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L'Allemagne, comme toute nation, a ses enfants terribles, dont les incartades la gênent parfois et l'effarent, mais pour qui elle se sent une secrète complaisance: de sorte que les pangermanistes, qui sont ses enfants terribles, régentent la famille germanique, ont le verbe haut et brutal, le don de l'irrespect -force singulière et piquante originalité en un pays où le monde officiel, les sujets, la presse d'opposition même observent mesure et discipline.

Le pangermanisme n'entend pas constituer un parti politique classé; son organisation a pour cadre non seulement l'Allemagne propre, mais aussi la plus grande Allemagne, l'universelle Allemagne.

C'est cette dernière conception qu'exprime le vocable alldeutsch, vocable qu'il faut se garder de confondre avec pangermanist. Ecoutons la définition la plus autorisée, que formule le chef des Alldeutsche : « Nous autres Alldeutsche, n'avons pas le moindre rapport avec les pangermanistes. La confusion s'explique peut-être parce que la traduction du mot alldeutsch en langues étrangères se pratique toujours plus ou moins par l'emploi du mot pangermanique. Nous autres, Alldeutsche, nous affirmons simplement la conscience de l'unité de tout ce qui est haut et bas allemand au-dedans comme au-dehors des frontières de l'Empire... Le pangermanisme englobe aussi les Scandinaves et les Anglo-Saxons, et d'après l'opinion d'écrivains comme Gobineau et Houston Stewart Chamberlain, les groupes romans d'Europe plus ou moins mélangés de Germains (1). »

(1) Allocution présidentielle du Dr Hasse, au Congrès d'Eisenach 1902.

Le pangermanisme alldeutsch limite sa juridiction et ses ambitions; et cette modestie est pleine de malice. Sans renier le parentage avec les Anglo-Saxons, il prononce contre eux l'exclusive; car c'est dans les Anglo-Saxons que l'impérialisme allemand rencontre ses rivaux les plus détestés. Et quant aux Scandinaves, l'on se trouverait bien embarrassé à l'égard des frères danois du Schleswig, qui sont des Germains de mauvais aloi.

L'alldeutschtum se taille sur le globe un beau domaine, dont la carte couvrirait à l'occident les zones flamandes et hollandaises; à l'orient, l'Autriche allemande et les provinces baltiques russes et figurerait toutes les colonies, tous les îlots, toutes les enclaves semées de par le monde, où vivent des individus de race ou de langue allemande ; ce que symbolise le titre de la publication géographique, consacrée à cette enquête Deutsche Erde.

Sous quelles influences le pangermanisme, celui des Alldeutsche, a-t-il pris corps, et aussi quelle mission s'est-il donnée ? Qu'a-t-il réalisé ?

I

Le sentiment national en Allemagne s'exalta de la fortune du nouvel Empire, et la foi naquit en l'éminente dignité de la race germanique; foi dont un théoricien français, aujourd'hui canonisé, le comte de Gobineau, avait élaboré le dogme (1). Le peuple élu allait-il consommer ses destinées sur son aire historique, rester emprisonné au centre de la vieille Europe, ou essaimer de par le monde, acquérir des possessions lointaines, foyers des émigrants jusqu'alors perdus pour la mère-patrie, débouchés des manufactures et usines que le sol allemand voyait éclore, escales et points d'appui d'une marine marchande et d'une flotte militaire vigoureuses ? Ce pro

(20 Jahre alldeutscher Arbeit und Kämpfe, Leipzig, Dieterich'sche Verlagsbuchhandlung, 1910, p. 129-30). Cf. du même: Die Zukunft des deutschen Volkstums (Deutsche Politik, t. I, fasc. 4, Munich, J.-F. Lehmann, 1907, p. 30).

(1) M. Ernest Seillière a consacré à ce prophète et au culte dont il est l'objet tout un volume de sa Philosophie de l'impérialisme. Le comte de Gobineau et l'aryanisme historique. (Plon, 1903.)

gramme eut pour apôtres une petite phalange de géographes, professeurs ou militants, d'économistes, d'armateurs. Il ne séduisit ni les classes dirigeantes, ni les travailleurs; Bismarck s'était immunisé contre le morbus colonialis. Un explorateur africain, qui avait fait plus de bruit que de besogne, le D' Karl Peters, essaya de grouper et d'orienter dans un esprit national les entreprises et sociétés qui s'occupaient des choses d'outre-mer; une Association générale allemande (Allgemeiner deutscher Verein), ébauchée en 1886, ne subsista pas.

Mais l'éveil était donné. L'Allemagne industrielle et mercantile s'éprit de la politique mondiale, dégagée de la gangue terrienne et européenne, politique mondiale dont le champ d'action serait la mer; conception consacrée depuis par une devise impériale.

Dans une atmosphère plus favorable à l'agitation pangermaniste, l'Association générale allemande se reconstitua :: mais, divisée par l'antisémitisme, mal administrée (1), elle se fût disloquée encore sans l'énergique emprise du Président élu en 1893, le Dr Ernst Hasse (2).

Directeur de l'Office statistique municipal de Leipzig, député de cette ville au Reichstag, professeur à l'Université depuis 1886, Ernst Hasse a, en quelque sorte, incarné le pangermanisme intégral. Il en a traité tous les problèmes tant dans sa chaire et ses écrits, que dans ses harangues aux congrès de l'Alldeutscher Verband, rubrique écourtée, qui prévalut dès son avènement. Il en a rédigé un copieux exposé dans son ouvrage le plus considérable : Deutsche Politik, en cinq fascicules, qui se sont succédé depuis 1905 (3).

