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réunir la minière ? Pourrait-on même admettre pareille demande de sa part, à moins de supposer qu'il escompte, par quelque moyen, échapper à la stricte et loyale application de l'article 70 de la loi des mines? Un industriel sérieux ne peut, en effet, se rencontrer qui consente à travailler pendant des années, avec un capital plus ou moins important, pour la certitude de ne pouvoir pas faire un bénéfice à quelque époque que ce soit.

Malgré la réserve que je me suis imposée au regard de l'affaire de l'Ouenza, je ne sortirai pas, je l'espère, des limites que je me suis fixées, en rappelant d'après des documents publics, que le gîte de l'Ouenza, dans la concession de ce nom, ne paraît pas éloigné des conditions que je viens de signaler en dernier lieu. Que l'on revoie, en effet, les évaluations et les chiffres de la note de M. Colin parue ici même (octobre 1911), il semble qu'il ne s'agisse dans toute cette étude que d'une exploitation à ciel ouvert ; la note en réponse à cet article qui a été insérée à sa suite nous apprend d'ailleurs que le concessionnaire aurait reconnu dans un traité d'avril 1908 que le minerai de mine, c'est-à-dire lui appartenant, n'existait que pour un dixième contre neuf dixièmes de minerai de minière, appartenant à l'Algérie, seule propriétaire du sol. Ces distinctions ne seront pas inutiles pour mieux saisir les observations qu'il me reste à présenter sur le fond même de la question de doctrine qui m'occupe. La diversité des conditions de fait qui peuvent se présenter suivant les circonstances est, en effet, un argument de plus, on va le voir, en faveur de l'extension des pouvoirs d'appréciation que je réclame pour l'Administration quand elle doit statuer sur une demande du concessionnaire, en vertu de l'article 70 de la loi des mines.

Le système soutenu par M. H. Berthélemy paraît se concréter dans cette phrase de sa note « que l'autorité exécutive «< commettrait un détournement de pouvoir caractéristique

«si son refus d'accorder l'expropriation de la minière était «< fondé sur une raison étrangère à la bonne exploitation du gite ». L'« exclusivisme » que je me permets de lui reprocher c'est que, d'après l'ensemble des commentaires qui accompagne cette phrase, une « bonne » exploitation a tout l'air de devoir être entendue dans le sens de « meilleure ». Or, dans tous les cas, l'exploitation placée dans une seule main, au point de vue technique ou encore mieux objectif, sera toujours «< meilleure » ; je dis au point de vue technique ou objectif parce que, même dans l'ordre d'idées dont je traite, les questions de personne ne laisseraient pas éventuellement d'exercer un rôle, parfois même considérable, au point de vue des intérêts dont l'Etat-puissance publique doit, en toutes choses, avoir plus particulièrement le souci. Mais, alors, avec une pareille interprétation, on reconnaît au concessionnaire un droit d'expropriation et non plus une faculté à exercer sous l'appréciation de l'Administration; et M. H. Berthélemy, je l'ai dit, admet ce à quoi force le texte qu'il ne peut y avoir qu'une faculté.

Il ne s'agit donc pas pour l'Administration de reconnaître si la fusion donnera l'exploitation la « meilleure », mais d'apprécier simplement si, malgré le rejet de la demande en fusion, les conditions des deux exploitations séparées resteront suffisamment bonnes, et suffisamment bonnes pour la collectivité ou les intérêts généraux dont je disais que c'était justement le rôle de l'Etat-puissance publique d'avoir la surveillance et la gestion. Pour cette appréciation, pour cette comparaison éventuelle entre les deux solutions, l'Administration, si elle ne sort pas de ce qui touche aux intérêts généraux, doit pouvoir tenir compte de toutes les circonstances, notamment d'observations qu'aura pu présenter le propriétaire dont on demande l'expropriation. Car je pense bien, encore que la loi ne le spécifie pas, qu'on l'entendra avant de lui enlever sa propriété. Ainsi évitera-t-on plus sûrement l'expropriation dans des cas comme ceux auxquels je faisais allusion ci-dessus. Il me paraît impossible d'admettre que l'Etat ne puisse refuser une autorisation à un concessionnaire dont la demande, dans les conditions où elle serait présentée,

devrait être tenue pour suspecte par cela seul que la solution sollicitée, si elle doit être stricte et loyale, serait le suicide industriel de l'intéressé.

C'est un pouvoir d'appréciation ainsi compris que j'ai considéré comme assimilable, sinon identique à celui de l'Etat en matière d'institution de concessions de mines. Dans les deux cas, l'Etat ne doit-il pas s'inspirer de la bonne utilisation des gîtes, de leur exploitation rationnelle, mais en entendant ces mots dans un sens plus compréhensif que ne le fait M. H. Berthélemy lorsqu'il l'applique à une seule concession.

