Imágenes de páginas
PDF
EPUB

nement puisse pour les défendre, faire appel à autre chose qu'à des raisons de sentiment.

La session des Chambres de Californie ouverte le 6 janvier devait se terminer le 26 avril ; la discussion des lois anti-japonaises l'a fait durer jusqu'au 12 mai.

Dès les premiers jours, et avant qu'aucun détail ait été publié à leur sujet, le comité de l'exposition de San Francisco qui doit s'ouvrir pour célébrer l'ouverture du canal de Panama commençait ses démarches pour les faire échouer, en montrant combien l'abstention du Japon mécontent nuirait au succès de l'entreprise; en d'autre temps, de telles raisons eussent été efficaces, aujourd'hui elles n'ont rien arrêté. Cependant les Japonais habitués à ces éruptions de fièvre jaune ne s'en inquiétèrent d'abord pas, d'autant plus que les Chambres de Commerce se déclaraient pour eux. Au début de février, une première résolution passait à la Chambre basse, elle reprenait un principe déjà posé : « Tout individu qui ne peut devenir citoyen des Etats-Unis ne peut pas posséder la terre en Californie ». La loi sur la naturalisation est une loi fédérale ; le gouvernement fédéral ne peut donc pas trouver mauvais qu'une province écarte de son sol ces étrangers dont l'Union se méfie, puisqu'elle refuse de les admettre parmi ses citoyens ; quoi de plus logique que de réserver le sol de la patrie aux seuls citoyens ou à ceux susceptibles de le devenir?

Les rares députés opposés à ce projet vont pressentir le gouverneur; Johnson répond que ceux qui ne veulent pas de cette loi, feront bien de l'empêcher de passer au Parlement, car si elle est votée, il la ratifiera. Les Japonais sont fixés, ils savent qu'ils n'auront rien à attendre de la province; mais ce qui les indigne le plus, c'est d'entendre certains députés, devant l'esprit de conciliation dont a fait preuve jusqu'ici leur gouvernement, déclarer : « le gouvernement japonais ne s'opposera pas à une loi qui retirera la propriété du sol à ses nationaux ». Affirmation malheureuse et prématurée qui oblige l'ambassadeur du Japon, vicomte Chinda, à rappeler à Washington le point de vue de Tokyo qui considèrera toute loi de ce genre comme contraire au traité de commerce de 1911 et comme une violation de la parole de « gentleman » donnée en 1907. Au Japon même, la presse, les industriels commencent à s'agiter; le baron Shibusawa, M. Nakano Buei (1) dirigent le mouvement au nom de toutes les Chambres de Commerce du pays ; le premier ministre leur demande d'attendre au moins le vote de la loi, (1) Président de la Chambre de Commerce de Tokyo.

pour ne pas gêner la conversation diplomatique qui s'engage. Wilson répond à l'ambassadeur qu'une telle loi ne saurait être appliquée avant que la Haute-Cour ne l'ait déclarée conforme aux traités, et que dans tous les cas, si la Californie la juge nécessaire pour défendre son sol, elle devra l'appliquer à tous les étrangers. Sur cet avis présidentiel, la Chambre basse remanie son projet et déclare retirer le droit de propriété à tous les étrangers. Quant à l'allusion aux tribunaux américains, elle ne rassure pas le Japon qui n'est pas certain d'obtenir gain de cause. D'autres provinces ont des lois foncières analogues;dans le Delaware et l'Illinois, elles ont pour but d'obliger les étrangers propriétaires à se faire naturaliser rapidement, mais dans le Washington, le Minnesota, le Missouri, l'Oklahoma, le Texas, dans le district fédéral de Colombie, elles leur refusent la propriété du sol; toutes ces lois sont en vigueur, jamais aucune protestation ne s'est élevée contre elles, comment espérer qu'un tribunal américain refuse à la Californie le droit de faire usage des mêmes armes ?

