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protestation du Japon; sa seule exigence, vis-à-vis de la province, sera de lui faire chercher cette formule; d'ailleurs, il l'y aidera.

Tandis qu'en Amérique, la politique intérieure n'est pas étrangère au développement que prend la question, il ne semble pas qu'il en soit de même dans la campagne de protestation du Japon. Certains organes ont voulu voir en elle une agitation dirigée contre le cabinet Yamamoto; nous n'avons trouvé dans la presse japonaise aucun fait de nature à confirmer cette opinion; députés et journalistes attaquent bien la diplomatie à laquelle ils reprochent son inertie, mais c'est-là un fait constant à la moindre difficulté avec l'étranger. Les meneurs hommes d'affaires pour la plupart veulent agir sur l'opinion américaine et n'ont aucune visée politique les reliant au mouvement constitutionnel qui a déterminé la retraite récente du prince Katsura ; il semble au contraire que tous les partis se soient groupés autour du gouvernement dans cette question d'amour-propre national.

Il y a cependant en jeu des intérêts matériels autrement importants que ceux qui ont motivé la crise des écoles, mais ils ne viennent qu'en second lieu dans les préoccupations de l'opinion; comme il y a six ans, c'est avant tout l'orgeuil national qui est atteint, c'est lui qui se révolte : le peuple japonais en a assez d'être traité en paria des nations; il lui semble que les blancs oublient bien vite la leçon infligée à la Russie; il est minutieux, aime les précisions, les statistiques et les comparaisons, il fait le décompte de par les traitement que lui valent les lois américaines, il vient dans l'échelle des races, après les Blancs, les Noirs, les Hindous des colonies britanniques, les Jaunes des possessions françaises ou russes; il ne reste au-dessous de lui que le Chinois, le Mongol et le Coréen, il estime qu'il a le droit de demander mieux à cette Amérique, qui plus que tout autre pays, a contribué à le faire entrer dans la voie de la civilisation européenne.

Il y a d'ailleurs des amis et de nombreux clients de nobles esprits plaident sa cause; les provinces de l'Est pour lesquelles son expansion n'a jamais été un danger, mais au commerce et à l'industrie desquelles son animosité pourrait nuire, prennent sa défense; jusque dans les provinces de l'Ouest, en Californie même, les éléments sociaux qui l'utilisent propriétaires fonciers, manufacturiers, capitalistes protestent contre les votes d'un Parlement où triomphe une surenchère électorale qui laisse loin derrière elle, celle des mares les plus stagnantes de nos arrondissements.

Aux Etats-Unis, moins que partout ailleurs, dix millions d'igno

rance ne font pas un savoir, mais ce sont ces dix millions-là qui pésent sur la vie publique d'une province, d'un Etat, sur les décisions d'un esprit large comme celui du docteur Wilson, sur les relations de deux grandes puissances dont la bonne entente est une des garanties de la paix dans une moitié du monde, sans que nous voulions dire par là que la guerre risque de sortir du désaccord actuel.

Jusqu'ici les arguments chers aux travaillistes de Californie pour obtenir le refoulement des Japonais étaient, comme on sait, les sui

vants :

L'émigrant japonais, dont les besoins sont moins grands, abaisse le Standard of Life de l'ouvrier blanc; ce n'est même pas le pays auquel il doit son salaire qui en profite; il thésaurise, renvoie ses économies dans ses banques, et quand le pécule qu'il a amassé lui paraît suffisant, il repasse l'océan, regagne ses rivages, pour y retrouver les horizons qu'il aime il n'est pas assimilable. Certains Japonais protestaient bien contre ces assertions, ils déclaraient que si les syndicats blancs voulaient l'accueillir, le Jaune ne chercherait pas à travailler au rabais, qu'aucun émigrant n'était assimilé dès la première génération et qu'il fallait attendre les résultats que donnerait la deuxième génération née dans le pays même ; il n'en est pas moins vrai que la grande majorité s'enorgueillissait de ces colonies de nationaux, à la personnalité robuste, qui se créaient sur les rivages opposés, de ces « Shin Nihon » (1) qui se levaient plus à l'orient que leur soleil levant, et, pour ceux-là il n'était nullement question d'une assimilation possible, d'une naturalisation que la loi américaine ne leur offrait pas, mais qu'ils auraient repoussée avec dédain, si on la leur avait proposée.

