait, affirme M. Jaurès, et bien ambigu qui ait pu être relevé. Et aujourd'hui, le monde industriel atteint un degré de productivité inouï.

Si le sabotage existait et mettait en péril des milliers de victimes, la Révolution sociale apparaîtrait comme un déchaînement de sauvagerie et les organisations ouvrières disparaîtraient, balayées par une tempête d'indignation.

Le sabotage ne peut être qu'une méthode de destruction sauvage ou une taquinerie hésitante. Ou il est impossible, ou il est ineffi

cace.

S'il s'agit de diminuer la production, l'homme est lié à la ma

chine et ne peut se soustraire à son rhythme. Et il ne peut, non plus, diminuer la qualité de son travail. On tient compte, pour l'établissement de sa paye, du fini du travail.

Le sabotage détourne l'ouvrier de l'organisation, puisqu'il lui suffit, croit-il, pour vaincre le patronat de quelque malfaçon ou de quelque détérioration de machine. La solidarité des travailleurs est rompue et remplacée par l'effort individuel et la dissimulation.

<«< Ce qu'il y a de curieux, ajoute M. Jaurès, c'est que la méthode du sabotage est celle qui aurait le plus de besoin d'être contrôlée pour que la violence contre le patronat ne dégénère pas en destruction inutile et funeste ou en attentat contre les consommateurs. Et c'est précisément la méthode qui, par sa nature même, échappe le plus au contrôle ; elle ne peut être pratiquée qu'obscurément, sournoisement, par une série d'actes individuels qu'aucune force orga nisée ne surveille et ne règle ».

« Donc, conclut M. Jaurès, techniquement, moralement, le sabotage ouvrier est une impossibilité. Nous pouvons dire avec certitude, non seulement qu'il n'est pas, mais qu'il ne sera pas ».

*

Le jour même où M. Jaurès écrivait cette affirmation hardie, le Congrès des cuirs et peaux tenait ses assises et avait à s'occuper de la délicate question du sabotage.

Et voici comment se déroulait cette discussion :

Un délégué inquiet consulte le bureau. « La Fédération, à l'instar de la C. G. T., a-t-elle rectifié son tir? » Et il demande au Congrès d'affirmer la nécessité de la propagande antimilitariste et néomalthusienne.

Non, répond le secrétaire général de la Fédération, la C. G. T. n'a pas rectifié son tir; elle a simplement déclaré qu'elle ne voulait plus subir la tutelle de gens irresponsables. Puis, il dénonce les articles de M. Jaurès et la résolution suivante est votée :

«La classe ouvrière est scule juge des circonstances où peut être employé le sabotage comme moyen de lutte. Le Congrès affirme le droit absolu pour la classe ouvrière d'être maîtresse de son action et de la forme qu'elle doit revêtir et déclare ne pouvoir tolérer l'immixtion de personnalités et des groupements d'à-côté dans cette action.

« Le Congrès affirme une fois de plus la valeur sociale du syndicalisme et demande aux organisations fédérées de ne pas

perdre de vue l'idée de la grève générale, seule arme capable d'affranchir économiquement les travailleurs.

« Le Congrès confirme les résolutions des Congrès antérieurs concernant la propagande néo-malthusienne ».

Ainsi là et dans d'autres fédérations, là surtout où se trouvent les ouvriers non spécialisés, dans le terrassement, dans le bâtiment, etc... le sabotage continuera à être admis et pratiqué, sans compter la grève générale et l'antimilitarisme et le malthusianisme, malgré les déclarations de la C. G. T., malgré les savantes explications de M. Jaurès. Et la raison, c'est que ce sont des armes dangereuses et puissantes, dont dispose le prolétariat ouvrier. M. Jaurès dit qu'il n'a jamais vu le sabotage sérieusement organisé. Qu'il demande aux patrons du bâtiment de le mieux éclairer sur ce fait.

La vérité, c'est que dans certaines professions, le sabotage est facile à saisir et à empêcher. C'est que, dans les petits groupes de province, les esprits sont moins hardis et s'inquiètent d'un programme trop violent. C'est que toute propagande est arrêtée par l'exagération des théories.

Toute la confusion vient de ce que les ouvriers qui s'aperçoivent de ce danger ne veulent pas reconnaître qu'on a été trop loin, parce qu'eux-mêmes n'ont jamais été trop loin et ont su au contraire allier la plus habile diplomatie à l'action la plus énergique. Et ces ouvriers disent ce qui est la vérité, en affirmant qu'ils ne rectifient pas leur tir. Ils affirment simplement qu'ils veulent exclure les influences irresponsables et extérieures (c'est-à-dire anarchistes), et ils oublient d'ajouter que ce n'est qu'aujourd'hui qu'ils pensent à répudier officiellement ces influences, et qu'ainsi faisant, ils changent l'orientation de la C. G. T. Ils lui font rebrousser chemin. Donc ils rectifient son tir.

