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large mesure aux troupes coloniales les principes en vigueur dans l'administration de la Guerre. Il y a plus, les rédacteurs des deux décrets précités semblent avoir eu en vue de spécialiser chaque corps dans une fonction. C'est ainsi que dans le cas qui nous occupe, la direction du service appartiendrait exclusivement aux fonctionnaires de l'Intendance, l'exécution du service et la gestion des approvisionnements, aux officiers d'administration.

Dès l'abord, on ne peut que louer cette unification qui a mis fin aux fâcheux dualisme entre lequel nous nous sommes débattus pendant de si longues années. On ne peut également que se féliciter de voir appliquer, autant que possible, à nos troupes d'outre-mer, les mêmes règles générales qu'aux troupes métropolitaines; l'armée est une, en effet, sous quelque latitude que se trouvent ses membres et comme ceux-ci peuvent être appelés à servir tantôt sur un point, tantôt sur un autre du territoire de la République ou de ses dépendances, il est bon qu'ils ne se trouvent pas perpétuellement en présence de règlements nouveaux, qui ne pourraient que les déconcerter et les obliger à faire des écoles. Mais, il faut par-dessus tout louer la mesure qui a placé dans chaque colonie, le commandant supérieur des troupes à la tête de tous les services militaires et lui a donné ainsi les moyens de mener à bien la très lourde tâche qui lui incombe; cette mesure a mis fin à des tiraillements et à des vexations sans nombre, en délimitant d'une façon précise les droits et les responsabilités de chacun.

Cependant, après avoir reconnu les mérites incontestables des décrets de 1901 et de 1906, on doit se demander si, les rédacteurs de ces textes n'ont pas, dans un but de simplification et d'unification des règlements, peut-être aussi par besoin de réaction contre les abus du passé, poussé un peu à l'extrême l'esprit d'uniformité si souvent reproché à ceux de notre race. Et cette question a une importance particulière en ce qui concerne le service de l'Intendance des troupes coloniales.

Qu'on veuille bien remarquer que, tant qu'il s'agissait des principes en soi, nous n'avons eu que des louanges, mais l'application pratique de ces principes ne nous apparaît pas aussi heureuse. Le problème était difficile à résoudre, il est vrai, en raison du double service que font les troupes coloniales tantôt en France, comme partie intégrante des armées chargées de la défense natio

nale, tantôt aux colonies avec une mission toute spéciale; il n'était pas insoluble cependant.

C'est à notre avis, par la mise en œuvre du principe de la division du travail administratif, que l'organisation nouvelle est défectueuse. En France, le contrôle appartient à un corps spécial de hauts fonctionnaires, la direction du service, aux foncitonnaires de l'Intendance, l'exécution et la gestion aux officiers d'administration et aux militaires de la section. Cette répartition tripartite a peut-être des mérites incontestables lorsqu'on se trouve en présence de grosses unités et d'une organisation militaire complexe; elle détermine d'une manière précise les attributions de chacun, mais était-il vraiment nécessaire de la transplanter de toutes pièces aux colonies? En d'autres termes, était-il indispensable de créer trois corps distincts, ce qui, après tout, amène un gaspillage de personnel et ne pouvait-on, tout en maintenant le principe, confier les trois fonctions à un même cadre d'officiers? Passe encore pour le contrôle, puisqu'il rentrait naturellement dans les attributions des fonctionnaires de l'Inspection des colonies, mais la direction et l'exécution du service devaient-elles nécessairement ressortir à deux corps distincts?