Auojurd'hui, les opinions se sont modifiées des deux côtés : l'Américain reproche au Japonais de rester dans le pays, il ne veut pas que la propriété de la terre puisse l'attacher au sol; l'Allemand, l'Italien d'hier lui en veulent de ce qu'il ne travaille plus à vil prix, de ce qu'on lui offre autant et plus qu'à eux (2). Quant au Japonais qui voit dans cette mesure le seul moyen de salut, il accepte la possibilité de la naturalisation, il la réclame du gouvernement central, comme la seule solution capable de lui éviter les tracasseries des gouvernements provinciaux, et il fait le sacrifice

(1) Nouveaux Japons.

(2) Salaire journalier moyen des exploitations agricoles en 1910:
Avec nourriture: Blanc, 1 $ 38; Japonais, 1 $ 49.
Sans nourriture: Blanc, 1 $ 80; Japonais, 1 $58.

de ses enfants qui seront sans doute perdus pour la cause de la mère-patrie, déjà sont rares parmi eux, ceux qui peuvent encore lire les journaux que reçoivent les parents, il accepte ces idées qu'un de ses professeurs émettait il y a deux ans :

« Je demande à ces individus qui discutent comme des grenouilles au fond d'un puits et veulent limiter à l'Extrême-Orient le champ d'action de la race japonaise de bien réfléchir avant de déclarer que nous ne devons pas laisser partir nos émigrants dans les provinces où on les obligerait à se faire naturaliser. »

La fermeture des Etats-Unis aux émigrants japonais a produit ce revirement, et la question des terres en Californie en est la manifestation sensible.

Le Japonais qui n'hésitait pas à quitter le pays quand l'accès lui en était facile, ne veut plus actuellement perdre le bénéfice du séjour qu'il y a fait, son droit de vivre en Amérique fait partie de son capital. Dans le passé, il y créait rarement une famille, et en dehors des quelques centaines destinées à compenser par la facilité de leur approche l'insuffisance numérique de leur sexe les femmes n'y venaient guère. Aujourd'hui, quand le travailleur ne peut aller dans ses îles chercher une compagne, les agences viennent à son secours, elles lui présentent un choix varié de photographies et d'assez nombreux mariages se concluent de la sorte. Il n'y a guère encore plus d'une femme par six hommes, mais le nombre croissant de ces mariages constitue certainement un premier pas vers l'acclimatement, vers l'attachement au sol à la conquête duquel ces anciens laboureurs se sont lancés (1).

Ce ne sont pas, en effet, de puissantes compagnies ou de riches particuliers qui ont réussi dans ces entreprises de ce genre les rares capitalistes japonais qui l'ont essayé, ont échoué lamentable

ment.

Nous avons dit que du jour où l'ouvrier blanc avait obtenu la fermeture du pays à son émigration, le paysan japonais qui s'y trouvait avait résolu de s'y attacher: il a cessé d'envoyer ses éco

(1) D'après l'enquête du bureau du Travail de Californie, il y avait au 1er janvier 1910 dans la province: 28.000 Japonais travailleurs agricoles et 6.200 femmes. L'ensemble des trois provinces: Californie, Oregon, Washington comptait en 1908, 120.000 Japonais répartis de la sorte:

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nomies au Japon et les a gardées pour louer ou acheter de la terre (1), ceux qui n'ayant pour capital que leur volonté de réussir ont su inspirer confiance aux propriétaires se sont fait accepter comme fermiers ; leurs revenus consistaient en la moitié de la production de la ferme ; au bout de quelques années ils peuvent en acquérir une partie, puis une autre (2); aux époques des moissons ils attirent comme journaliers leurs compatriotes de la ville voisine, aux professions plus ou moins incertaines; parmi ceux-ci il y en aura qui, gagnés par l'exemple, resteront l'automne venu, et ainsi le domaine cultivé ou possédé par l'ensemble ira d'année en année en s'arrondissant : il a passé de 24.760 hectares en 1905 à 98.630 en 1912 (3).