D'ailleurs les Japonais avertis ont prévu les difficultés actuelles dès 1911, au moment de la signature du traité de commerce; faisant allusion à la suppression de l'article II, le Taiyo d'avril écrivait :

« Les Chambres américaines n'ont-elles plus le droit de faire des <«<lois anti-japonaises? Si; le traitement des émigrants est réservé << au Parlement (§ 3 art.8,1re section de la Constitution américaine)... « Les parlements provinciaux ne pourront-ils plus faire de lois « pour expulser les Japonais ? Si; pour les affaires civiles, éduca<«<tion, mariages, industrie, biens immobiliers, ils ont tous le « droit de juridiction absolue, et peuvent même, s'ils le jugent <«< nécessaire, opprimer, par l'exercice de ce droit, les Japonais « établis dans le pays... Les lois contre nous ne nous désignent pas «<expressément, mais profitent de ce que seuls nous ne pouvons << devenir citoyens pour restreindre nos droits; la possession du « sol sur la côte Ouest et en Californie, est particulièrement im«portante pour nous; on nous la refuse dans l'Etat de Washington, « et il y a en Californie un mouvement pour nous la retirer (1) » ; Et cette déclaration du docteur Tomizu, jingoïste farouche :

<< Il est naturel que le traité ne dise rien sur la propriété du sol. «En théorie et en pratique, il est logique que le gouvernement cen<«<tral ne puisse se prononcer sur ce qui est du ressort de chaque «Etat, et il n'y a pas là, matière à discussion » (2).

(1) Kaigwai no Nihon, mai 1911. (2) Kawasaki-Taiyo, avril 1911.

Aujourd'hui, les diplomates japonais eux-mêmes, ne sont pas très sûrs de leur droit M. Uchida, ancien ministre des Affaires Etrangères reconnaît que:

« Au point de vue du traitement de la nation la plus favorisée, il « n'est pas certain que l'interprétation qui sera donné à l'article « nous vaille l'égalité; il faut s'en remettre à la loyauté des Amé<< ricains >>.

M. Kuraji, ancien vice-ministre du même département :

<< Il est bien certain que toutes ces lois sont contraires à l'esprit « des traités, mais je ne vois pas en quoi elles en violent formelle<<ment un des articles ».

Devant ce luxe d'arguments qu'il fournit lui-même, on conçoit que le Japon préférerait voir le président Wilson trancher directement la question, - par exemple, en invoquant un certain article 14 des codicilles de la Constitution Américaine qui reconnaît l'égalité des races mais le président refuse de s'engager et se contentera de veiller au respect de la lettre des traités. D'ailleurs tout le monde est d'accord là-dessus, les Californiens le reconnaissent et l'inscrivent dans leurs projets :

« Les règles établies par cette loi n'attentent pas aux droits reconnus par traité aux étrangers ».

En outre, pour diminuer la portée d'un jugement possible malgré tout, ils ajoutent :

« Dans le cas où certains articles seraient déclarés contraires à « la Constitution, les autres resteraient en vigueur »>.

Pendant que les Chambres californiennes poursuivent leur discussion, au Japon l'opinion s'irrite de plus en plus :

« L'Amérique qui nous a poussés dans le monde rejette nos na<«<tionaux. Elle qui invoque sans cesse la justice est souverainement « injuste à notre égard; l'attitude du président Wilson nous stupé« fie... Croit-il que si la Cour américaine adopte la thèse califor«nienne et attente aux droits acquis, les relations des deux pays << n'en souffriront pas ».

Les Chambres de Commerce de toutes les villes du Japon inondent le Parlement et les Chambres de Commerce californiennes de leurs télégrammes ; une société de journalistes et d'industriels, la Nichibei Doshikwai (1), avec à sa tête le baron Shibusawa, se fonde pour « empêcher le vote des lois anti-japonaises déposées en Californie et développer les bonnes relations des deux pays » (2); tous les partis politiques votent des résolutions; les meetings

(1) Association américo-japonaise des gens de même volonté.

(2) Art. 2 des statuts.

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

8

succèdent aux meetings; tous réclament une solution définitive le droit à la naturalisation qui éviterait ces alarmes périodiques; la mesure n'est-elle pas d'autant plus facile à prendre qu'elle dépend seulement du gouvernement fédéral ? C'est pour lui une occasion admirable de donner au Japon un appui, autre que son appui moral. Et puis, une partie de l'opinion des Etats-Unis n'affirme-t-elle pas sa sympathie envers les Japonais maltraités; les Chambres de Commerce de San Francisco, Los Angelos, Portland, Seattle, Eureka, Stockton, Tacoma, San Diego prennent fait et cause pour eux. Les syndicats des propriétaires fonciers qui voient la location de leurs terrains tomber de 25 à 5 dollars l'acre protestent. Les évêques américains du Japon, les pasteurs sont sollicités d'agir; ils font appel aux sentiments religieux des députés de Californie, qui accueillent fort mal leurs admonestations. Toute une partie de la presse américaine (1) mise en mouvement par le comité de l'Exposition dont les efforts ont échoué se dresse contre les représentants de l'Etat ; le Chronicle s'écrit : « La Californie se suicide», le Hérald déclare :