Nous ne le pensons pas et nous croyons sincèrement et en dehors de tout parti-pris, que la création du corps des officiers d'administration de l'Intendance des troupes coloniales constitue une faute. Malgré tout, aux Colonies, la manière d'administrer ne peut être identique à celle qui est suivie en Europe. En raison de l'émiettement des unités, de leur dispersion sur des territoires im menses, des difficultés du ravitaillement et des moyens de transport, l'organisation des sous-intendances territoriales est, la plupart du temps, un leurre, celle des sous-intendances de division ou même de brigade ne se comprend guère qu'en Indochine, de même, du reste, que les formations militaires auxquelles elles correspondent. Dans la plupart des possessions et, en général, en dehors des grands centres, l'utilité de nombreux postes administratifs est incontestable, mais leur importance réduite nécessitera au plus la présence d'un adjoint à l'intendance. Or, les officiers de ce grade sont ou plutôt se trouveront être réduits au nombre de vingt pour le corps entier, dès la disparition des excédents actuels; ils ne suffiront pas à la tâche. Les remplacer par des officiers d'administration, il n'y faut pas songer, ces derniers ne doivent, en aucune façon participer à la direction du service; ils n'ont pas de pouvoirs propres, ne peuvent signer, en un mot ne peuvent être utilisés que dans les places où il existe des fonctionnaires de l'Intendance ou des

suppléants légaux. On voit d'ici le vice du système ; les fonctions attribuées au corps des officiers d'administration par les règlements de la guerre, règlements qu'on a voulu transporter outre-mer ne s'harmonisent pas avec les nécessités coloniales; peut-être, à la rigueur, pouvait-on créer un corps d'officiers comptables pour le service des magasins, puisque ce service est censé demander des aptitudes techniques, mais les emplois d'officiers d'administration des bureaux constituent presque une anomalie. Il était d'ailleurs facile ac remplacer ces derniers en maintenant, dans l'intendance coloniale, les emplois d'attaché de première et de deuxième classes, qui n'existent, il est vrai en France, que dans le cadre auxiliaire, et en augmentant un peu le nombre des adjoints; on pouvait ainsi pourvoir à la fois les bureaux et les petits postes administratifs. On créait en outre une excellente pépinière de sous-intendants et on ne risquait pas de voir se tarir ou tout au moins s'appauvrir le recrutement du corps, lorsque des conditions favorables d'avancement rendront facilement accessible le grade de chef de bataillon ou d'escadron.

En Europe, cette organisation aurait fonctionné dans les mêmes conditions que celle qui existe actuellement, les attachés et les adjoints remplissant dans les troupes coloniales les emplois qui, dans les troupes métropolitaines, sont tenus par des officiers d'administration des bureaux ou même des magasins.

Les agents civils étaient supprimés par extinction, après qu'on aurait facilité à l'élite d'entre eux l'accès du nouveau corps; aux autres, des situations convenables auraient été offertes dans les services civils des colonies en tenant compte de leurs aptitudes spéciales et des services qu'ils ont rendus depuis la création du corps. L'Intendance aurait ainsi été dégagée d'un élément disparate auquel on substituait tout naturellement les militaires de la section.

Cette solution était évidemment trop simple pour être adoptée; elle demandait du reste un tout petit effort d'initiative pour sortir des sentiers battus; puis là comme ailleurs la politique s'est mise de la partie. Et on nous a dotés de cette lourde organisation décrite plus haut, excellente, dit-on, en France, mais qui manque de la souplesse nécessaire pour se plier aux contingences coloniales. On s'en apercevra tôt ou tard, mais le temps aura fait son œuvre de cristallisation et l'on devra refondre de fond en comble un organisme qu'on avait une si belle occasion de faire excellent.

J. DE BYANS,

V

DE L'ÉDUCATION DE L'INGÉNIEUR

L'enseignement économique et social et les difficultés présentes.

Monsieur le Directeur,

Le très intéressant article de M. l'inspecteur général Georges Renaud, que la Revue Politique et Parlementaire a publié dans son numéro du 10 septembre 1913, appelle l'attention sur une branche spéciale de l'instruction, l'enseignement économique et social. Elle présente en effet un double intérêt d'une part, au point de vue de l'outillage dont le technicien doit être armé lors de son entrée dans la carrière qu'il embrasse, et, d'autre part, au point de vue de la culture générale dont M. Georges Renaud proclame à juste titre l'impérieuse nécessité.