(1) HUGO GRELL. Der Alldeutsche Verband, seine Geschichte, seine Bestrebungen und Erfolge. (Flugschriften des Alld., Verb. Heft, 8, Münich, Lehmann, 1898, p. 4.)

(2) Voir une notice biographique avec portrait dans Deutsche Erde, 5 Jahrgo 1906, p. 1, E. Hasse est mort en 1908.

(3) Les quatre fascicules portent les titres suivants: I. Das deutsche Reich als Nationalstaat; II. Die Besiedelung des deutschen Volksbodens; III. Deutsche Grenzpolitik; IV. Die Zukunft des deutschen Volkstums. Le deuxième tome annoncé, Weltpolitik, dont le premier fascicule seul a paru, en comportait cinq; le troisième, Kolonialpolitik, neuf. Si l'ouvrage selon l'annonce même de l'éditeur, reproduit les leçons professées depuis 1888 à Leipzig, on aura une singulière idée de l'enseignement autorisé dans une Université allemande.

L'Alldeutscher Verband se manifesta par une propagande agressive, dans son organe hebdomadaire, les Alldeutsche Blätter, qu'un fonds spécial permit bientôt de distribuer gratuitement aux écoles, sociétés, institutions où la semence germanique promettait de germer. Sous son vocable, des groupes locaux s'organisèrent et des fédérations, tant à l'intérieur de l'Empire que dans les annexes et les pays suffragants du deutschtum. L'œuvre se précisa, telle que la présente le prospectus-réclame : « L'A. V. issu de l'opposition au traité de Zanzibar du 1 juillet 1890 embrasse tous les Allemands de ton ferme (sic), qui, sans considération de la faveur ou défaveur des gouvernants, indépendants des partis et coteries politiques combattent tout ce qui dans le peuple allemand est non-allemand (undeutsch) et tendent une main secourable à tous ceux qui, à l'étranger ou à l'intérieur, sont opprimés pour la cause du germanisme.

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OEuvre de combat, en effet, dont le bilan a été soigneu sement dressé dans une brochure, au titre significatif : Vingt ans de labeur et de combats pangermanistes. Anthologie qui commémore le vingtième anniversaire de l'Association (1). C'est ce document seul que nous interrogerons, sans nous encombrer de la formidable et fastidieuse littérature pangermaniste, où sont développées, sans grande originalité, les idées maîtresses - dont la banalité même fait la force.

II

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C'est d'un mouvement d'indignation patriotique toriographes l'affirment qu'est sortie l'Association pangermaniste. Elle est née dans la colère et l'humiliation. La convention anglo-allemande, à laquelle il est fait allusion, avait débouté l'Allemagne de ses ambitions sur des territoires de l'Afrique Centrale, tels que l'Uganda, que la Grande-Bretagne s'adjugea. Ce mécompte, imputé à la faiblesse de la diplomatie allemande, à son dédain des affaires coloniales, fut aussitôt exploité par les pangermanistes, et l'Anglais fut dé

(1) Voir note 1. La publication est dédiée à la mémoire d'Ernst Hasse et d'Adolf Lehr, premier rédacteur en chef des « Feuilles pangermanistes ».

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

2

noncé comme l'irréconciliable ennemi. Le programme de l'Association porte cette phrase: « Depuis les premières tentatives du peuple allemand pour déployer son activité économique et politique sur la scène du monde, il s'est trouvé en face du mauvais vouloir toujours croissant de l'Angleterre, qui voit menacés par nous son commerce et son arrogante prétention à l'exclusive hégémonie des mers (1). »

C'est dans la Grande-Bretagne que les pangermanistes discernent désormais la plus redoutable rivale. Aussi ne se lassent-ils pas de signaler ses agissements d'abord en 1894, dans la baie de Delagoa, où la connivence portugaise lui livra l'accès des Républiques sud-africaines, préface de la ruine des Boers, tribu bas-allemande ; au moins, comme compensation à ce déchet pour le germanisme, voulaient-ils que l'Allemagne s'emparât de toute la bande du Mozambique au Zambèze (2).

Quand, en 1898, l'Allemagne se désintéressa de cette région, l'A. V. adressa une pétition au Chancelier, prince de Hohenlohe, contre le danger de l'absorption des deux Républiques, qui vaudrait à l'Angleterre la maîtrise des plus riches mines d'or du globe, la maîtrise du régime monétaire et du cours des marchandises (3).

L'issue de la guerre sud-africaine remplit les pangermanistes d'amertume, parce que le gouvernement impérial ne témoigna que de la mauvaise grâce aux frères bas-allemands. L'A. V. demanda pour eux l'octroi gratuit de terres et des avances d'argent dans le Sud-Ouest africain : l'administration répondit qu'elle ne subventionnerait que des sujets allemands et ne se souciait pas de fortifier l'élément hollandais, au détriment des nationaux (4). C'était d'un germanisme bien étroit. Il semble bien que l'A. V. se le tint pour dit et laissa les Boers livrés à leur sort.

L'A. V. stimulait le zèle du gouvernement partout où l'intérêt allemand était engagé ; il l'invitait à évincer de Samoa Américains et Anglais qui seraient dédommagés par Hawaï et par Tonga, et le félicitait d'avoir considéré « comme un (1) Handbuch des Alldeutschen Verbandes, 15° éd., J. J. Lehmann, Münich, 1911, p. 5.

(2) 20 Jahre, p. 23.

(3) Ibid., p. 54.

(4) Lettre de l'Office colonial du 31 juillet 1902, p. 143.

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