Et les anarchistes ont beau jeu de répondre : « Vous rectifiez votre tir, puisque aujourd'hui vous nous abandonnez comme trop compromettants après nous avoir longtemps suivis. »

Et il n'est que de rappeler le congrès confédéral de Toulouse, en 1900, où l'action du sabotage fit l'objet d'un long rapport. Le sabotage, peut-on dire, est inscrit sur l'acte de naissance de la C. G. T.

On en a vu depuis les inconvénients et, si on ne le répudie pas ntièrement, on n'ose plus le conseiller.

Il est un article du programme ouvrier qui tient aujourd'hui plus à cœur aux syndicalistes: c'est la semaine anglaise, c'est la fermeture dans l'après-midi du samedi de tout établissement de commerce et de banque. L'origine de cette institution est belliqueuse. Elle fut créée à une époque où les Anglais redoutaient l'invasion des Français et y préparaient leurs volontaires, dans l'après-midi du samedi, le dimanche étant un jour impropre à tout travail. La crainte de l'invasion s'est évanouie, l'exercice obligatoire n'existe plus, mais l'institution du repos du samedi a survécu. Les syndicalistes rêvent de l'introduire en France. La semaine anglaise a de nombreux avantages: elle est acceptée par les gens religieux, puisqu'elle favorise le repos du dimanche, en laissant le samedi aux employés pour leurs achats de provisions. Elle permet, en outre, aux ouvriers de calculer leur temps par semaine et de réclamer une réduction hebdomadaire, alors qu'ils ne pourraient obtenir une réduction journalière, là où les heures quotidiennes sont déjà très réduites. Et puis cette demande paraît si naturelle. et si modeste !

La Confédération générale ne frayait pas jadis avec les organisations ouvrières de l'étranger et celles-ci lui manifestaient une opposition non équivoque. Voici que cette bouderie a cessé et que la C. G. T. participe à la « Conférence internationale des secrétaires des centres nationaux des syndicats ». Elle y fut représentée par MM. Jouhaux et Dumoulin, qui se virent faire deux reproches D'abord d'être en retard pour le paiement des cotisations internationales; puis de donner généralement peu pour la solidarité internationale, même quand il s'agit de lutter pour des idées chères au prolétariat français comme la grève générale. Le secrétariat international, dit ironiquement le délégué autrichien M. Hueber, n'est pas seulement un groupement idéaliste, il vit de réalités et a besoin de ressources. Sans quoi, les votes émis restent platoniques et n'ont aucune signification.

Toujours en évolution, la C. G. T., bafouait jadis la coopération de consommation qu'elle adore aujourd'hui. La coopération de

consommation est une banquière qui fournit facilement des bénéfices, recueillis pour ainsi dire automatiquement sur la population ouvrière. Voilà de l'argent tout trouvé, qui compensera admirablement la pauvreté des syndicats et la pénurie des cotisations syndicales !

Une grave question s'est posée au dernier Congrès des coopérations qui s'est tenu à Reims. Il s'agissait de déterminer les rapports qui doivent exister entre les ouvriers administrateurs des sociétés et les ouvriers, employés salariés de ces mêmes sociétés. Souvent les rapports entre les uns et les autres sont durs et sévères, et l'on connaît l'autoritarisme de M.Anseele,directeur de la fameuse coopérative gantoise, le Vooruit. Souvent les employés de coopératives se sont révoltés contre l'autorité naturelle qui porte la responsabilité de la gestion. Et les vrais coopérateurs ne peuvent comprendre cette rébellion, tandis que les employés syndicalistes ne peuvent se faire à cette soumission.

En 1911, les garçons épiciers des trois grandes coopératives de la Seine déposèrent une liste de revendications: minimum de salaires, fermeture à sept heures, repos dominical, embauchage à la Bourse du Travail par l'entremise du syndicat. Tout cela fut refusé par les administrateurs et la grève faillit éclater. L'hostilité s'aggrava, de ce fait, que les syndicalistes voudraient profiter des bonis coopératifs et mettre la main sur la direction des coopératives.

Le Congrès de Reims a fini par voter une résolution qui a pour but de ramener la discipline et l'entente.

La première obligation qui s'imposera aux sociétés est de prendre le personnel parmi les sociétaires et d'avoir non des salariés, mas les collaborateurs avec une responsabilité bien établie. Pour assurer celle responsabilité, le Congrès de Reims préconise la commandite simple (gérants responsables) et l'établissement de conventions collectives avec les syndicats respectifs ou leurs organisations centrales par les Sociétés de la Fédération coopérative. Par réciprocité, les organisations syndicales prendront des engagements pour mettre les coopératives hors la possibilité de grève. Les coopératives devront s'engager à appliquer les revendications syndicales dès la déclaration de grève, à la condition de revenir aux anciennes conditions, si le mouvement ne réussit pas.

En ce qui concerne les grèves de protestation, de solidarité, les grèves générales contre la guerre, l'organisation coopérative ne saurait en souffrir. Pendant ces crises, les travailleurs ont besoin de trouver leur nourriture quotidienne indispensable et ne doivent

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