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du Nord. Le nouveau président des Etats-Unis et son secrétaire d'Etat, M. Bryan, ont eu maille à partir avec le Mexique.

Seul, en effet, de tous les autres pays d'Europe et d'Amérique, les Etats-Unis ont refusé de reconnaître le gouvernement provisoire du général Huerta, fondé au lendemain de l'assassinat du président Madero. Les raisons de cette attitude? Officiellement, on affirme à Washington prendre en cette affaire le parti de la légalité; on déclare que le général Huerta ne doit son pouvoir qu'à un coup d'Etat et que seul un président définitif régulièrement élu mériterait la confiance de la République voisine. On ajoute que le gouvernement provisoire est incapable de mettre un terme à la guerre civile qui menace de ruiner le Mexique et qu'il importe de réconcilier les fédéralistes, qui tiennent la campagne au nom du parti Madero, et les fédéraux. Au-dessous de ces raisons officielles, il y en a peut-être d'autres. La révolution de Madero, qui renversa naguère Porfirio Diaz, avait été ouvertement encouragée par certaines grandes compagnies américaines; celles-ci ne pardonnaient pas au président Diaz d'avoir nationalisé les chemins de fer mexicains et concédé les pétroles du Mexique à un syndicat anglais. Madero fut au contraire fort populaire aux Etats-Unis et il semble que sa chute ait réveillé les appréhensions de la diplomatie du dollar.

Quoi qu'il en soit, le désaccord des deux Républiques prit une forme alarmante à la fin du mois d'août. La diplomatie américaine, il faut le reconnaître, étonna à ce moment l'Europe. Dans le temps même qu'il refusait de reconnaître le général Huerta, M. Bryan l'invitait à se joindre aux Etats-Unis pour reconnaître la République chinoise. Puis il lui fit porter, par un ambassadeur extraordinaire et non muni de lettres de créances, une sorte d'ultimatum. Le général devait sans retard déclarer qu'il ne serait pas candidat aux élections présidentielles du 26 octobre prochain, accepter la médiation des Etats-Unis dans son conflit avec les constitutionnalistes, et enfin contradiction curieuse s'engager à faire respecter la légalité au cours de ces élections présidentielles. Comme le Mexique tardait à se soumettre, le président Wilson adressait le 26 août au Congrès de Washington un message où il stigmatisait la conduite du général Huerta, invitait les citoyens américains à quitter le Mexique, et annonçait que les Etats-Unis conserveraient à l'égard du Mexique une attitude expectante.

Ceux qui avaient cru à une guerre furent rassurés. Toutefois la situation n'en devint que plus bizarre. Le gouvernement du général Huerta fit observer, par l'entremise de son ministre des affaires

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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étrangères, M. Federico Gamboa, que le général Huerta n'avait jamais eu l'intention de se présenter aux élections présidentielles au mois d'octobre, cette candidature étant prohibée par la constitution mexicaine. Il repoussa d'ailleurs assez dédaigneusement l'offre de médiation du président Wilson comme humiliante pour la nation mexicaine et se déclara de taille à écraser sans secours l'insurrection madériste. Il a fait plus ces derniers jours et passé des promesses aux actes. Le général Félix Diaz, neveu de Porfirio Diaz, qui se trouvait en route pour une mission spéciale au Japon, a été rappelé par le général Huerta pour poser sa candidature aux élections du 26 octobre. M. Federico Gamboa a accepté de son côté la candidature que lui offrait le parti clérical du Mexique. L'attitude des Etats-Unis devient donc de jour en jour moins justifiée. MM. Wilson et Bryan continuent néanmoins à préconiser le boycot de la République mexicaine et il est fort probable que M. John Lind ne bougera pas de Vera Cruz, où il demeure en suspens avant les élections présidentielles.

Cette politique est fort différente de celle que préconisaient naguère MM. Roosevelt et Root. Quelles que soient les raisons que peuvent alléguer leurs successeurs, il est indéniable qu'ils ont gravement compromis la popularité des Etats-Unis dans toute l'Amérique latine. Les journaux les plus graves, telle que la Nacion de Buenos-Ayres, n'ont pas caché leur entière désapprobation de la manière cavalière dont vient d'être traité le Mexique. Il sera malaisé de réparer cette fâcheuse impression.

PHILIPPE MILLET.

II. REVUE DES QUESTIONS OUVRIÈRES

ET DE PRÉVOYANCE

Par LÉON DE SEILHAC

Délégué permanent du Musée Social.

L'évolution de la Confédération.

La

La Fédération des Métaux. Fédération des cuirs et peaux. La C. G. T. a rectifié son tir. La semaine anglaise. La Conférence internationale de Zurich. Employés et administrateurs de coopératives. -Les nouveaux projets de

-

M. Chéron. - Le travail des ouvrières à domicile. L'assistance aux familles nombreuses. Les maladies professionnelles. La protection des femmes en couches. Le Crédit au petit commerce.

Y a-t-il vraiment évolution et régression dans le programme de la Confédération Générale du Travail ? problème délicat et troublant sur lequel on ne peut s'entendre, les confédérés jurant leurs grands dieux qu'ils n'ont nullement évolué et qu'ils ont gardé de leur religion le dogme indestructible! Et cependant nous lisons dans la déclaration signée de tous les grands noms du syndicalisme cet aveu sans artifices: « Nous affirmons bien haut nous reconnaître le droit, d'accord avec l'ensemble des organisés, de modifier nos formes de recrutement et de propagande, suivant les modifications apportées dans le domaine industriel par nos adversaires. Selon nous, un mouvement qui, sans tenir compte des transformations s'opérant autour de lui, se figerait dans une attitude immuable, serait un mouvement sans vie, sans influence, sans avenir. L'histoire de la C. G. T. montre que notre syndicalisme a suivi une perpétuelle évolution. Parti des formes inférieures du mutualisme, il est passé par le stade politico-mutualiste, pour arriver enfin à la forme supérieure du syndicalisme d'offensive et de conquêtes >>.

