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ratifie cette loi, il en résultera une action judiciaire difficile et longue, car elle sera attaquée devant la Haute-Cour, et le gouverneur de répondre :

« Les points défectueux que vous m'aviez signalés, ont été cor«< rigés en se basant dans la nouvelle loi sur les textes des traités « actuels ; si elle était encore en opposition avec l'un d'entre eux, » je vous serai obligé de me le faire savoir ». On ne pousse pas plus loin la condescendance.

Il a d'ailleurs, comme il l'avait promis aussitôt après le vote, laissé passer avant de la signer le temps nécessaire pour recevoir les protestations ou les objections qui pourraient se produire, en particulier de la part du président qui a le texte entre les mains. La session du Parlement ayant été close le 12 mai, il avait un mois - jusqu'au 13 juin, pour la ratifier sous peine de nullité.

Avant de quitter Sacramento, Bryan avait émis l'idée de soumettre la nouvelle loi à un referendum populaire, moyen politique préconisé par Johnson, candidat au guvernement de la Californie. Pour qu'il y soit procédé, il faut que 5/100 au moins des électeurs ayant pris part aux dernières élections générales le demandent. Tous les adversaires de la loi foncière, Chambres de Commerce, Comité de l'Exposition, Associations religieuses se sont mis aussitôt en mouvement pour réunir le nombre de voix suffisant (1). Dans le cas où ils y parviendraient, la pétition serait déposée au gouvernement provincial et le referendum aurait lieu en même temps que les prochaines élections en novembre 1914. Ce serait un délai de 18 mois avant l'application de la loi et cela permettrait soit d'organiser une campagne, soit surtout de chercher une solution diplomatique, car le gouvernement japonais ne veut pas mettre sa dernière carte sur cet appel au peuple, il n'a pas oublié que le Chinese Exclusion Act a été lui aussi, soumis à un referendum qui l'a consacré par 161.000 voix contre 883.

Le lendemain du jour du retour de Bryan à Washington, le 9 mai, le vicomte Chinda a déposé la protestation officielle du Japon, sans attendre la ratification de la loi. Cette protestation n'a pas été publiée, mais d'après les renseignements de la presse elle portait sur les points principaux suivants :

« Le traité de commerce reconnaît aux Japonais la même situa tion et les mêmes avantages qu'aux blancs, pour toutes les industries; il est injuste de leur refuser le droit de posséder la terre, sous prétexte qu'ils ne peuvent devenir citoyens.

(1) Dans le cas présent il y avait 385.000 votants; c'est donc un peu moins de 20.000 signatures à recueillir.

<«< Dans l'administration de la propriété immobilière, ils doivent jouir de la même liberté que les autres citoyens des Etats-Unis ; il est injuste de leur refuser le droit de tester, ce qui est une violation des droits déjà acquis ».

Et la protestation continuerait en abordant des points de droit beaucoup plus contestables que les précédents.

Le résultat escompté de cette démarche « très sérieuse », comme la qualifie le secrétaire d'Etat, fut un nouveau télégramme envoyé au gouverneur de Californie; en voici quelques passages :

« Le Président ne veut pas discuter s'il y a ou non violation des << traités pour deux raisons: la première, c'est que dans l'élabora<«<tion de cette loi vous avez particulièrement veillé à ce qu'on ne <«<< les heurte pas; la deuxième, c'est que les points contestables << seront réglés par la Haute Cour. Néanmoins le Président estime << légitime de vous demander que ces propositions du Parlement ne << soient pas transformées en lois par votre adhésion; d'autant plus « que si cela devenait nécessaire pour le bonheur ou la tranquillité « de la province, vous pouvez toujours ouvrir une session à n'im<< porte quel moment, etc... ».

Johnson répondit par un non moins long message dans lequel il refaisait une fois de plus l'historique d'une question « que ne comprennent pas les gens de l'Est », et il concluait en répétant l'obligation dans laquelle il se trouvait, devant les votes presque unanimes des Chambres, de ratifier la loi quand bien même elle ne serait pas conforme à son opinion personnelle.