Dans les cultures de vergers, en particulier dans celles des arbres fruitiers qui exigent des soins délicats convenant à la minutie de leur caractère, les Japonais sont passés maîtres, et le tableau suivant qui se rapporte à 1912 montrera pour un certain nombre d'entre elles, la part qu'il leur revient dans la production d'ensemble:

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La Californie a plus de 500.000 kilomètres carrés, et le terrain.

(1) Les salaires varient suivant la saison et la culture; les chiffres suivants sont des maxima: Décembre à mars, 40; avril à juin, 100; juillet (raisin) 100; août à octobre, 150. Soit 400 $ par an, sur lesquels il peut en mettre 250 de côté.

(2) Ils ne paient comptant que le 1/4 ou le 1/10 de la valeur, le reste est soldé en 5 ou 10 annuités.

(3) Voici un tableau récapitulatif de cette marche ascendante :

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exploité par les Japonais n'en atteint pas 1.000; on ne peut crier à l'accaparement, mais il y a là un groupement d'efforts indiscutable; les pères n'ont été que des déracinés, il ne faut pas que la génération qui monte, trouve dans un sol lui appartenant une base solide grâce à laquelle elle pourrait lutter avec avantage contre le socialisme des blancs; et voilà pourquoi, parmi les 35 projets déposés sur les bureaux des Chambres, c'est au vote de ceux visant la propriété foncière que les Californiens tiennent le plus, nous verrons dans le cours de leur examen que ce sont ceux-là qui avaient le plus de chance d'aboutir, car tout en sortant du droit, ils ont su rester dans la légalité.

La politique du Japon désireux de vivre en bons termes avec les Etats-Unis a certainement contribué à augmenter l'audace des représentants. Chaque fois que les intérêts de ses nationaux ont été lésés sans que le bruit fait autour de la question la transformât en une affaire d'amour-propre, la diplomatie nipponne a fermé les yeux. La constitution de Californie leur défend d'épouser les femmes blanches, ils ne peuvent participer ni aux ventes de terrains domaniaux (art. 1443-3440), ni aux ventes aux enchères (art. 238), ils ne peuvent être ni avocat d'affaires ni de mariages (art. 60 du Code civil), ni pilote (droit administratif 2420), leur droit d'ouvrir des hôtels est limité (Code civil, art. 51). A San Francisco, les restaurants japonais n'ont pas le droit de vendre l'alcool, leurs blanchisseurs ne peuvent utiliser les machines à vapeur, et mille autres tracasseries que l'administration municipale illustrée par le maire Schmit, ne leur épargne pas. Aux Chambres, les lois les plus manifestement contraires aux traités sont proposées et adoptées, la plus récente sur les pêcheries voulait leur faire payer 100 dollars la licence que les Américains paient 5, et les étrangers naturalisables 10 (1), mais la violation est si flagrante que la loi ne pourra être ratifiée, les intéressés le savent et ne s'en préoccupent pas outre mesure.

Il n'en est pas de même du bill sur la propriété foncière; celui-là, grâce aux refontes, amendements, retouches que lui a valus la collaboration des membres du Parlement, du gouverneur, du secrétaire d'Etat et du Président de la République sera demain, une arme terrible contre les fermiers japonais, sans que leur gouver

(1) Le Japon déclare avoir sur les côtes 410 pêcheurs armant en partie 250 voiliers et 75 bateaux à moteur, autour de Monterey et de San-Pedro. De même le permis de chasse payé 1 dollar par les Américains est vendu 5 aux étrangers naturalisables et 15 aux autres (Japonais et Mongols).

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