Dans le courant d'avril 1913, une conférence confédérale s'était

réunie à Paris, dans le but de simplifier et perfectionner l'organisation syndicale. Et M. Merrheim, qui est l'esprit le plus grave de la C. G. T. avait dû faire des aveux troublants et proposer des résolutions énergiques pour mettre fin à une maladie syndicale qui s'est appelée la Ricordite. Celui qui eût l'honneur de donner son nom à cette maladie, qui faillit tuer net la Confédération, était secrétaire des terrassiers et se glorifiait d'avoir été condamné à la prison par la justice bourgeoise et pour des délits de droit commun. Il était, pour ce, interdit de séjour ce qui ne l'empêchait pas de se montrer à Paris en tête de toutes les manifestations. De solides gaillards l'entouraient, armés de bâtons, et la police n'osait l'arrêter. Son exemple fit croire aux ouvriers qu'il suffisait de bafouer les gendarmes pour faire éclater la révolution. Il y eût la déplorable journée de Villeneuve-Saint-Georges. Ricordeau disparut et le noyau d'anarchistes prêts à tout, qui gravite dans l'orbite de la confédération, se tint coi pour quelque temps. Les esprits judicieux de la C. G. T. et il en est profitèrent donc de cet échec de l'élément anarchiste pour se reprendre et arrêter l'enlizement du parti ouvrier.

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Déjà, au Congrès confédéral du Havre, l'année dernière, la désertion des soldats avait été condamnée et repoussée.

La conférence confédérale se donna la mission de ne plus laisser fausser l'action syndicale.

La grève générale doit être décrétée par le Comité confédéral, proposait un des congressistes, si le gouvernement veut dissoudre la C. G. T. ou restreindre les libertés syndicales. Et un autre, plus osé, demandait qu'une grève générale fût décidée pour le 24 septembre, si la classe 1910 n'était pas libérée à cette époque. Cette grève générale devait « être ce qu'elle pourra, durer ce qu'elle roudra ».

Le secrétaire général de la Confédération répondit à ces délégués trop pressés et trop amoureux de précision que menacer le gouvernement d'une grève générale, c'était prendre au sérieux les menaces ridicules faites contre la Confédération. Mais, fut-il objecté, c'est faire de la politique à la façon de l'autruche qui cache sa tête à l'heure du danger! Non point, riposta M. Luquet, ancien secrétaire de la C. G. T., ce qui est ridicule, c'est d'aller à la bataille avec une plume, tandis que l'ennemi braque ses canons. E M. Merrheim exécuta définitivement ceux qui ont faussé l'action de la C. G. T., en la poussant dans la voie politique, où le gouvernement et le patronat avaient intérêt à lui voir user sa puissance d'action.

« Oui, dit-il, la C. G. T. a un grand rôle à remplir dans le mouvement social; mais je ne veux pas que ce soient des irresponsables d'à côté, qui nous entraînent où ils veulent et comme ils veulent et non comme il nous conviendrait; alors surtout qu'après nous avoir entraînés, faussé notre mouvement, ils nous faussent ensuite compagnie. C'est la C. G. T., c'est le syndicalisme qui sont en jeu. Nous n'avons pas une erreur à commettre ».

La conférence des Bourses et Fédérations, qui se réunit au milieu de juillet 1913, reprit cette grave discussion. M. Merrheim fit à cette conférence des déclarations énergiques et coupa le lien qui rattachait la C. G. T. aux anarchistes et aux disciples d'Edouard Hervé (première manière).

« Ou nous nous ressaisirons, écrivait-il dans la Bataille Syndicaliste, ou, avant dix ans, la C. G. T. ne sera plus qu'un groupement d'affinités, réceptacle de tous les pitres, de tous les déçus, de tous les mécontents; un parti politique électoral, avec son atmosphère d'incapacités, d'appétits et de corruptions ».

Violemment attaqué par les Temps Nouveaux, M. Merrheim ripostait

« Ce serait une lâcheté que de ne pas faire front à cette meute où l'égoïsme personnel et le cynisme justifient tous les revirements... et dont la démagogie va jusqu'à flatter les plus bas appétits, les plus vils instincts de la masse inorganisée ».

Immédiatement la Guerre Sociale déclara que la C. G. T. rectifiait son tir et répudiait ses anciennes méthodes de lutte, basées sur le sabotage hypocrite et la violence irraisonnée. M. Gustave Hervé se reconnut parmi les pîtres dénoncés par les sages confédérés; mais il se vengea en félicitant la Confédération d'avoir, à son exemple, trouvé son chemin de Damas.

C'était bien contre l'insurrectionnalisme que se déclarait la Confédération. Partout, faisait observer M. Marcel Géraud dans l'Action, les débats et les travaux ont eu pour principal et unique objet les intérêts corporatifs d'organisation corporative. Dans tous les congrès des grosses fédérations qui composent la Confédération, le souci fut le même, sauf une exception que nous ex pliquerons facilement, au Congrès des cuirs et peaux.

Cette exception, ce fut M. Jaurès qui la fit naître.

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