Et c'est ce qu'il a fait le 19 mai

Wilson a dû répondre au Japon que la Californie n'avait pas, à son avis, dépassé la limite de ses droits, mais lui a offert, comme c'était convenu, de porter le différend devant les tribunaux de l'Union.

C'est vraisemblablement ce qui aura lieu, mais Tokyo n'a pas manqué d'engager aussitôt des négociations directes avec Washington dans le but d'obtenir, soit le droit de naturalisation pour ses nationaux, soit un codicille au traité de commerce, qui supprimerait toute restriction au droit de propriété. Ce sont là questions épineuses que la Maison Blanche ne peut négocier sans le consentement du Capitole. Dans le cas où les Etats-Unis opposeraient à ces demandes une fin de non-recevoir, le Japon aurait sans doute recours à l'arbitrage de la Cour de la Haye; l'Amérique multiplie suffisamment ses démarches dans ce sens et un exemple du procédé qu'elle préconise ne pourrait produire qu'un excellent effet. Son traité de 1908 avec le Japon déclare que seront soumises

à l'arbitrage toute affaire n'intéressant ni l'indépendance, ni les intérêts vitaux des deux parties: il est vrai qu'elle pourra répondre que la question de la propriété de la terre est au premier chef d'un intérêt vital pour un pays, proposition plus difficile à soutenir si l'on pose à la base les restrictions dont le cas particulier actuel est entouré, à savoir qu'il ne s'agit :

1° Que des entreprises agricoles ;

2° Que d'un petit nombre d'individus puisque le gouvernement japonais restreint son émigration.

Si les Etats-Unis refusaient encore de suivre le Japon, et que la Californie ne consente à aucun amendement comme, par exemple, des baux à long terme, à quel procédé, en dehors de la guerre, celui-ci pourrait-il recourir? il ne lui reste que la dénonciation des traités de commerce, ce qui serait aussi préjudicable à ses intérêts qu'à ceux de l'Amérique, ou le boycottage de la Californie, mesure que les commerçants ont envisagée, mais que le gouvernement ne laisserait sans doute pas exécuter. A moins que la diplomatie n'élargisse la question le régime des compensations est à l'ordre du jour et les deux rives du Pacifique sont assez étendues pour qu'en échange de son désintéressement en Californie, le Japon obtienne en d'autres régions quelques témoignages de la bonne volonté des Etats-Unis qui lui seraient fort utiles. L'intérêt national gagnerait ce que perdrait l'intérêt particulier et la diplomatie a suffisamment de formules conciliantes pour donner dans la forme satisfaction à tous les amours-propres.

ARMAND KERGANT.

II

LE RÉGIME DE L'ÉPARGNE POSTALE

AUX ÉTATS-UNIS ET EN FRANCE

Le Musée social a publié récemment une étude de M. Willoughby, traduite par M. Vulliod, sur le régime de l'épargne postale aux Etats-Unis, créé par une loi du Congrès, et sanctionné par un décret du 25 juin 1910. L'œuvre américaine y est grandement louée, par comparaison avec celle des autres pays. Sa carac

téristique la plus notable est d'être établie sur la base d'une extrême décentralisation, tant en ce qui concerne la réception, la garde et le placement des fonds déposés, qu'en ce qui a trait aux détails de l'administration elle-même.

Comme beaucoup de Français ont un penchant naturel à admirer les institutions des autres pays et à critiquer celles qui les régissent, à se laisser volontiers séduire par les apparences plus que par les réalités, à trouver toujours meilleur ce qui se fait au dehors, sans tenir compte des contingences, des différences de milieu, il pourrait bien arriver que quelques lecteurs du mémoire de M. Willoughby préconisassent l'adoption de tout ou partie des conceptions américaines. C'est à prévenir ce résultat que je voudrais m'employer, en parcourant rapidement les dispositions capitales de la loi relative à l'épargne postale aux Etats-Unis, et en les opposant à celles qui sont en vigueur chez nous.