« L'esprit des amendements du traité avec le Japon a été de lui << donner les mêmes droits qu'aux Européens. La loi est absolument << déloyale ».

L'Outlook estime qu'il ne serait pas impossible de donner « quelques conseils aux politiciens de Californie qui font de cette loi une arme de guerre électorale ». Le Times de Los Angelos est plus véhément :

« Fermez votre assemblée, s'écrie-t-il, avant d'avoir ruiné la « Californie, c'est un nouveau Cromvell qu'il faudrait pour vous << chasser ».

Enfin après le vote général des deux Chambres, le Chronicle conclura :

«La Californie a connu bien des malheurs, mais le plus grand « de tous, est la dernière session de son Parlement »>.

La presse adverse et le gouverneur Johnson ripostent et déclarent entre autres arguments:

« Au Japon, les étrangers n'ont pas encore le droit de posséder la terre; aussi est-il particulièrement mal fondé à venir réclamer chez les autres des droits qu'il n'accorde pas chez lui (2), en outre la

(1) Une enquête privée a relevé les opinions de 800 journaux américains; d'après elle, plus de 500 ne prendraient pas formellement position, 200 attaquent la Californie, et 20 seulement l'approuvent sans réserves.

(2) La loi en question a été votée par la Diète japonaise en avril 1910 (N° 51 de la session), mais le réglement d'administration publique qui en fixera l'application n'est pas encore terminé et ne semble pas près de

Californie ne fait que suivre l'exemple d'autres provinces dont les lois n'ont jamais été incriminées ».

Les 50.000 Japonais dispersés dans la province ne restent pas inactifs en dehors des télégrammes qu'ils lançent de tous les côtés, ils groupent leurs innombrables associations et forment un comité de défense, auquel sera confié le soin de répartir, au mieux des intérêts de la communauté, les quelques 30.000 dollars jugés nécessaires pour la campagne du moment (1).

Devant toute cette agitation et sur la demande du président Wilson, le Sénat californien, par la bouche de son rapporteur Thompson promet que la propriété acquise ne sera pas inquiétée au moins pour la génération actuelle.

Quoiqu'il en soit, c'est contre les Japonais, et contre eux seuls que la loi doit être faite :

«La question de la terre est finalement une affaire de races; « pour que l'Amérique appartienne aux Américains, il faut arrêter « le développement des Japonais. Le droit à la naturalisation va « sans doute se négocier entre les deux gouvernements, il faut « que notre assemblée fasse une loi qui la refusera formellement « aux Japonais ».

Malgré sa haine du Jaune, ce n'est pas à cette théorie que la Chambre basse se rallia, et par 50 voix contre 16, elle acceptait un bill qui atteignait tous les étrangers.

De son côté, la Commission du Sénat faisait passer son projet en deuxième lecture. Les différences entre les deux textes étaient assez faibles, et ne portaient guère que sur les modalités ; il semblait bien, dès lors, que l'on ne pouvait plus compter pour retarder les votes définitifs sur les divergences d'opinion entre les deux assemblées.

Pour atteindre la main-d'oeuvre japonaise, tous les capitalistes étrangers allaient être lésés, les banques qui représentaient leurs intérêts menacèrent aussitôt de retirer tous les capitaux européens engagés dans les industries californiennes. La question était grave. pour la province; elle ne voulut plus courir ce risque pour satisfaire exclusivement un désir du président, et les projets furent amendés pour ne pas nuire aux sociétés étrangères; ils restaient donc uniquement dirigés contre les Japonais.

A Tokyo, la pression continuait à monter la Société du Paci

l'ètre; la loi foncière de Californie contribuera sans doute à hâter le travail des bureaux,

(1) Tokyo Asahi, 3 mai. Discours du 15 avril à la Chambre basse.

« AnteriorContinuar »