Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]
[blocks in formation]

LE

PRINCE VITALE

ESSAI ET RÉCIT A PROPOS DE LA FOLIE DU TASSE

A la campagne, quand il pleut, les après-midi sont longues. Me Roch ouvrit un volume du Tasse et nous lut tout un chant de la Jérusalem. C'était plaisir de l'entendre, car sa voix est restée jeune, et elle prononce l'italien à ravir. Après dîner, elle se mit au piano et nous chanta la complainte d'Herminie sur un air qu'elle avait entendu autrefois à Venise. En ce moment, le baron Théodore entra. Il était revenu d'Italie depuis peu.

A merveille, madame! s'écria-t-il. En vous écoutant, je me croyais en gondole sur le Grand-Canal.

On se mit à raisonner sur le Tasse, qui était devenu le saint du jour.

— Savez-vous, mes amis, dit le baron, pourquoi ce grand homme est devenu fou? Moi, qui vous parle, je l'ai appris à Rome l'an passé. Et tirant d'une de ses vastes poches un portefeuille en maroquin rouge: Il y a là dedans de quoi faire un livre! dit-il fièrement. C'est vraiment le sac du procès.

- Homme à projets, dit Mme Roch, qui pourrait compter tous les livres que vous avez eus en portefeuille? Le malheur est qu'ils y

sont restés.

- Patience! répondit-il. J'ai à peine soixante ans; j'ai du temps

devant moi.

- D'ailleurs, mon jeune ami, reprit-elle, ne vantez pas trop votre découverte. C'est le secret de Polichinelle. Tout le monde ne sait-il pas que Léonore...

- De quelle Léonore voulez-vous parler, madame? De la première, de la seconde ou de la troisième?

-Je n'en connais qu'une, dit-elle, Léonore d'Este, la sœur du duc Alphonse. Le Tasse l'aima, s'en fit aimer; il eut le tort de ne pas se taire; le duc se fâcha, et fit enfermer cet indiscret dans un caveau très sombre, où il demeura sept ans...

pable.

Légende! conte de nourrice! répondit le baron d'un air ca

Ah! permettez, lord Byron...

Oui, madame, lord Byron se fit enfermer dans ce caveau très sombre, et il y passa deux heures à se frapper le front, à sangloter. Lord Byron n'avait pas toujours le sens commun. Cette histoire du caveau est la risée de tous les gens sensés à Ferrare. Le fait est qu'à l'hôpital Sainte-Anne le Tasse habitait un grand appartement fort clair où il écrivit force dialogues, où il recevait force visites...

- Et sa chatte! répliqua Mine Roch. De grâce, que faites-vous de sa chatte? Avez-vous donc oublié que, dans cet appartement si clair où l'on ne voyait goutte, le pauvre homme suppliait sa chatte de lui prêter ses yeux en guise de lanternes...

- La chatte est apocryphe, répondit-il en abaissant sur elle un regard de compassion superbe.

Mme Roch leva les bras au ciel. - Dans quel temps vivons-nous! s'écria-t-elle. On ne croit plus à rien, ni à la chatte du Tasse, ni à Homère, ni à Romulus...

- Les démolisseurs vous répondront, madame, qu'ils croient à leur marteau.

- Le vôtre est de belle taille! dit-elle en regardant de travers le portefeuille rouge, et après un moment d'hésitation: Baron, ne pourriez-vous nous expliquer en deux mots pourquoi le Tasse est devenu fou?

-Ah! madame, que peut-on dire en deux mots? Il en faut plus de mille pour conter Peau d'Ane.

- Au moins, dit-elle, faites disparaître le sac du procès; il me fait peur.

- Qu'à cela ne tienne! répondit-il en rougissant de plaisir. J'en ferai l'usage le plus modéré. Laissez-moi seulement le temps de donner un ordre à mon cocher.

-Mes chers amis, nous dit Mme Roch, nous voilà pris au piége. Il fait dételer, ce qui prouve que son histoire sera longue. Dieu veuille qu'elle soit intéressante! Quant à moi, je suis tentée de croire à un guet-apens, car enfin ce portefeuille...

- Je me trompe bien, madame, dit le notaire B..., ou il est décidé à donner sa pièce au public, et il est venu faire devant nous sa

« AnteriorContinuar »