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Tandis que notre organisation représente un établissement unique dont le siège central est dans la capitale, mais ayant pour succursales les bureaux de poste des chefs-lieux de départements qui tiennent le compte ouvert de chaque déposant, et pour agences d'exécution les différents bureaux de poste locaux qui reçoivent les dépôts et effectuent les remboursements, l'organisme américain ne connaît, à proprement parler, ni siège central, ni succursale régionale. Il autorise chaque bureau de poste à encaisser les sommes qui lui sont confiées et à payer les retraits de fonds, comme le ferait une caisse d'épargne indépendante. Le seul trait d'union qui existe entre ces multiples caisses est une administration conforme à un plan général, ainsi que l'inspection et le contrôle du directeur général des Postes et d'une Commission administrative établie à Washington.

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Par l'adoption du principe de décentralisation dit M. Willoughby - le système américain s'est efforcé d'obvier à deux inconvénients: le prix de revient considérable des administrations des autres pays, et le drainage constant des capitaux virtuels, des districts extérieurs vers la métropole. Ainsi, presque partout ailleurs, les comptes des déposants, comme toutes les pièces comptables, doivent être conservés soit à la succursale régionale, soit au siège central. Cela revient à dire que toutes les transactions provoquées par les déposants, soit réception de dépôts, soit paiement de retraits, doivent faire l'objet d'une correspondance avec la succur

sale d'abord, et ensuite avec le siège central. Une semblable procé dure fait remarquer l'auteur du mémoire n'entraîne pas seulement une charge considérable, imposée aux employés des bureaux de poste locaux, mais elle suppose en outre qu'un nombre important de scribes est entretenu au-dessus d'eux, aux fins d'y accomplir la besogne que comporte tant l'inscription des dépôts au crédit des déposants que le calcul des intérêts, et d'une manière générale, la centralisation des comptes et le contrôle des opérations en cours.

La conception américaine dispense de tout ce travail. Chaque bureau de poste local, agissant au titre de dépositaire autonome, opère comme un établissement indépendant. L'argent qu'il reçoit n'est pas transmis par lui au siège central mais est placé en dépôt, dans une ou plusieurs banques locales, et tous les paiements motivés par les demandes de retraits sont faits soit directement, à guichet ouvert, au moyen des sommes déposées le même jour, soit indirectement, si l'excès des retraits sur les dépôts le rend nécessaire, au moyen d'un appel de fonds adressé par le receveur des postes à l'une des banques locales. Le compte de ces transactions est tenu par les soins du bureau, et le total seul en est communiqué à l'Office des Postes pour contrôle et statistique.

Enfin, la décentralisation comptable et financière de l'épargne postale aux Etats-Unis est peut-être plus notable que la décentralisation administrative. La proposition de l'établissement d'une caisse d'épargne postale rencontra dès le début l'opposition des banques de l'Union et des économistes. On objectait d'abord l'incalculable somme de détriments dont elle serait cause, en drainant vers un centre unique les capitaux des communes dans lesquelles résideraient les déposants. Tout système disait-on basé sur le principe de l'accumulation de l'épargne d'une commune et de son transport vers un centre où il est pourvu à son placement, au lieu d'être retenue dans le district où elle a pris naissance, en vue de servir à la constitution de capitaux et à leur mise en valeur, aurait pour effet une conséquence exactement contraire à celle de l'épargne, à savoir la privation de tout un territoire de fonds qui eussent été confiés à d'autres établissements, ou directement placés dans l'industrie.

En second lieu, on invoquait le tort considérable que ferait la concurrence de caisses d'épargne postales aux nombreux organes similaires déjà existants dans certains Etats de l'Union et qui répondaient pleinement aux besoins de l'ambiance où ils fonctionnaient.

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