Dans le premier domaine, il est superflu de démontrer à nouveau que l'ingénieur, conducteur d'entreprises et conducteur d'hommes en même temps que conducteur d'appareils, doit connaître la technique des affaires et la direction des ouvriers aussi bien que la structure des mécanismes.

Dans le second domaine, l'étude des questions économiques et sociales oblige le jeune homme à former son esprit au contact des discussions de théories adverses, à développer par la dialectique sa faculté de raisonnement et sa puissance de réflexion, à comprendre que les problèmes de la vie industrielle ne se réduisent pas aux questions techniques susceptibles de recevoir une solution mathématique, et qu'ils embrassent au contraire le vaste champ des questions humaines qui n'admettent que des formules contingentes assouplies aux multiples et diverses circonstances de chaque moment.

L'intérêt de cet enseignement affecte à l'heure actuelle un caractère exceptionnel au lendemain du vote de la nouvelle loi militaire : d'une part, en effet, les écoles qui forment des officiers doivent, dans le moindre temps possible, donner à l'armée les cadres nécessaires à la formation du nouveau contingent; d'autre part, celles qui forment des ingénieurs doivent abréger leur durée d'études afin de permettre aux jeunes gens, en dépit de la prolongation du service militaire, d'aborder l'entrée de leur carrière technique au même àge que par le passé.

Dans les deux cas, on pourrait être tenté d'appliquer à l'enseignement économique et social les plus fortes réductions parmi celles que doivent subir les divers cours de ces deux catégories d'écoles ou, tout au moins, de le reléguer à une place dont le caractère effacé le discréditerait aux yeux mêmes des jeunes gens appelés à le recevoir. C'est ainsi que l'on annonce le remaniement, qui équivaudrait en fait à une suppression, du cours de morale qui, depuis 1907, est professé dans les écoles militaires; de même, à l'Ecole des Ponts et Chaussées, c'est au nombre des cours de l'année préparatoire que se trouve inscrit désormais l'enseignement de l'économie sociale. Certes, je ne partage nullement les craintes ni les soupçons de ceux qui voient dans de telles mesures je ne sais quelle manifestation d'un esprit de réaction contre des tendances libérales ou philanthropiques. Je suis convaincu que les directeurs d'études et les conseils d'écoles qui se déterminent à de pareilles modifications n'obéissent qu'à la contrainte matérielle imposée par la loi même du temps. Mais je crois qu'ils n'attachent pas toujours à cette partie de l'enseignement l'importance qu'elle mérite et qu'ils pourraient, dans les sacrifices commandés par les nécessités du moment, sauvegarder l'intérêt des élèves à qui de telles connaissances sont indispensables.

Si, en effet, ils méconnaissent en partie la valeur de l'enseignement économique et social dans la formation du jeune technicien, c'est qu'ils en ignorent dans une certaine mesure les limites rationnelles et la légitime portée. L'exemple des écoles militaires, que je viens de citer, loin d'être à cet égard une inutile digression se justifie par l'analogie de la formation sociale qui doit être donnée à l'officier et à l'ingénieur : l'un et l'autre, en effet, sont des privilégiés de l'enseignement; l'un et l'autre sont des conducteurs d'hommes ; l'un et l'autre ont à faire respecter une discipline qui, pour être, dans l'industrie, moins étroite que dans l'armée n'en est pas moins nécessaire et qui, même dans l'armée, réclame, comme dans l'industrie des modalités ou des tempéraments on ne commande pas des territoriaux pères de famille comme des conscrits de vingt ans, des troupes coloniales sous un soleil brûlant ou dans la brousse épaisse comme des régiments métropolitains sous un climat tempéré et dans le bien-être d'une vie facile.

Or, c'est dépasser les bornes que le temps matériel assigne à l'enseignement militaire ou technique, que de prétendre ouvrir des cours de morale dans une école d'officiers ou d'ingénieurs ; c'est, de plus, franchir le but à atteindre qui ne consiste nullement à transformer une école spéciale en un établissement d'instruction gé

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