Dans l'interprétation trop étroite de M. H. Berthélemy, on prend, je crois, pour l'objet des attributions données à l'Etat ce qui en a été seulement la raison historique. L'objet doit rester plus ample dans le sens que j'indique, parce que rien dans le texte de la loi, pas plus que dans les documents officiels qui l'accompagnent, n'autorise pareil « exclusivisme » ; alors au contraire que cette interprétation plus large s'harmonise mieux avec toutes les attributions analogues données à l'Etat-puissance publique, notamment dans la matière des mines, pour ces circonstances où l'Administration, exerçant une sorte de haut arbitrage, est appelée à prendre des décisions pour la protection et la défense d'intérêts généraux à l'encontre éventuellement de certains intérêts particuliers dont il doit être permis de peser les moyens de défense.

Des conceptions doctrinales peuvent faire souhaiter la disparition des minières et leur attribution aux propriétaires du sol; tant que la loi ne les en aura pas dépouillés, elles n'en sont pas moins des propriétés qui ne doivent pas être, nécessairement, quand même, supprimées, dans tous les cas, en faveur du concessionnaire d'une mine.

Cette façon de comprendre dans l'espèce le rôle de l'Administration ne veut pas dire qu'elle ne puisse néanmoins, comme en d'autres circonstances analogues, commettre des détournements de pouvoir. Il n'y aurait là, à cet égard, rien de spécial à l'espèce qui nous occupe. J'avais, un peu rapidement peut-être, je le crains, cité le cas, parce que classique en jurisprudence, où l'Administration commet, dans des vues simplement fiscales, le détournement de pouvoir par la confusion des intérêts privés de l'Etat-personne morale, avec les attri

butions de l'Etat-puissance publique suivant les termes de M. H. Berthélemy. A y regarder de plus près, ce cas très particulier de fiscalité pourrait-il se présenter dans notre espèce ? On en pourrait douter si l'on remarque que le maximum d'avantages financiers, que pourrait donner une minière à l'Etat, serait son expropriation par application de l'article 70 de la loi des mines, puisque l'Etat toucherait le total du produit net de ce que cette exploitation est capable de fournir, alors qu'il lui serait évidemment impossible matériellement d'atteindre de pareilles conditions par toute autre combinai

son.

Dans le cas de l'Ouenza, le conflit, entraînant détournement de pouvoir, entre l'Etat-puissance publique et l'Etat personne morale, pour des raisons de fiscalité, pourrait d'autant moins se produire qu'ici la personne morale propriétaire est l'Algérie qui, si elle peut être qualifiée, sous un certain rapport, de démembrement de l'Etat, n'en est pas moins tout à fait distincte fiscalement; elle est, au regard de l'Etat-puissance publique, une tierce personne.

Telles sont les diverses considérations qui me portent à croire à l'inefficacité d'une action et détournement de pouvoir de la part du concessionnaire de la mine de l'Ouenza, si un décret en Conseil d'Etat lui refusait l'expropriation par lui sollicitée de la minière de l'Algérie située sur sa mine. Certes, on peut toujours faire et surtout menacer de faire un procès. Cela en ferait un de plus dans la série déjà nombreuse et non encore close de ceux nés ou à naître autour du gîte de l'Ouenza. Celui-là ne serait vraiment pas redoutable pour l'Algérie. Bien autrement graves et interminables seraient les contestations et difficultés, et celles-là inévitables, que susciteraient, après le décret d'expropriation, la délimitation de la minière et de la mine et la fixation de l'indemnité dont le concessionnaire débiteur devrait nécessairement mourir si elle est exactement déterminée.

Au reste, M. H. Berthélemy aura si bien compris lui-même l'impossibilité pratique de l'application complète, loyale et exacte, de l'article 70 à l'Ouenza qu'il n'a pas conclu en la proposant comme solution ferme ; il a simplement déduit de ses observations la nécessité d'une transaction. C'est effectivement par transaction que, jusqu'à ce jour, sans qu'on ait jamais invoqué l'article 70, se sont vidées toutes les difficultés qui pouvaient naître de cette coexistence d'une mine et d'une minière sur un même gisement. Tous les intéressés ont été effrayés des lenteurs, des aléas et partant des inconvénients et des dangers de l'application pure et simple, pour eux, de l'article précité. Dans cette voie transactionnelle il ne s'agit plus alors de règles de droit, mais de la liberté des conventions. Seulement pour qu'on puisse aboutir, voire même simplement s'aboucher, il faut, comme le demande du reste l'équité, que les prétentions de chacun soient appropriées à sa véritable situation en fait et en droit.

LOUIS AGUILLON..

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